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DISCOURS DU PAPE PAUL VI
AUX PARTICIPANTS À LA SEMAINE D’ÉTUDE
DE L’ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES
SUR LES «FORCES MOLÉCULAIRES»

Samedi 23 avril 1966

 

En vous accueillant, Messieurs, au terme de votre semaine d’étude sur les «Forces moléculaires», Notre intention n’est pas - vous vous en doutez - de Nous hasarder à pénétrer sur le terrain scientifique qui est le vôtre, mais bien plutôt de vous dire l’estime que l’Eglise professe envers vos personnes, l’intérêt avec lequel elle suit vos travaux, le désir qui l’anime de faire tout ce qui dépend d’elle pour favoriser l’heureux déroulement et le constant- progrès de vos recherches au sein de l’Académie pontificale des Sciences.

Ce souci était, vous le savez, celui de l’éminent fondateur de cette Académie, le grand Pape Pie XI. Il fut celui de ses deux successeurs, et Nous n’avons pas à vous rappeler ici les discours magistraux par lesquels, au cours de son long et glorieux pontificat, Notre prédécesseur Pie XII tint à illustrer chacune de vos sessions.

Avec l’avènement du Pape Jean XXIII, dont Nous avons recueilli la lourde succession, un élément assez nouveau - on peut le dire - est intervenu dans les rapports de l’Autorité ecclésiastique avec le monde scientifique.

Ce n’est plus seulement le chef visible de l’Eglise, dans des discours isolés, c’est l’épiscopat mondial, réuni en Concile, qui a eu à se prononcer sur l’attitude de l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui, et notamment en présence des développements modernes de la culture et à l’égard de ce qui fait l’objet des travaux auxquels vos vies sont si noblement consacrées: la recherche scientifique. Les conclusions de ce vaste «examen de conscience» de l’Eglise en ce domaine ont été consignées dans un document qui mérite, pensons-Nous, toute votre attention, et dont plusieurs d’entre vous ont sans doute déjà pris connaissance: la constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui.

Envisageant dans sa seconde partie un certain nombre de problèmes concrets qui se posent à l’Eglise de notre temps, cet important document aborde le domaine de la culture. Il salue d’abord l’essor de celle-ci et l’avènement de ce qu’on peut appeler un «nouvel humanisme». Mais il signale aussitôt la complexité des problèmes qui en sont la conséquence, celui-ci notamment, qui Nous semble avoir pour vous un intérêt tout spécial: «Comment - y est-il dit - comment l’émiettement si rapide et croissant des disciplines spécialisées peut-il se concilier avec la nécessité d’en faire la synthèse et avec le devoir de sauvegarder dans l’humanité les puissances de contemplation et d’admiration qui conduisent à la sagesse?» (N. 56 § 4).

On peut dire que ce bref paragraphe situe parfaitement, l’un en face de l’autre, le point de vue du savant spécialisé - le vôtre - et celui de l’Eglise. Vous êtes - et c’est votre honneur - soucieux avant tout de faire progresser le savoir humain, d’assurer continuellement de nouvelles acquisitions dans chacune de ses branches: il s’ensuit, par la force des choses, cet «émiettement rapide et croissant» dont parle le document conciliaire. L’Eglise, elle, est avant tout soucieuse de synthèse, car elle a pour mission de sauvegarder l’harmonie et l’équilibre de la créature raisonnable, de l’aider à s’élever jusqu’à cette «sagesse» supérieure, découlant de la révélation divine dont elle est la dépositaire.

Elle voit les risques d’une trop grande spécialisation et les obstacles que celle-ci peut apporter à l’élan de l’âme vers le spirituel.

Dans l’intérêt de l’homme, l’Eglise veut à tout prix sauver ces «puissances de contemplation et d’admiration» dont une civilisation purement technique risquerait de faire bon marché. Elle craint surtout, comme une mère soucieuse du véritable bien de ses enfants, «que l’homme, se fiant trop aux découvertes actuelles, ne vienne à penser qu’il se suffit à lui-même et qu’il n’a plus à chercher de valeurs plus hautes» (ibid. n. 57 § 5). Ce sont encore les propres termes de la Constitution sur l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui, et ils nous introduisent au cœur du débat entre l’Eglise et la science. L’Eglise interroge: que vaut exactement, demande-t-elle, la recherche scientifique? Jusqu’où arrive-t-elle? Epuise-t-elle toute la réalité, ou plutôt n’en est-elle qu’un segment, celui des vérités qui peuvent être atteintes par les procédés scientifiques? Et ces vérités elles-mêmes, si justement chères à l’homme de science, sont-elles au moins définitives? ou ne seront-elles pas détrônées demain par quelque nouvelle découverte? Que de leçons nous donne là-dessus l’histoire des sciences!

Et puis, cette étude du chercheur spécialisé, si admirable, si approfondie qu’elle soit, donne-t-elle, i la fin, la raison des choses qu’elle découvre? Que d’étoiles dans le ciel! Certes. Mais comment et pourquoi? Que de merveilles dans l’anatomie et la physiologie du corps humain? Sant doute. Mais pourquoi le corps humain? Mais pourquoi l’homme? Ici, la science est muette, et elle doit l’être, sous peine de sortir de son domaine. Elle s’arrête au seuil des questions décisives: qui sommes-nous? d’où venons-nous? où allons-nous?

Ne croyez pas, Messieurs, qu’en soulevant ces interrogations, Nous voulions le moins du monde mettre en doute la valeur de la méthode scientifique. Plus que quiconque, l’Eglise se réjouit de toute véritable acquisition de l’esprit humain, dans quelque domaine que ce soit. Elle reconnaît et apprécie grandement l’importance des découvertes scientifiques.

L’effort d’intelligence et d’organisation nécessaire pour aboutir à de nouveaux résultats en ce domaine est, de sa part, objet d’encouragement et d’admiration. Car elle n’y voit pas seulement l’emploi magnifique de l’intelligence: elle y découvre aussi l’exercice de hautes vertus morales, qui confèrent au savant l’aspect et le mérite d’un ascète, parfois d’un héros, auquel l’humanité doit payer un large tribut de louange et de reconnaissance.

Dans son dialogue avec le monde de la science, l’Eglise ne se borne pas à assigner à la recherche scientifique sa place exacte dans l’univers de la connaissance, à en préciser les limites et à en reconnaître les mérites. Elle a encore une parole à dire à l’homme de science sur sa mission dans l’univers créé par Dieu.

Il est trop évident que la science ne se suffit pas à elle-même: elle ne saurait être à elle-même sa propre fin. La science n’existe que par et pour l’homme; elle doit sortir du cercle de sa recherche et déboucher sur l’homme, et par là sur la société et sur l’histoire tout entière.

La science est reine dans son domaine. Qui songerait à le nier? Mais elle est servante par rapport à l’homme, roi de la création. Si elle refusait de servir, si elle ne visait plus au bien et au progrès de l’humanité, elle deviendrait stérile, inutile, et, disons-le, nuisible.

Les conséquences de cette mission de service sont incalculables, et il faudrait aborder ici - mais les trop courts instants dont Nous disposons ne Nous le permettent pas - l’immense problème de la moralité des applications de la science. Qu’il s’agisse de génétique, de biologie, d’emploi de l’énergie atomique, et de tant d’autres domaines qui touchent à ce qu’il y a d’essentiel dans l’homme, le savant loyal ne peut pas ne pas s’interroger devant l’incidence de ses découvertes sur ce complexe psycho-physiologique qui est en définitive une personne humaine. Tout est-il permis? La science appliquée peut-elle faire abstraction d’une norme de moralité, peut-elle aller sans frein «au delà du bien et du mal»? Qui ne voit à quelles aberrations certains pourraient se livrer au nom de la science?

Mais l’Eglise n’attend pas seulement de la science qu’elle ne porte pas atteinte à la moralité, au bien profond de l’être humain. Elle attend d’elle un service positif, ce qu’on pourrait appeler la «charité du savoir». Vous êtes, Messieurs, ceux qui détiennent les clés de la plus haute culture. Nous osons Nous faire en ce moment auprès de vous l’avocat des masses innombrables auxquelles n’arrivent que de loin et rarement quelques gouttes, quelques miettes de ce vaste savoir humain.

Permettez que Nous vous disions en leur nom: cultivez la recherche, mais afin qu’elle profite aux autres, afin que la lumière de la vérité découverte se répande, afin que le genre humain en soit instruit, amélioré, perfectionné; que l’économie politique des peuples y puise des directives conduisant plus sûrement au véritable bien des hommes. Tel est l’immense panorama qui se découvre à l’homme de science lorsque, sortant de son laboratoire pour jeter les yeux autour de lui, il perçoit quelque chose de l’attente des hommes: attente qui soulève les cœurs et les ouvre à l’espérance et à la joie, non sans laisser place parfois, il faut bien le dire, à un sentiment d’inquiétude et d’anxiété.

Cette inquiétude, cette anxiété, seront dissipées le jour où l’humanité saura et sentira que l’homme de science est animé envers elle d’un sincère esprit de service, qu’il ne désire rien tant que l’éclairer, la soulager, assurer son progrès et son bonheur.

Vous vous souvenez sans doute, Messieurs, de ce «message aux hommes de la pensée et de la science» qui fut proclamé le jour de la clôture du Concile. Avant de se disperser, l’imposante assemblée se tournait vers vous pour vous laisser cette instante exhortation: «Continuez à chercher sans vous lasser, sans désespérer jamais de la vérité . . . Cherchez la lumière de demain avec la lumière d’aujourd’hui, jusqu’à la plénitude de la lumière!». Et les Pères du Concile ajoutaient: «Nous sommes les amis de votre vocation de chercheurs, les alliés de vos fatigues, les admirateurs de vos conquêtes, et, s’il le faut, les consolateurs de vos découragements, et de vos échecs».

Cette dernière phrase a pu vous étonner: la recherche scientifique n’apporte-t-elle pas avec elle sa récompense? Le savant n’est-il pas payé de sa peine par les hautes satisfactions d’ordre intellectuel attachées à son travail?

L’Eglise pourtant nous apporte une sagesse supérieure, source de joies incomparablement plus hautes encore. Votre vie de savants se passe, peut-on dire, à lire dans le grand livre de la nature. Nous avons, nous, un autre livre, celui qui nous communique les pensées de Dieu sur le monde: le livre inspiré, le livre saint. Ce livre-là donne les réponses décisives que la science ne peut pas donner.

Permettez-Nous, Messieurs, d’ouvrir devant vous, en terminant, une page de ce livre: celle où l’auteur inspiré décrit l’ivresse qu’il ressentit dans son âme lorsqu’il lui fut donné d’accéder à cette sagesse, supérieure à toute connaissance humaine, que vous avez entendu le Concile évoquer tout à l’heure.

«J’ai prie, dit-il, et la prudence m’a été donnée; j’ai invoqué, et l’esprit de sagesse est venu en moi. Je l’ai préférée aux sceptres et aux couronnes, et j’ai estimé de nul prix les richesses auprès d’elle . . . Tout l’or du monde n’est, comparé à elle, qu’un peu de sable, et l’argent, à côté d’elle, sera estimé pour de la boue. Je l’ai aimée, plus que la santé et la beauté; j’ai préféré la posséder plutôt que la lumière, car son flambeau ne s’éteint jamais. Avec elle me sont venus tous les biens . . . Je l’ai apprise sans arrière-pensée, je la communique sans envie . . . Elle est pour les hommes un trésor inépuisable: ceux qui l’acquièrent s’attirent l’amitié de Dieu» (Livre de la Sagesse, VII, 7-14).

Que cette sagesse soit votre compagne fidèle dans vos labeurs ardus, Messieurs. C’est Notre désir et Notre souhait, tandis que Nous invoquons de Dieu sur vos personnes, vos familles et vos travaux, les bénédictions les plus abondantes.

* * *

Il Nous est agréable de récompenser, en présence de cette assemblée, le professeur Allun Rex Sandage, savant de renommée mondiale, dont les mérites ont été reconnus déjà par des sociétés astronomiques américaines, et auquel Nous allons remettre, en reconnaissance pour l’importante contribution de ses recherches au progrès scientifique, la «Médaille Pie XI».

                                              



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