CONFÉRENCE DE PRESSE DU PAPE BENOÎT XVI
À BORD DE L'AVION EN VOL VERS L'ESPAGNE
Vol papal
Samedi 6 novembre 2010
P. Lombardi. Votre Sainteté, soyez le bienvenu à cette traditionnelle rencontreavec nos collègues journalistes audébut de ce beau voyage. Il s’agit d’un voyage bref, mais qui suscitebeaucoup d’intérêt. Je peux direque, selon les informations desderniers jours, plus de 3000 journalistesreprésentant plus de 300titres sont accrédités en Espagnepour le suivre, entre Saint-Jacqueset Barcelone. Il y a donc véritablementun grand intérêt. Et ici, envol, avec vous, se trouvent 61 journalistes,61 collègues, parmi lesquelsil y a naturellement une importantereprésentation espagnole:huit collègues espagnols accréditésà Rome qui voyagent avec vous, ethuit collègues espagnols venus exprèsd’Espagne pour suivre tout levoyage, y compris ce vol avecvous. Je voudrais signaler la présencede la télévision de Galice etde la télévision de Catalogne, quiassureront la retransmission complètedes événements de ce voyageégalement par leur travail, et nousleur sommes très reconnaissants.
Alors, comme d’habitude, jevous propose certaines questionsqui ont été formulées par nos collèguesces jours-ci et que nousavons ensuite choisies en suivantun critère d’intérêt commun pourapporter des éclaircissements surle sens de ce voyage. Commençonsnaturellement par Saint-Jacques-de-Compostelle:
Votre Sainteté, dans le message aurécent Congrès des sanctuaires qui se déroulait précisément à Saint-Jacques-de-Compostelle (cf.ORLFn. 39 du 28 septembre 2010), vousavez déclaré vivre votre pontificat«avec des sentiments de pèlerins».Dans votre devise également, figure la coquille du pèlerin. Pouvez-vousnous parler de la perspective du pèlerinage, notamment dans votre vie personnelleet dans votre spiritualité, et dessentiments qui vous animent en tantque pèlerin à Saint-Jacques?
Le Saint-Père. Bonjour! Je pourrais dire qu’êtreen chemin est déjà inscrit dans mabiographie — Marktl, Tittmoning,Aschau, Traunstein, Munich, Freising,Bonn, Münster, Tübingen, Ratisbonne,Munich, Rome — maissans doute ceci est quelque chosed’extérieur. Toutefois, cela m’a faitpenser au caractère instable de cettevie, être en chemin... Naturellement,contre le pèlerinage, on pourrait dire:Dieu est partout, il n’y a pas besoind’aller dans un autre lieu. Maisil est également vrai que la foi, paressence, est une «existence de pèlerin».
La Lettre aux Hébreux démontrece qu’est la foi dans la figured’Abraham, qui quitte sa terre et demeure un pèlerin vers l’avenir pendanttoute sa vie; et ce mouvementd’Abraham demeure dans l’acte defoi, c’est un pèlerinage avant tout intérieur,mais qui doit s’exprimer égalementde l’extérieur. Parfois, sortirdu quotidien, du monde de l’utile,de l’utilitarisme, sortir uniquementpour être réellement en chemin versla transcendance; se transcender soi-même,transcender le quotidien ettrouver ainsi une nouvelle liberté, untemps de réflexion intérieure, d’identificationde soi, pour voir l’autre,Dieu, et c’est également toujours cequ’est le pèlerinage: non seulementsortir de soi, pour aller vers le plusgrand, mais également aller ensemble.Le pèlerinage rassemble: nousallons ensemble vers l’autre et ainsi,nous nous retrouvons réciproquement.Il suffit de dire que les cheminsde Saint-Jacques sont un élémentdans la formation de l’unitéspirituelle du continent européen.Ici, en pèlerinage, ils se sont trouvés,ils ont trouvé l’identité commune européenne,et aujourd’hui aussi, cemouvement renaît, ce besoin d’êtreen mouvement spirituellement etphysiquement, de se trouver l’un l’autre et de trouver ainsi le silence, la liberté, le renouveau, et de trouverDieu.
P. Lombardi. Merci, Votre Sainteté. Et maintenanttournons notre regard vers Barcelone.Quelle signification peut avoir la consécrationd’un temple comme la SainteFamille au début du XXIe siècle? Est-cequ’il y a un aspect spécifique de la visionde Gaudí qui vous a frappé enparticulier?
Le Saint-Père. En réalité, cette cathédrale estaussi un signe précisément pour notretemps. Je trouve surtout trois élémentsdans la vision de Gaudí.
Le premier, cette synthèse entrecontinuité et nouveauté, tradition etcréativité. Gaudí a eu le courage des’inscrire dans la grande traditiondes cathédrales, d’oser à nouveau,dans son siècle — avec une vision totalementnouvelle — cette réalité: lacathédrale, lieu de la rencontre entreDieu et l’homme, dans une grandesolennité; et ce courage de resterdans la tradition, mais avec unenouvelle créativité, qui renouvelle latradition et démontre ainsi l’unité del’histoire et le progrès de l’histoire,est une belle chose.
Deuxièmement. Gaudí voulait cetrinôme: livre de la nature, livre desEcritures, livre de la liturgie. Et cettesynthèse, précisément aujourd’hui,est d’une grande importance. Dansla liturgie, les Ecritures deviennentprésentes, deviennent réalité aujourd’hui : ce ne sont plus les Ecrituresd’il y a deux mille ans, mais ellesdoivent être célébrées, réalisées. Etdans la célébration des Ecritures, lacréation parle, la création parle ettrouve sa véritable réponse, car,comme nous le dit saint Paul, lacréature souffre, et, au lieu d’être détruite,méprisée, elle attend les enfantsde Dieu, c’est-à-dire ceux quila voient dans la lumière de Dieu.Et ainsi — je pense —, cette synthèseentre le sens de la création, les Ecritureset l’adoration, est précisémentun message très important pour aujourd’hui.
Et enfin, — troisième point — cettecathédrale est née d’une dévotion typiquedu XIXe siècle: saint Joseph, lasainte Famille de Nazareth, le mystèrede Nazareth. Mais précisémentcette dévotion d’hier, pourrait-on dire,est d’une très grande actualité,car le problème de la famille, du renouveaude la famille comme cellulefondamentale de la société, est legrand thème d’aujourd’hui et nousindique où nous pouvons aller, aussibien dans la construction de la sociétéque dans l’unité entre foi et vie,entre religion et société. La familleest le thème fondamental qui s’exprimeici, en proclamant que Dieului-même s’est fait fils dans une familleet nous appelle à construire etvivre la famille.
P. Lombardi. Gaudí et la Sainte Famille représententde manière concrète et particulière le binômefoi-art. Comment la foi peut-elleretrouver aujourd’hui sa place dans lemonde de l’art et de la culture? Est-cel’un des thèmes importants de votrepontificat?
Le Saint-Père. Il en est ainsi. Vous savez quej’insiste beaucoup sur la relation entrefoi et raison, que la foi, et la foichrétienne, n’a son identité que dansl’ouverture à la raison, et que la raisondevient elle-même si on la transcendevers la foi. Mais la relationentre foi et art est tout aussi importante,car la vérité, but et objectif dela raison, s’exprime dans la beauté etdevient elle-même dans la beauté, seprouve comme vérité. Là où se trouvela vérité doit donc naître la beauté,là où l’être humain se réalise demanière correcte, bonne, il s’exprimedans la beauté. La relation entre véritéet beauté est inséparable et nousavons donc besoin de la beauté.Dans l’Eglise, depuis le début, égalementdans la grande modestie etpauvreté de l’époque des persécutions,l’art, la peinture, l’expressiondu salut de Dieu dans les images dumonde, le chant, et ensuite égalementles édifices, tout cela est constitutifpour l’Eglise et reste constitutifpour toujours. Ainsi l’Eglise a étéla mère des arts pendant des siècleset des siècles: le grand trésor de l’artoccidental — que ce soit la musique,l’architecture ou la peinture — est néde la foi à l’intérieur de l’Eglise. Aujourd’hui, il y a un certain «désaccord», mais cela fait du mal aussibien à l’art qu’à la foi: l’art qui perdraitla racine de la transcendancen’irait plus vers Dieu, ce serait unart diminué, il perdrait sa racine vivante;et une foi qui ne posséderaitque l’art du passé, ne serait plus unefoi dans le présent; et aujourd’huielle doit s’exprimer à nouveau commevérité, qui est toujours présente.C’est pourquoi le dialogue ou larencontre, je dirais l’ensemble, entreart et foi est inscrit dans l’essence laplus profonde de la foi; nous devonsfaire tout ce qui est possible pourqu’aujourd’hui aussi, la foi s’exprimeà travers un art authentique, commeGaudí, dans la continuité et dans lanouveauté, et que l’art ne perde pasle contact avec la foi.
P. Lombardi. Actuellement est en train d'être mis enplace le nouveau dicastère pour la«nouvelle évangélisation». Et beaucoupse sont demandés si l'Espagne, avec lesdéveloppements de la sécularisation etla diminution rapide de la pratique religieuse,est l'un des pays auquel vousavez pensé comme objectif de ce nouveaudicastère, voire si elle en seraitl'objectif principal. Voilà la questionque nous nous posons.
Le Saint-Père. Avec ce dicastère, j'ai pensé aumonde tout entier, parce que la nouveautéde la pensée, la difficulté deréfléchir sur les concepts des Ecritures,de la théologie, est universelle,mais il y a naturellement un centreet il s'agit du monde occidental avecson sécularisme, sa laïcité et la continuitéde la foi qui doit essayer de serenouveler pour être une foi d'aujourd'huiet pour répondre au défide la laïcité. En Occident, tous lesgrands pays vivent chacun à leurmanière ce problème: nous avons eupar exemple les voyages en France,en République tchèque, au Royaume-Uni, où le même problème estprésent partout de manière spécifiqueà chaque nation, à chaque histoire,et cela vaut aussi et de manièreforte pour l'Espagne. L'Espagne aété, depuis toujours, un pays «originaire» de la foi; rappelons-nous quela renaissance du catholicisme àl'époque moderne advint surtoutgrâce à l'Espagne; des figures commesaint Ignace de Loyala, sainteThérèse d'Avila et saint Jean d'Avila,sont des personnalités qui ont réellementrenouvelé le catholicisme, ontformé la physionomie du catholicismemoderne. Mais il est aussi vraiqu'en Espagne sont nés égalementune laïcité, un anticléricalisme, unsécularisme fort et agressif, commenous l'avons vu précisément dans lesannées Trente, et ce débat, voire ceconflit entre foi et modernité, toutesdeux très vives, se réalise encore aujourd'huide nouveau en Espagne:c'est pourquoi l'avenir de la foi et dela rencontre — non pas le conflit,mais la rencontre entre foi et laïcité— trouve un point central égalementdans la culture espagnole. En cesens, j'ai pensé à tous les grandspays d'Occident, mais surtout égalementà l'Espagne.
P. Lombardi. Avec le voyage à Madrid de l'annéeprochaine pour la Journée mondiale dela jeunesse, vous aurez accompli troisvoyages en Espagne, ce qui n'est le caspour aucun autre pays. Pourquoi untel privilège? Est-ce un signe d'amourou d'inquiétude particulière?
Le Saint-Père. C'est naturellement un signed'amour. On pourrait dire que c'estle hasard qui a fait que je suis venutrois fois en Espagne. La première,pour la grande rencontre internationaledes familles, à Valence: commentle Pape pourrait-il être absent,si les familles du monde se rencontrent?L'année prochaine la JMJ, larencontre de la jeunesse du monde,à Madrid, et le Pape ne peut êtreabsent à cette occasion. Et, enfin,nous avons l'Année sainte de saintJacques, nous avons la consécration,après plus de cent ans de travaux,de la cathédrale de la Sagrada Familiade Barcelone, comment le Papepourrait-il ne pas venir? En soi, parconséquent, les occasions sont desdéfis, presque une obligation à honorer,mais le fait que ce soit précisémenten Espagne que se concentrentun si grand nombre d'occasions,montre aussi que c'est véritablementun pays plein de dynamisme,plein de force de la foi, et la foirépond aux défis qui sont égalementprésents en Espagne; c'est pourquoinous disons: le hasard a fait en sorteque je vienne, mais ce hasard démontreune réalité plus profonde, laforce de la foi et la force du défipour la foi.
P. Lombardi. Merci, Très Saint-Père. Voulez-vous àprésent ajouter quelque chose pour conclurenotre rencontre? Y a-t-il un messageparticulier que vous espérez adresserà l'Espagne et au monde d'aujourd'huiavec ce voyage?
Le Saint-Père. Je dirais que ce voyage a deuxthèmes. Le thème du pèlerinage, del'être en chemin, et le thème de labeauté, de l'expression de la véritéde la beauté, de la continuité entretradition et renouveau. Je pense queces deux thèmes du voyage sont aussiun message: être en chemin, nepas perdre le chemin de la foi, chercherla beauté de la foi, la nouveautéet la tradition de la foi qui saits'exprimer et sait rencontrer la beautémoderne, avec le monde d'aujourd'hui.Merci.
P. Lombardi. Merci à vous, Très Saint-Père, d'avoirpassé du temps avec nous et de nousavoir aussi apporté de si belles réponses.Je crois que ce voyage est en particulierun beau voyage en raison desthèmes qu'il affronte, pour les momentsque nous allons vivre ensemble et jecrois que nous tous qui sommes présentsici comme communicateurs, nous essaieronsd'accompagner et de collaborer dela meilleure façon possible afin de pouvoirtransmettre votre message de joie etd'espérance. Votre Sainteté, merci!
© Copyright 2010 - Libreria Editrice Vaticana
Copyright © Dicastero per la Comunicazione - Libreria Editrice Vaticana