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LETTRE DU PAPE PAUL VI
AU
PROFESSEUR ÉTIENNE GILSON
 

Au vénéré Professeur Étienne Gilson, notre Fils en Jésus-Christ

L'écoulement du temps n'a pas éclipsé, malgré votre modestie, les mérites que vous vous êtes acquis par votre si longue et si vaste activité intellectuelle comme par votre fidélité exemplaire à l'Eglise. En rendant grâces au Seigneur pour ces années si bien remplies et qui ont si efficacement contribué au rayonnement de la pensée chrétienne, nous tenons aujourd'hui à vous exprimer personnellement une estime que nous nourrissons depuis longtemps pour vous et une reconnaissance que vous doit 1'Eglise.

Votre enseignement dans les Universités françaises, et notamment à la Sorbonne et au Collège de France, ou encore à Harvard, puis à Toronto où vous avez fondé l'«Institute of Medieval Studies», sans oublier les leçons que vous avez données à notre Université du Latran; les «Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen-Age», fondées et longtemps dirigées par vos soins; enfin et surtout les œuvres denses que vous avez publiées, vous classent au premier rang parmi ceux qui ont initié nos contemporains aux richesses, souvent oubliées ou dédaignées, de la philosophie médiévale. L'Eglise, experte en humanité, ne peut que s'en réjouir.

Entre les divers représentants de cette philosophie, vos préférences se sont orientées d'emblée vers saint Thomas. Vous avez su mettre en évidence l'originalité du thomisme en montrant comment le Docteur Angélique - éclairé par la révélation chrétienne, en particulier par le dogme de la création et par ce que vous appelez «la métaphysique de I'Exode» - était arrivé à la notion géniale et vraiment novatrice de 1'«acte d'être», ipsum esse. Dès lors sa philosophie se situait sur un plan tout autre que celle d'Aristote. Vous avez ainsi ravivé une source de sagesse dont notre société technique tirerait grand profit, fascinée qu'elle est par l'«avoir», mais souvent aveugle sur le sens de l'«être» et sur ses racines métaphysiques.

Votre intérêt ne s'est d'ailleurs pas limité à saint Thomas. Saint Augustin, saint Bernard, saint Bonaventure, Duns Scot ont également fait l'objet de vos études. De ces travaux, comme de ceux, plus généraux, sur «la philosophie au Moyen-Age» et sur «l'esprit de la philosophie médiévale», une grande idée se dégage qui nous est particulièrement chère: la foi n'est pas, pour la pensée, pour la culture humaine, une entrave ou un éteignoir, mais une lumière et un stimulant. C'est dans le contexte de la théologie, à la lumière de la Révélation, que la pensée philosophique, chez saint Thomas notamment, a atteint ses sommets. Comme nous voudrions que les jeunes générations, fatiguées des idéologies athées, redécouvrent à cette école la fécondité de la foi en même temps que la confiance dans la raison qui est un don du Créateur!

Votre œuvre, du reste, si riche et si variée, et qui vous a valu depuis longtemps l'honneur de siéger à l'Académie Française, de devenir membre de l'Académie romaine de Saint Thomas d'Aquin et de Religion catholique, et de recevoir tant de distinctions universitaires, montre bien comment la foi accueille et favorise le plus authentique humanisme. Votre regard de philosophe et d'historien s'est porté sur les sujets les plus divers, dès lors qu'ils touchaient la qualité de l'homme et de la civilisation: les lettres - comment ne pas évoquer ici vos études sur Dante? -, l'art, le langage, la biologie, la culture de masse ont suscité chez vous réfléxion et publications. Comme votre ami Maritain, vous avez su faire entendre aux chrétiens d'aujourd'hui, et à beaucoup d'hommes de bonne volonté, si souvent troublés et déroutés, des paroles de bon sens, de sagesse, de fidélité.

Par dessus tout, cher Professeur, - c'est un des points qui nous émeut le plus dans la conjoncture actuelle - vous avez déployé votre activité et manifesté votre foi chrétienne au sein de 1'Eglise catholique que vous avez toujours considérée comme une mère. Vous avez reçu d'elle, avec confiance, tout ce qu'elle pouvait vous dispenser des mystères de Dieu. Vous avez loyalement travaillé pour elle, lui rendant l'un des plus éminents services que requiert sa pastorale de la pensée. Vous avez porté témoignage en sa faveur. Vous avez souffert, et souffrez avec elle, de ce qui la défigurait. Vous n'avez cessé de lui porter confiance et affection.

Que le Seigneur fasse germer ce que vous avez semé avec tant de patience! Qu'il fasse fructifier votre témoignage! Qu'il suscite d'autres témoins vigoureux de la pensée chrétienne! Et qu'il vous comble vous-même de sa paix! Pour nous, de tout cœur, en gage de ces dons et en témoignage de notre fidèle vénération, nous vous adressons notre affectueuse Bénédiction Apostolique.

Du Vatican, le 8 Août 1975.

PAULUS PP. VI



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