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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX RELIGIEUSES DE LA CONGRÉGATION DES
AUXILIATRICES DES ÂMES DU PURGATOIRE*

Lundi 27 mai 1957

 

Réunis autour du Père Commun pour célébrer la glorification de la Bienheureuse Marie de la Providence que Nous venons d'élever sur les autels, vous remerciez dans la joie, chères filles, le Seigneur, qui manifeste avec éclat, d'une manière nouvelle, les merveilles de sa bonté. « Ceux que d'avance il a discernés, il les a prédestinés à reproduire l'image de son Fils » (Rm 8, 29). Soulever un monde lourd du poids de la matière, transformer par la Rédemption les créatures esclaves du péché en enfants de lumière, les animer par la vie de son Esprit, les associer à sa gloire éternelle : tel fut et tel reste le plan mystérieux de Dieu. Et à chaque époque de l'histoire, il suscite des âmes privilégiées, ornées des dons éclatants de la nature et de la grâce, et leur confie la tâche de refléter dans tout leur être, dans toute leur action, la prodigieuse grandeur du dessein rédempteur qu'il révéla en Jésus-Christ et continue de manifester dans l'Église aujourd'hui.

Eugénie Smet, issue d'une famille aux traditions chrétiennes solides, resplendit par la perfection de sa foi surnaturelle, par le contact, pour ainsi dire constant, avec l'au-delà, par le zèle ardent qui la pousse à communiquer ses convictions à son entourage et à l'entraîner à sa suite dans le même élan de confiance et de générosité. Enfant, elle demande à Dieu, à sa « chère Providence », comme elle aime à dire, tout ce qui lui fait défaut, une robe de fête, une pièce de monnaie pour les pauvres. Mais pénétrée de gratitude pour les libéralités divines, elle brûle aussi d'offrir à la Providence ce qui lui agrée le plus : « Pour remercier la Providence, — dit-elle, — je pourrais lui donner les âmes du Purgatoire, qu'elle voudrait tant faire entrer au ciel ». Ainsi vient d'éclore en son cœur, comme une fleur rare et délicate, le désir qui sans cesse croîtra et s'amplifiera sous l'impulsion de la grâce pour s'épanouir maintenant dans la Congrégation des Auxiliatrices du Purgatoire et dans les œuvres apostoliques si diverses et si fécondes, dont elles ont la charge.

Que la charité envers les âmes souffrantes s'unisse intimement chez Eugénie Smet à l'apostolat le plus concret, le plus actif, le plus universel, voilà sans aucun doute un trait saillant de sa physionomie spirituelle et le cachet particulier que Dieu voulut lui donner. La jeune fille, qui secourt les pauvres gens de Loos et pourvoit à leurs besoins, s'ingénie aussi à propager l'œuvre de la Sainte Enfance en faveur des petits Chinois ; elle vient en aide aux forçats de Toulon, aux soldats malades de Lille, devinant que par ses mains passe le flux des faveurs divines, qu'elle est messagère et interprète de la Providence et de sa volonté rédemptrice. Sa pensée et son cœur s'élèvent constamment des souffrances de ce monde à celles de l'autre. De part et d'autre, il s'agit d'accomplir les intentions du Seigneur, d'éclairer, de soulager, de libérer, de sauver.

Le 1er et le 2 novembre 1853, cette intuition fondamentale commence à prendre corps en des projets plus précis : organiser une association de prières en faveur de l'Église souffrante, fonder une famille religieuse. Les cinq preuves attendues de Dieu lui sont données, et dès lors rien ne pourra plus entraver sa réponse. Cependant, quelle épreuve, lorsque, laissant la maison paternelle et ses affections les plus chères, elle ne trouve à Paris qu'amertume et déception ! Le groupe, dont elle avait rêvé de faire le noyau de sa future congrégation, se révèle inapte à l'entreprise. Journées douloureuses que celles où elle éprouve comment les rêves les plus audacieux, conçus pour le service de Dieu, risquent de se briser définitivement au contact des contingences humaines. Alors que la certitude qui la soutenait semble s'effriter, une assurance nouvelle entre en elle, fondée non plus sur les motifs humains, mais sur l'appui d'en-haut. La présence du Seigneur se manifeste par des signes indubitables : il lui parle par la voix de l'Archevêque de Paris et de guides autorisés. Si plusieurs des premières compagnes manquent d'une vocation véritable, d'autres se présentent d'une vertu solide et possédant toutes les garanties de sérieux et de générosité. L'installation à la Barouillère en 1856 donne à l'entreprise son départ définitif, mais il manque encore aux premières Auxiliatrices le cadre d'une règle religieuse et les lumières d'un homme expérimenté. La Providence leur obtient les règles de saint Ignace et leur envoie un religieux averti pour en surveiller l'application. Au presbytère d'Ars, d'où il observe attentivement les premiers pas de la fondation, Jean-Marie Vianney exulte ; pénétrant l'avenir de son regard de voyant, il suit en esprit les cheminements rapides et sûrs de la petite société. Il approuve son apostolat auprès des malades, inauguré deux jours seulement après l'arrivée à la Barouillère, et déclare : « Cette œuvre est une pensée d'amour jaillie du Cœur de Jésus ».

Désormais la vie de Marie de la Providence est vouée à la tâche, chaque jour plus lourde, de la direction et de l'organisation de sa congrégation, de l'orientation de son travail, du soutien de ses premières fondations. Il s'agit à la fois d'établir les fondements spirituels inébranlables, garants des fruits à venir, et de mener ses filles vers les formes d'activité que le Seigneur leur indique. L'appel des missions de Chine, comment y résister, puisqu'elles promettent à la fois de plus ardus sacrifices et une plus abondante moisson d'âmes ? Le départ des premières Auxiliatrices missionnaires l'emplit d'émotion et d'allégresse, car elle devine qu'il contribuera de manière insigne à la plus grande gloire de Dieu. Trois ans après l'arrivée à Shanghaï et la prise en charge du Seng Mou Yeu, s'ouvre, comme preuve indéniable des bénédictions divines, le second noviciat des Auxiliatrices.

Pendant que son Institut étend ses ramifications en France et à l'étranger, Marie de la Providence gravit son calvaire, rongée par un mal, qui la torture sans pitié. Même accablée par la souffrance, elle garde extérieurement sa tranquille assurance, sa ferveur contagieuse, sa gaieté. Personne mieux qu'elle ne sait créer dans une communauté l'esprit de famille simple et cordial, consoler toutes les peines, répandre la confiance et la paix. Cependant, dans le secret de son âme, la présence divine enlève peu à peu tous les autres appuis intérieurs, la prive de toute consolation sensible, la brûle dans la souffrance physique et morale, comme dans un purgatoire qui consommera sa vocation. Son directeur spirituel la soutient alors de sa parole énergique, l'exhorte à accepter sans réserve la volonté du Seigneur sur elle, à répondre sans hésitation aux sacrifices demandés. « Par la grâce de Dieu, écrira-t-elle, il n'y a pas une pensée dans mon esprit, pas un sentiment dans mon cœur, qui ne soient tout à Lui ». Pendant de longs mois, elle renouvelle sans lassitude le don d'elle-même et l'acceptation de ses douleurs, comme pour épuiser toutes les ressources de son être, ne rien y laisser qui ne soit sacrifié pour les âmes du Purgatoire. Ainsi amasse-t-elle le trésor, d'où se répandront aussi à profusion les faveurs spirituelles sur celles qui la suivront et continueront dans la voie qu'elle a tracée.

Dans tous les pays où elles essaiment, les Auxiliatrices s'efforcent d'« aider à tout bien, quel qu'il soit », suivant les nécessités locales et les inspirations de la Providence : visite et soin des malades à domicile, instruction religieuse des enfants et des adultes, centres de formation catéchétique, service social sous toutes ses formes, enseignement primaire et secondaire dans les missions, jardins d'enfants, foyers pour les jeunes. À leurs activités elles ont su dès le début associer les laïcs désireux d'imprégner leur vie du même esprit, de participer avec le même zèle au service de l'Église militante et souffrante.

Quiconque poursuit ainsi le dépouillement de tout intérêt personnel et de tout égoïsme et se consacre sans réserve à l'œuvre rédemptrice universelle, connaîtra, comme Marie de la Providence, la souffrance et l'épreuve, mais aussi l'invincible sécurité de qui s'est établi sur la force de Dieu même et attend avec une humble confiance l'heure du triomphe sans fin : « In te Domine speravi, non confundar in aeternum ».

Telle est la grâce que Nous vous souhaitons, chères Filles, à vous ici présentes, à toutes les communautés de votre Institut, à toutes les personnes qui bénéficient du rayonnement bienfaisant de votre action. En gage des faveurs divines, que Nous appelons sur vous par l'intercession de la Bienheureuse Marie de la Providence, Nous vous accordons de tout cœur Notre paternelle Bénédiction Apostolique.


* Discours et messages-radio de S. S. Pie XII, XIX,
Dix-neuvième année de Pontificat, 2 mars 1957 - 1er mars 1958, pp. 239-242
Typographie Polyglotte Vaticane

 



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