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DISCOURS DU PAPE PAUL VI
AUX SUPÉRIEURES GÉNÉRALES DES
CONGRÉGATIONS RELIGIEUSES FÉMININES

Mardi 7 mars 1967

 

C’est un auditoire vraiment exceptionnel que vous Nous offrez aujourd’hui, chères Filles, Supérieures Générales venues de plus de soixante pays, et déléguées par l’ensemble des Congrégations religieuses féminines - plus de 2.2OO! - qui existent aujourd’hui dans l’Eglise!

En songeant au capital spirituel de foi, de piété, de dévouement, que vous représentez en vos personnes; à la variété des vocations et des œuvres; à la richesse du trésor de mérites accumulés, jour après jour, par les milliers d’âmes consacrées qui se sanctifient dans les Instituts qui vous ont mandatées, une foule de réflexions et de sentiments se pressent dans Notre esprit et sur Nos lèvres, et Nous voudrions, pour vous les exprimer comme il convient, n’être pas retenu, comme Nous le sommes, par les limites d’une brève audience. Que du moins Nos premiers mots soient ceux de la reconnaissance envers Dieu et envers toutes et chacune d’entre vous, pour la vision vraiment réconfortante et riche de promesses que vous Nous offrez aujourd’hui, et qui Nous apparaît comme un repos et un rafraîchissement sur le rude sentier de Nos travaux apostoliques. Votre «Union», née le jour même de la clôture du récent Concile œcuménique, se présente à Nous comme l’un des premiers et des meilleurs fruits de cette mémorable assemblée. Et Nous attendons de la mise en commun de vos enquêtes et de vos expériences un pas décisif dans la voie de cet «aggiornamento» souhaité par Notre Prédécesseur Jean XXIII et par Nous-même, et tracé avec une autorité incomparable, en ce qui vous concerne, dans le Décret Conciliaire Perfectae caritatis sur le renouveau et l’adaptation de la vie religieuse.

Sans Nous attarder au détail des révisions et mises à jour qui vous sont demandées et qui font l’objet de vos travaux, Nous voudrions vous inviter, pendant les quelques instants qui Nous sont accordés, à tourner avec Nous les yeux vers ce qui est l’essentiel: le sens religieux de vos vies consacrées.

Ce qui distingue la vie religieuse, c’est qu’elle tend à la perfection de l’amour divin par la voie des conseils évangéliques. Saint Thomas remarque qu’il y a deux façons d’aimer Dieu parfaitement: la première, c’est celle des bienheureux au Ciel, qui portent sans cesse en acte - actualiter - leur cœur vers Dieu: perfectio patriae; la seconde, c’est la perfectio viae, celle des voyageurs que nous sommes, qui s’efforcent de porter leur cœur de façon habituelle - habitualiter - vers Dieu, en évitant ce qui serait contraire à cet amour. La perfection à laquelle tendent les conseils, ajoute-t-il, est comme une voie moyenne entre ces deux états: c’est celle de l’homme qui s’arrache, autant qu’il le peut, aux choses temporelles, même permises, qui occupent l’âme et l’empêchent de se porter en acte vers Dieu (S. Th., Summa Theol., IIª IIæ, q. 44, art. 4, ad 2 et 3).

Cette perfection, c’est la vôtre. C’est celle qu’il vous faut inculquer aux âmes qui se confient à vous. Elle comporte quelque chose d’absolu, de total - totalitas quaedam - un amour unique, auquel le cœur est tout entier donné et auquel il faut sans cesse revenir pour vivre en profondeur et en vérité la vie religieuse.

Dans un monde qui tend à s’affranchir des impératifs absolus, et à considérer toutes les valeurs comme relatives, l’âme consacrée, fixée en Dieu par les vœux, apparaît, peut-on dire, comme ancrée dans l’absolu. Et c’est dans cette lumière que se manifeste peut-être le mieux le caractère proprement «religieux» imprimé à sa vie.

Elle pourra être vouée, par vocation aussi bien que par obéissance, aux œuvres extérieures d’enseignement, de charité, de bienfaisance: ce qui donnera son prix à ses activités, c’est la charité intérieure qui les inspirera, et donc la valeur de son union à Dieu.

C’est vous dire, chères Filles, qu’un certain degré de vie contemplative, de dialogue intérieur d’amour de l’âme avec son Dieu, est inhérent à toute forme de vie religieuse. C’est ce qu’affirme d’ailleurs avec autorité le Décret Perfectae caritatis, lorsqu’il exhorte toutes les âmes consacrées à vivre pour Dieu seul: soli Deo vivant. «Il faut, ajoute-t-il, que les membres de tout Institut - cuiuslibet Instituti - cherchant avant tout et uniquement Dieu, joignent à l’amour apostolique qui les pousse à s’associer à l’œuvre de la Rédemption et à étendre le Royaume de Dieu, la contemplation par laquelle ils adhèrent à lui de cœur et d’esprit» (§ 5).

Comment, direz-vous, dans le monde trépidant d’aujourd’hui, inculquer à nos religieuses ce primat de la contemplation?

Vous aurez d’abord le souci d’assurer les conditions extérieures qui la rendent possible. Vous vous efforcerez de favoriser le recueillement, suivant des modes qui peuvent varier d’institut à institut, mais qui doivent sauvegarder en toute hypothèse des lieux et des temps de silence. C’est un point auquel les conditions de la vie moderne obligent à donner la plus grande attention.

La liturgie est aussi et doit rester, avec l’Ecriture Sainte, l’un des aliments substantiels où se nourrit la contemplation. On a dénoncé à bon droit (J. et R. Maritain: Liturgie et contemplation - Desclée de Brouver, 1959) l’objection factice qui consiste à opposer la prière publique de l’Eglise à l’oraison mentale. Ces deux grandes réalités surnaturelles doivent être associées et non pas divisées. D’une part la prière liturgique - maintenant surtout que chacune peut y participer plus pleinement - est une aide précieuse pour les âmes contemplatives dans leur ascension spirituelle.

Et par une sorte de causalité réciproque, rien ne dispose l’âme à participer fructueusement à la liturgie, comme l’habitude de la vie intérieure.

On peut en dire autant de ce qui fait l’objet même de l’apostolat de la plupart de vos familles religieuses. En servant les pauvres, les malades, les enfants, en se dépensant au service de l’Eglise, l’âme consacrée grandit dans l’amour de Dieu, dans le désir de le mieux posséder; et en retour, cet ardent désir d’aimer et de posséder Dieu est le meilleur stimulant de nos activités, quelles qu’elles soient, au service du prochain.

Enfin la forme de vie communautaire elle-même apporte aux âmes consacrées une occasion permanente de grandir dans l’amour et de se disposer à la contemplation. Et cela est vrai pour celles qui exercent l’autorité, aussi bien que pour celles qui y sont soumises: car obéissance et autorité dans la vie religieuse sont l’une et l’autre en fonction de l’amour de Dieu, qui à la fois, les inspire et s’en nourrit. Ainsi comprise, la vie communautaire est un exemple et un témoignage permanent rendu à l’amour de Dieu, une démonstration, en quelque sorte, de ce que peut et doit être la vie parfaite en ce monde.

Ce témoignage, toutefois, ne sera intelligible que s’il se manifeste au dehors par des manières d’être et de vivre qui ne soient pas en opposition, comme il arrive parfois, avec l’esprit de l’Evangile, en ce qui concerne notamment la pauvreté. Nous savons que beaucoup d’entre vous s’en préoccupent. Nous les félicitons et les encourageons paternellement dans cette voie. Comme Nous l’avons dit en d’autres occasions, la pratique personnelle de la pauvreté religieuse ne suffit pas: il faut que la communauté tout entière porte ce témoignage, et qu’il soit nettement perceptible pour l’homme d’aujourd’hui.

Chères Filles, il n’est pas jusqu’à la tenue extérieure elle-même qui n’ait son influence sur la sauvegarde d’une vraie et authentique vie religieuse, Depuis le pontificat de Notre Prédécesseur le Pape Pie XII, des appels ont été adressés aux Instituts féminins, les invitant à adopter une tenue qui fût à la fois digne et conforme aux exigences de l’hygiène et aux conditions de la vie moderne. Ces appels ont été diversement accueillis par vos familles religieuses: depuis celles qui ont manifesté une certaine méfiance devant cet «aggiornamento» du vêtement, jusqu’à celles qui se sont laissé tenter par une excessive «mondanisation».

Des modifications sont, sans aucun doute, nécessaires. Qu’on ait soin, cependant, de ne pas aller d’un extrême à l’autre, et que l’habit religieux, par sa simplicité et sa modestie, reste toujours, selon la longue tradition de l’Eglise et la sage prescription du Décret Conciliaire, signum consecrationis: le signe visible, reconnaissable par tous, de l’état de -vie embrassé par la vierge consacrée.

Il ne Nous reste plus, chères Filles, qu’à invoquer les lumières d’En Haut sur les travaux de votre Assemblée. C’est de grand cœur que Nous le faisons, sans oublier de décerner à ceux qui en ont eu l’initiative - et Nous songeons principalement à Nos méritants collaborateurs de la Sacrée Congrégation des Religieux - l’a louange qui leur est due. Puisse le concours de tant de bonnes volontés, réunies pour promouvoir en cette période post-conciliaire l’essor de la vie religieuse, trouver les voies qui feront resplendir celle-ci d’un nouvel éclat aux yeux du monde, pour la gloire du Christ et de son. Eglise. C’est le vœu que Nous formons, en vous accordant, ainsi qu’à vos communautés et à toutes celles que vous représentez ici, une très paternelle Bénédiction Apostolique.

                                            



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