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DISCOURS DU PAPE PAUL VI
AUX EVÊQUES DE FRANCE (RÉGION D'OUEST)
EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Jeudi 17 mars 1977

 

Chers Frères dans le Christ,

Vous arrivez de l’Anjou, de la Bretagne, du Maine et de la Vendée. Merci, merci pour votre visite! Et vous ne venez pas seuls! Vous portez dans vos esprits et dans vos cœurs toutes les communautés chrétiennes urbaines et rurales dont vous avez reçu la charge. Que cette visite « ad limina » renouvelle en vous tous la grâce de l’ordination épiscopale, le charisme du service et de l’amour de votre peuple! Nous osons vous le dire: soyez heureux d’être Evêques, aujourd’hui dans un monde difficile, dans une période exigeante, épuisante, de l’histoire de l’Eglise.

Vous n’attendez pas de Nous un traité sur le ministère épiscopal de notre temps, mais quelques consignes jaillissant de notre cœur et répondant aux situations rencontrées dans cette région-ouest de la France.

Vos rapports quinquennaux, rédigés avec un grand souci de vérité et de précision, reflètent votre préoccupation de connaître et d’aimer tout ce qui fait la vie de vos diocésains. Certes, vous ne craignez pas votre peine. «Bonus pastor dat animam suam pro ovibus suis» (Jn 10. 11). Que de journées ou de soirées vous consacrez à la visite systématique de vos doyennés, à longueur d’années! Prêtres, religieux et religieuses, apôtres laïcs, jeunes travailleurs ou étudiants vous font entendre leurs bilans apostoliques, vous posent leurs questions sur l' Eglise et sur la société, mettent au point, devant vous et avec vous, leurs projets concrets de participation à l’évangélisation. Vous les accompagnez. Vous les éclairez. Vous les encouragez. Vous priez avec eux. Une telle proximité, une telle concertation sont sûrement bénéfiques pour votre peuple et pour vous. Sachez-le bien, Nous apprécions vivement votre zèle pastoral.

Quant à la réalité décrite dans la synthèse que vous Nous avez fait parvenir, elle traduit ce qu’il faut bien appeler une crise religieuse qui va de pair avec une crise sociale. Vous en êtes très conscients. Les traditions chrétiennes qui étaient fortes dans la plupart de vos diocèses se dégradent, durement secouées du dehors et du dedans de l’Eglise. Les mœurs et la mentalité subissent une évolution rapide, qui se mesure d’une génération à l’autre: qu’il suffise d’évoquer l’engagement dans le mariage. L’incroyance se répand: même ceux qui se présentent pour demander les sacrements en sont affectés. Beaucoup de jeunes, comme vous dites, «campent en dehors de l’Eglise». Tout cela suscite un désarroi bien compréhensible, encore que des signes de renouveau soient discernables.

Pour Nous, à la vue de ce diagnostic, notre sentiment dominant correspond à la mission qui Nous a été confiée: «Confirma fratres tuos». Alors oui, sûr des promesses du Seigneur qui valent pour tous les temps et pour toutes les crises, Nous vous disons de toutes nos forces: Gardez le courage! Ayez confiance! Reprenez l’initiative! Travaillez selon deux axes qui Nous semblent indispensables. D’une part, conservez ou restaurez les traditions chrétiennes, qui favorisent la vie spirituelle et gardent toute leur valeur. Ne constatez-vous pas encore la permanence d’un fond religieux populaire qu’il faut bien se garder de délaisser ou de mépriser, mais qu’il faut plutôt éduquer, revivifier? D’autre part, réédifiez l’Eglise, en suscitant une participation plus active dans vos communautés, mais sans omettre de tisser entre tous les membres des liens plus profonds, plus fraternels. Faites tout pour que les chrétiens de milieux sociaux différents ou qui n’en sont pas au même point dans leurs engagements sachent se comprendre, s’estimer, s’accueillir, s’aimer, s’entraider, dans la mise en œuvre de la foi qui leur est commune. L’Eglise ne se maintiendra, ne progressera, ne portera témoignage que dans l’unité et dans l’amour; d’ailleurs elle rend là un service capital à une société qui éclate, se durcit dans ses morcellements et où les structures proliférantes paralysent la rencontre des personnes. Votre office n’est-il pas de rassembler le Peuple de Dieu?

Ce programme, il faut le réaliser selon les voies heureusement tracées par le Concile Vatican II.

Vous avez raison de consacrer beaucoup de soin à la préparation des actes sacramentels: baptêmes, confirmations, mariages, liturgies dominicales. Vous tenez - votre Assemblée de Lourdes en témoigne vigoureusement - à ce que ces actes reprennent tout leur sens chrétien, soient célébrés avec la dignité qui convient et en rapport avec ce que vivent les participants. Nous savons que c’est éprouvant pour les pasteurs, lorsque la foi des «fidèles» ne semble pas à la hauteur de ces réalités spirituelles, mais c’est quand même primordial de tenter, dans ces grandes occasions, l’éducation de leur foi et de les mettre en contact avec ces sources de grâces, éclairées par la Parole de Dieu.

L’apostolat auprès des familles demeure également indispensable. La famille est toujours la cellule de base; c’est là que prennent racine, pour les enfants, les attitudes souvent décisives. Cela requiert de la part des pasteurs beaucoup de contacts, de sympathie, de dialogue. Mais ce sont surtout les foyers chrétiens eux-mêmes qui peuvent rayonner auprès des autres.

Certes la famille ne suffit pas à elle seule. Les adultes, les jeunes surtout, les enfants mêmes, développent leurs possibilités humaines et leur foi avec d’autres. Là, les associations catholiques sont indispensables pour la foi de leurs membres et pour l’apostolat de leurs semblables. Elles ont subi une crise, en nombre et en qualité. Certaines sont plutôt devenues des groupes d’acheminement vers une foi active, presque de catéchumènes; d’autres ont laissé s’infiltrer en elles des méthodes bien peu évangéliques. N’est-il pas possible d’opérer un redressement, ou de reconstruire des groupes qui correspondent aux besoins spirituels et apostoliques des différents chrétiens, avec une assistance spirituelle de choix?

La catéchèse garde évidemment sa place capitale. Heureusement, de nombreux volontaires ont accepté ce service dans leur quartier, dans leur milieu. Il reste qu’elle doit demeurer une vraie catéchèse, c’est-à-dire un chemin vers la foi, dans un amour réel de l’Eglise: c’est-à-dire la formation doctrinale et spirituelle intensive qu’il faut procurer aux catéchètes, en liaison avec les parents.

Nous tenons aussi à vous encourager au plan de l’enseignement catholique, encore florissant dans vos diocèses. Car les slogans ne manquent pas pour miner, de l’extérieur et parfois hélas! de l’intérieur, la confiance des catholiques de France dans la légitimité et la valeur des institutions chrétiennes d’enseignement. Et pourtant, que n’a pas fait l’Enseignement catholique pour se libérer de tout esprit concurrentiel, pour ouvrir ses portes à tous les enfants, pour qualifier ses Maîtres, pour développer ses recherches et ses expériences pédagogiques ! Nous croyons avec vous que vos Ecoles et Collèges catholiques sont un service d’Eglise parmi d’autres, et une chance pour la société contemporaine! Alors notre consigne est claire. Elle est inspirée d’une phrase, ou plutôt d’un cri du célèbre Cardinal Saliège - déjà adressé par Nous à des enseignants chrétiens, pèlerins de l’Année Sainte -: «Tenez bon! . . . Il faut tenir bon!».

Mais, direz-vous, comment mener à bien toutes ces tâches pastorales? C’est vrai, les ouvriers pour la moisson s’avèrent peu nombreux. C’est votre souci lancinant, c’est le nôtre. N’était-ce pas celui du Christ? Il est certain qu’il faut mieux mettre en œuvre les immenses ressources du laïcat: avons-nous exploré tous les services, toutes les responsabilités qu’ils peuvent assumer à leur place, dans l’animation de nos communautés et dans l’évangélisation du monde indifférent ou incroyant? Et surtout avons nous à cœur de les y préparer, de les former, grâce à toute une réflexion en Eglise?

Mais cela ne doit en aucune manière amoindrir votre recherche des vocations sacerdotales. N’acceptez pas que certains prennent leur parti du manque des vocations, ou fassent miroiter des solutions auxquelles l’Eglise n’a pas voulu se résoudre. Au contraire, les laïcs ne rempliront vraiment leurs tâches que dans la mesure où ils auront près d’eux des hommes de Dieu, entièrement consacrés au Royaume de Dieu, à l’animation spirituelle, à la cause de l’Evangile. Avez-vous pris les voies les plus adéquates pour éveiller de telles vocations, et permettre aux candidats la formation exigeante qui est requise? Vous dites dans l’un de vos rapports: «Il faut que nous ayons l’audace de proposer l’aventure de la foi».

Quant aux prêtres, vos coopérateurs immédiats, consacrez tous vos soins à les soutenir. Soyez l’ami de vos prêtres, le meilleur ami pour chacun d’eux. Une telle relation est déterminante pour leur bonheur, leur fidélité, leur rendement apostolique. Cette amitié ne saurait exclure les exigences. Au contraire, elle les appelle, les favorise. Le plus possible, vivez avec eux les retraites ou autres temps forts de ressourcement spirituel.

Aidez-les à se livrer à Dieu, à retrouver la certitude de leur appel «Viens . . . et suis-moi», la profondeur de leur consécration radicale, exclusive. Le monde cherche dans la nuit épaisse du matérialisme contemporain des raisons de vivre . . . Les jeunes courent les continents pour trouver des guides vers un absolu! Plus que jamais, les Evêques et leurs coopérateurs immédiats doivent ‘être des hommes de Dieu. C’est leur caractère spécifique, leur identité profonde, celle que les hommes espèrent rencontrer consciemment ou inconsciemment. La sainteté du clergé, c’est tout!

Nous aurions pu parler aussi des religieux et des religieuses. Ces dernières, très nombreuses dans vos régions de l’ouest, représentent encore un ensemble de forces vives considérable. Qu’elles se gardent bien de déserter les tâches pastorales: leur zèle et leur compétence féminine y sont indispensables pour l’essor équilibré de l’Eglise comme de la société!

Ce survol de votre vie pastorale voulait vous manifester notre estime et nos encouragements. Le ministère demande aujourd’hui, pour vous tous comme pour Nous, croyez-le bien, un surcroît de sacrifice, disons plutôt un surcroît d’espérance. Au milieu de cette période que d’aucuns comparent à un hiver, témoignons de l’espérance. C’est le test de la foi. Et demandons-la souvent à l’Esprit Saint, comme la grâce par excellence. Nous approchons de Pâques. La présence permanente du Christ ressuscité est notre force. C’est la certitude que l’Aube viendra. Réconfortez vos prêtres et vos fidèles dans cette foi, et assurez-les de notre affection, de notre confiance.

Merci encore, Frères, de votre visite. Et allons de l’avant: «in nomine Domini!». Que le Seigneur vous bénisse!

                                    



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