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MESSAGE DU PAPE JEAN-PAUL II 
AUX PAYS SIGNATAIRES DE 
L'ACTE FINAL D'HELSINKI

Vendredi, 14 novembre 1980

 

1. L’Église Catholique, en raison de sa mission religieuse de caractère universel, se sent profondément obligée à aider les hommes et les femmes de notre temps à faire progresser les grandes causes de la paix et de la justice sociale pour rendre le monde toujours plus accueillant et plus humain. Ce sont-là de nobles idéaux auxquels aspirent ardemment les peuples et qui sont tout particulièrement l’objet de la responsabilité des gouvernements des divers pays; et en même temps, à cause des mutations des situations historiques et sociales, leur réalisation a besoin, pour être toujours plus adaptée, de l’apport continuel de nouvelles réflexions et de nouvelles initiatives, qui auront d’autant plus de valeur qu’elles découleront d’un dialogue multilatéral et constructif.

Si l’on réfléchit sur les multiples facteurs qui concourent à la paix et à la justice dans le monde, on est frappé par l’importance toujours plus grande prise, sous cet aspect, par l’aspiration partout répandue à voir assurée l’égale dignité de tout homme et de toute femme dans la façon de se partager les biens matériels et dans la jouissance effective des biens spirituels, et donc des droits inaliénables correspondants.

Au thème des droits de l’homme, et en particulier à celui de la liberté de conscience et de religion, l’Église catholique a consacré, ces dernières décennies, une réflexion approfondie, stimulée par l’expérience quotidienne de vie de l’Église elle-même et des croyants de toute région et de tout milieu social. Sur ce thème, l’Église désire présenter aux hautes Autorités des pays signataires de l’Acte final d’Helsinki quelques considérations particulières en vue de favoriser un sérieux examen de la situation actuelle de cette liberté afin qu’elle puisse être assurée efficacement partout. Elle le fait en ayant conscience de répondre à l’engagement commun, contenu dans l’Acte final, de “promouvoir et d’encourager l’exercice effectif des libertés et droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et autres qui découlent tous de la dignité inhérente à la personne humaine et qui sont essentiels à son épanouissement libre et intégral”; et elle entend ainsi s’inspirer du critère qui reconnaît “l’importance universelle des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont le respect est un facteur essentiel de la paix, de la justice et du bien-être nécessaires pour assurer le développement de relations amicales et de la coopération entre eux, comme entre tous les États”.

2. On relève avec satisfaction que, au cours des dernières décennies, la Communauté internationale, qui manifeste un intérêt croissant pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, a pris attentivement en considération le respect de la liberté de conscience et de religion dans certains documents bien connus, parmi lesquels:

a) la Déclaration universelle de l’ONU sur les droits de l’homme, du 10 décembre 1948 (article 18);

b) le Pacte international sur les droits civils et politiques, approuvé par les Nations Unies le 16 décembre 1966 (article 18);

c) l’Acte final de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, signé le 1er août 1975 (“Questions relatives à la sécurité en Europe, 1 a); Déclaration sur les principes qui régissent les relations mutuelles des États participants: VII. Respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction”).

En outre, dans cet Acte final, dans le secteur de la coopération relatif aux “contacts entre personnes”, il y a un paragraphe en vertu duquel les Etats participants “confirment que les cultes religieux et les institutions et organisations religieuses, agissant dans le cadre constitutionnel des États participants, et leurs représentants peuvent, dans le domaine de leur activité, avoir entre eux des contacts et des rencontres et échanger des informations”.

Ces documents internationaux reflètent, du reste, la conviction qui s’est manifestée de plus in plus dans le monde avec l’évolution progressive de la problématique concernant les droits de l’homme dans la doctrine juridique et dans l’opinion publique des divers pays, si bien que le principe du respect de la liberté de conscience et de religion est aujourd’hui reconnu, dans sa formulation fondamentale, en même temps que le principe de l’égalité entre les citoyens, dans la plupart des Constitutions des États.

D’après l’ensemble des formulations que l’on trouve dans les instruments juridiques, nationaux et internationaux, mentionnés ci-dessus, il est possible de mettre en évidence les éléments qui donnent à la liberté religieuse un cadre et une dimension adaptés à son plein exercice.

En premier lieu, il apparaît clairement que le point de départ pour la reconnaissance et le respect de cette liberté est la dignité de la personne humaine, qui ressent l’exigence intérieure, indestructible, d’agir librement “selon les impératifs de sa propre conscience”[1]. L’homme est amené, en se fondant sur ses propres convictions, à reconnaître et à suivre une conception religieuse ou métaphysique dans laquelle est impliquée toute sa vie en ce qui concerne les choix et les comportements fondamentaux. Cette réflexion intime, même si elle n’aboutit pas à une affirmation de foi en Dieu explicite et positive, ne peut pas ne pas être tout de même objet de respect au nom de la dignité de la conscience de chacun, dont le mystérieux travail de recherche ne saurait être jugé par d’autres hommes. Ainsi, d’une part, tout homme a le droit et le devoir de s’engager dans la recherche de la vérité, et, d’autre part, les autres hommes et la société civile sont tenus de respecter le libre épanouissement spirituel des personnes.

Cette liberté concrète se fonde sur la nature même de l’homme dont le propre est d’être libre, et elle demeure - selon les termes de la Déclaration du Concile Vatican II - “même chez ceux qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer; son exercice ne peut être entravé, dès lors que demeure sauf un ordre public juste”[2].

Un deuxième élément, non moins fondamental, est constitué par le fait que la liberté religieuse s’exprime par des actes qui ne sont pas seulement intérieurs ni exclusivement individuels, puisque l’être humain pense, agit et communique en relation avec les autres; la “profession” et la “pratique” de la foi religieuse s’expriment par une série d’actes visibles, qu’ils soient personnels ou collectifs, privés ou publics, qui donnent naissance à une communion avec des personnes de même foi, établissant un lien d’appartenance du croyant avec une communauté religieuse organique; ce lien peut avoir différents degrés, diverses intensités, selon la nature et les préceptes de la foi ou conviction à laquelle on adhère.

3. L’Église catholique a synthétisé le fruit de sa réflexion sur ce sujet dans la Déclaration “Dignitatis Humanae” du Concile œcuménique Vatican II, promulguée le 7 décembre 1965, document qui a pour le Siège Apostolique une valeur particulière d’obligation.

Cette déclaration a été précédée de l’encyclique “Pacem in Terris”, du Pape Jean XXIII, datée du 11 avril 1963, qui insistait solennellement sur le fait que “chacun a le droit d’honorer Dieu suivant la juste règle de sa conscience”.

La même déclaration du Concile Vatican II a été reprise ensuite par divers documents du Pape Paul VI, par le message du Synode des Évêques de 1974 et, plus récemment, par le message adressé à l’Assemblée de l’Organisation des Nations Unies à l’occasion de la visite papale du 2 octobre 1979, et qui en rappelait le contenu essentiel:

“En vertu de leur dignité, tous les hommes, parce qu’ils sont des personnes, c’est-à-dire doués de raison et de volonté libre, et, par suite, pourvus d’une responsabilité personnelle, sont pressés, par leur nature même, et tenus, par obligation morale, à chercher la vérité, celle tout d’abord qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu’ils la connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de cette vérité”[3].

“De par son caractère même, en effet, l’exercice de la religion consiste avant tout en des actes, intérieurs volontaires et libres par lesquels l’homme s’ordonne directement à Dieu: de tels actes ne peuvent être ni imposés ni interdits par aucun pouvoir purement humain. Mais la nature sociale de l’homme requiert elle-même qu’il exprime extérieurement ces actes internes de religion, qu’en matière religieuse il ait des échanges avec d’autres, qu’il professe sa religion sous une forme communautaire”[4].

“Ces paroles - était-il encore ajouté dans ce discours à l’ONU - touchent au fond même du problème. Elles prouvent également de quelle façon la confrontation entre la conception religieuse du monde et la conception agnostique ou même athée, qui est l’un des “signes des temps” de notre époque, pourrait conserver des dimensions humaines, loyales et respectueuses, sans porter atteinte aux droits essentiels de la conscience de tout homme ou toute femme qui vivent sur la terre”[5].

En cette même occasion était exprimée la conviction que le “respect de la dignité de la personne humaine semble requérir que, lorsque la teneur exacte de l’exercice de la liberté religieuse est discutée ou définie en vue de l’établissement de lois nationales ou de conventions internationales, les institutions qui par nature sont au service de la vie religieuse soient partie prenante”. Et cela parce que, lors-qu’il s’agit de donner corps au contenu de la liberté religieuse, si on omet la participation de ceux qui y sont le plus directement intéressés et qui en ont une expérience et une responsabilité particulières, on risque de déterminer des applications arbitraires et “d’imposer, dans un domaine aussi intime de la vie de l’homme, des normes ou des restrictions contraires à ses vrais besoins religieux”[6].

4. A la lumière des prémisses et des principes indiqués ci-dessus, le Siège Apostolique estime que c’est son droit et son devoir d’envisager une analyse des éléments spécifiques qui correspondent au concept de “liberté religieuse” et qui en sont l’application, dans la mesure où ils découlent d’exigences des personnes et des communautés ou dans celle où ils sont requis par leurs activités concrètes. Dans l’expression et dans la pratique de la liberté religieuse, on relève en effet la présence d’aspects individuels et communautaires, privés et publics, étroitement liés entre eux, en sorte que la jouissance de la liberté religieuse englobe des dimensions connexes et complémentaires:

a) Sur le plan personnel, il faut tenir compte de:

- la liberté d’adhérer ou non à une foi déterminée et à la communauté confessionnelle correspondante;

- la liberté d’accomplir, individuellement et collectivement, en privé et en public, des actes de prière et de culte, et d’avoir des églises ou des lieux de culte autant que le requièrent les besoins des croyants;

- la liberté des parents d’éduquer leurs enfants dans les convictions religieuses qui inspirent leur propre vie, ainsi que la possibilité de faire fréquenter l’enseignement catéchétique et religieux donné par la communauté;

- la liberté des familles de choisir des écoles ou d’autres moyens qui assurent à leurs enfants cette éducation sans devoir subir, directement ou indirectement, des charges supplémentaires telles qu’elles empêchent en fait l’exercice de cette liberté;

- la liberté pour les personnes de bénéficier de l’assistance religieuse partout où elles se trouvent, notamment dans les lieux publics de soins (cliniques, hôpitaux), dans les casernes militaires et dans les services obligatoires de l’État, comme dans les lieux de détention;

- la liberté de ne pas être contraint, au plan personnel, civique ou social, d’accomplir des actes contraires à sa propre foi, ni de recevoir un type d’éducation, ou d’adhérer à des groupes ou associations, qui ont des principes en opposition avec ses propres convictions religieuses;

- la liberté de ne pas subir, pour des raisons de foi religieuse, des limitations et des discriminations, par rapport à d’autres citoyens, dans les diverses manifestations de la vie (pour tout ce qui concerne la carrière, qu’il s’agisse d’études, de travail, de profession; participation aux responsabilités civiques et sociales, etc.).

b) Sur le plan communautaire, il faut considérer que les confessions religieuses, réunissant les croyants d’une foi déterminée, existent et agissent comme corps sociaux qui s’organisent selon des principes doctrinaux et des fins institutionnelles qui leur sont propres.

L’Église, comme telle, et les communautés confessionnelles en général, ont besoin, pour leur vie et pour la poursuite de leurs propres fins, de jouir de libertés déterminées, parmi lesquelles il faut citer en particulier:

- la liberté d’avoir sa propre hiérarchie interne ou ses ministres correspondants librement choisis par elles, d’après leurs normes constitutionnelles;

- la liberté, pour les responsables de communautés religieuses - notamment, dans l’Église catholique, pour les évêques et les autres supérieurs ecclésiastiques - d’exercer librement leur propre ministère, de conférer les ordinations sacrées aux prêtres ou ministres, de nommer aux charges ecclésiastiques, de communiquer et d’avoir des contacts avec ceux qui adhèrent à leur confession religieuse;

- la liberté d’avoir ses propres instituts de formation religieuse et d’études théologiques, dans lesquels puissent être librement accueillis les candidats au sacerdoce et à la consécration religieuse;

- la liberté d’annoncer et de communiquer l’enseignement de la foi, par la parole et par l’écrit, même en dehors des lieux de culte,

- la liberté de recevoir et de publier des livres religieux touchant la foi et le culte, et d’en faire librement usage;

- la liberté d’annoncer et de communiquer l’enseignement de la foi, par la parole et par l’écrit, même en dehors des lieux de culte, et de faire connaître la doctrine morale concernant les activités humaines et l’organisation sociale: ceci, en conformité avec l’engagement contenu dans l’Acte final d’Helsinki, de faciliter la diffusion de l’information, de la culture et des échanges de connaissances et d’expériences dans le domaine de l’éducation, et qui correspond en outre, dans le domaine religieux, à la mission évangélisatrice de l’Église;

- la liberté d’utiliser dans le même but des moyens de communication sociale (presse, radio, télévision);

- la liberté d’accomplir des activités d’éducation, de bienfaisance, d’assistance qui permettent de mettre en pratique le précepte religieux de l’amour envers ses frères, spécialement envers ceux qui sont le plus dans le besoin.

En outre:

- pour tout ce qui concerne les communautés religieuses qui, comme l’Église catholique, ont une Autorité suprême, possédant au plan universel, comme le prescrit leur foi, la responsabilité d’assurer, par le magistère et la juridiction, l’unité de la communion qui lie tous les Pasteurs et les croyants dans la même confession: la liberté d’avoir des rapports réciproques de communication entre cette Autorité et les Pasteurs et les communautés religieuses locales, la liberté de diffuser les actes et les textes du magistère (encycliques, instructions...);

- au plan international: la liberté d’échanges de communication, de coopération, de solidarité de caractère religieux, avec notamment la possibilité de rencontres et de réunions de caractère multinational ou universel;

- au plan international également, la liberté d’échanger, entre les communautés religieuses, des informations et des contributions de caractère théologique ou religieux.

5. La liberté de conscience et de religion, avec les éléments concrets indiqués ci-dessus, est, comme on l’a dit, un droit primaire et inaliénable de la personne; bien plus, dans la mesure où elle atteint la sphère la plus intime de l’esprit, on peut même dire qu’elle soutient la raison d’être, intimement ancrée dans chaque personne, des autres libertés. Naturellement, une telle liberté ne peut être exercée que d’une façon responsable, c’est-à-dire en accord avec les principes éthiques, et en respectant l’égalité et la justice, celles-ci pouvant être renforcées par le dialogue déjà mentionné avec les Institutions qui, par leur nature, servent la vie religieuse.

6. L’Eglise catholique - qui n’est pas limitée à un territoire déterminé et n’a pas de frontières, mais comprend des hommes et des femmes répandus dans toutes les régions de la terre - sait, par une expérience multiséculaire, que la suppression, la violation ou les limitations de la liberté religieuse ont provoqué des souffrances et des amertumes, des épreuves morales et matérielles, et qu’aujourd’hui même il y a des millions de personnes qui en souffrent; au contraire, sa reconnaissance, sa garantie et son respect apportent la sérénité aux personnes et la paix à la communauté sociale, et elles constituent un facteur non négligeable pour renforcer la cohésion morale d’un pays, pour accroître le bien commun du peuple et pour enrichir dans un climat de confiance la coopération entre les différentes nations.

En outre, une saine application du principe de la liberté religieuse servira aussi à favoriser la formation de citoyens qui, dans la pleine reconnaissance de l’ordre moral, “sachent obéir à l’autorité légitime et aient à cœur la liberté authentique; des hommes qui, à la lumière de la vérité, portent sur les choses un jugement personnel, agissent en esprit de responsabilité, et aspirent à tout ce qui est vrai et juste, en collaborant volontiers avec d’autres”[7].

La liberté religieuse bien comprise servira par ailleurs à assurer l’ordre et le bien commun de chaque pays, de chaque société, puisque les hommes, lorsqu’ils se sentent protégés dans leurs droits fondamentaux, sont mieux disposés à se consacrer au travail pour le bien commun.
Le respect de ce principe de la liberté religieuse servira encore au renforcement de la paix internationale, qui, comme on peut le lire dans le discours aux Nations Unies déjà cité, est au contraire menacée par n’importe quelle violation des droits de l’homme, en particulier par l’injuste distribution des biens matériels et par la violation des droits objectifs de l’esprit, de la conscience humaine, de la créativité humaine, y compris la relation de l’homme avec Dieu. Seule la plénitude des droits garantie effectivement à tout homme sans discrimination peut assurer la paix jusque dans ses fondements.

7. Dans cette perspective, le Saint-Siège, par l’exposé qui précède, entend rendre service à la cause de la paix, en souhaitant que cela contribue à l’amélioration d’un secteur si significatif de la vie humaine et sociale, et, par contre-coup, de la vie internationale.

Est-il besoin de dire que le Siège Apostolique n’a aucunement l’idée ni l’intention de manquer d’égard envers les prérogatives souveraines des États? Au contraire, l’Église éprouve une profonde sollicitude pour la dignité et pour les droits de chacune des nations, au bien desquelles elle désire contribuer et s’engage à contribuer.

Le Saint-Siège veut ainsi inviter à la réflexion afin que les Autorités civiles responsables des divers pays voient dans quelle mesure les considérations exposées ci-dessus doivent faire l’objet d’un sérieux examen. Si la réflexion peut porter à reconnaître la possibilité d’une amélioration de la situation actuelle, le Saint-Siège se déclare tout disponible, avec un esprit ouvert et sincère, à entamer dans ce but un dialogue fructueux.

Du Vatican, le 1er septembre 1980.

IOANNES PAULUS II


[1] Cf. texte de l'Acte final cité ci-dessus à la lettre c.

[2] Dignitatis Humanae, n.2.

[3] Ibid.

[4] Ibid., n.3.

[5] Discours à la XXXIVe Assemblée Générale de l'ONU, n. 20.

[6] Ibid.

[7] Dignitatis Humanae, n.8.

 

 

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