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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX REPRÉSENTANTS DU PEUPLE POLONAIS*

Salle Clémentine - Vendredi 28 juillet 1944

 

Il Nous serait bien difficile de trouver les paroles aptes à vous exprimer comme Nous la sentons, la vive et profonde émotion qui Nous étreint en ce moment, Fils très chers de la Pologne bien-aimée. Depuis les toutes premières alertes de l'horrible tourmente et à mesure que celle-ci, une fois déchaînée, sévissait de plus en plus furieuse, le regard du cœur tendu vers votre héroïque Nation. Nous suivions jour par jour, heure par heure, pourrions-Nous dire, dans la douleur et l'anxiété, le cours des événements qui l'accablaient, à peine ressuscitée et consolidée, de nouvelles et toujours plus dures épreuves. Mais pas plus que vous, Nous n'avons un seul instant désespéré d'une nouvelle résurrection de votre patrie, répétant avec vous le cri inspiré du juste souffrant : « Etiam si occiderit me, in ipso sperabo » (Iob 13, 15).

Qui eût pu prévoir que ces vicissitudes mêmes dussent vous amener aujourd'hui, avec vos illustres Chefs, du champ de bataille à la demeure du Père commun, après avoir donné des exemples magnifiques de religion et de piété, portant, sous l'habit de vaillants guerriers, le cœur des plus dévots pèlerins, pour offrir au successeur de Pierre le filial hommage de votre peuple.

À vous voir maintenant, pressés autour de Nous, Notre souvenir se reporte, cinq ans en arrière, à ce 30 septembre 1939, où la colonie polonaise de Rome venait, au milieu de ses angoisses, Nous apporter le témoignage de son imperturbable confiance et recevoir en retour Nos paroles de consolation et d'encouragement. Ce n'était alors pourtant que le prélude des douleurs, « initia dolorum » (cf. Mt 24, 8) et le flot de ces douleurs, montant, montant toujours, a submergé votre patrie : « intraverunt aquae usque ad animam meam » (Ps 68, 1). Malgré tout, après ces cinq longues années d'agonie, Nous pouvons, aujourd'hui comme alors, lire dans vos yeux la même confiance, la même fidélité, mais Nous y voyons briller, cette fois, la belle flamme de la noble fierté et de l'espérance.

En réalité, quoique votre sol national soit tout rouge du sang qui l'inonde, votre droit est si certain, que Nous avons le ferme espoir que toutes les nations prendront conscience de leur dette envers la Pologne, théâtre et trop souvent enjeu de leurs conflits, et que quiconque garde au cœur une étincelle de sentiment vraiment humain et chrétien tiendra à revendiquer pour elle toute la place qui lui est due, selon les principes de la justice et d'une véritable paix.

La vie des peuples est une succession continuelle d'ombre et de lumière ; nul plus que le vôtre ne présente ce clair-obscur dans son tragique passé. Parmi tant de vicissitudes, vos excellentes qualités : votre bravoure, votre esprit de sacrifice, votre patriotisme, vous ont sauvés dans les dangers extrêmes et jusque sur le bord de l'abîme. Relisez vos annales et retenez l'enseignement que vous verrez jaillir de l'histoire des temps meilleurs, comme celui du grand roi Casimir. Vous y trouverez qu'en ceci réside le précieux secret de la force nationale: un pouvoir qui n'a en vue que le vrai bien du peuple et, réciproquement, un peuple unanimement soumis avec confiance à ses chefs en vue du bien commun.

Mais Nous voyons surtout deux sources qui, aux heures les plus périlleuses, maintiennent chez vous la vie saine et forte. C'est d'abord l'énergie et la prudence de vos admirables femmes qui se sont montrées si souvent, dans le temps de la détresse, les fermes soutiens de votre espérance. Vos mères, vos sœurs, vos épouses, vos fiancées, au cours de ces années sombres, comme elles ont travaillé, comme elles ont souffert, comme elles ont prié pour vous et en union avec vous !

Et puis, c'est la vitalité de votre foi catholique bientôt millénaire. Elle date de cette année 966 où votre prince Mieszko I la reçut de l'Église Romaine et du souverain Pontife. Depuis, votre fidélité au Christ, à son Église, à son Vicaire est demeurée indéfectible. Elle a franchi la période troublée du XVIe siècle sans de graves dommages. Elle vous a coûté bien des combats soutenus avec intrépidité, bien des souffrances portées avec courage.

En dépit des problèmes, des préoccupations qui peuvent obscurcir encore l'horizon, Nous avons confiance que la Providence divine, en récompense de ces mille ans, vous fera goûter enfin la douceur d'une paix durable dans une heureuse prospérité. Elle vous en donne comme un avant-goût en cet instant même qui vous réunit auprès de Nous.

Halte bien brève au milieu de vos pénibles tribulations et de vos dures fatigues ; bien brève, oui, mais qui, Nous n'en doutons pas, vous laissera au cœur un parfum, un baume dont le bienfait ne passera pas aussi vite. Car ici, à Rome, en cette « Cité de Dieu » sur la terre, choisie par lui pour centre de son Église, tous les lieux, toutes les pierres parlent un langage auquel nul esprit chrétien ne saurait demeurer insensible. « Cité de Dieu » dont tous les citoyens, en dépit des divisions, des conflits d'intérêts, par-dessus les heurts inévitables en ce bas monde, sont tous frères, de la grande et véritable fraternité dans la charité du Christ, parce que tous sont également fils du Père qui est aux cieux, tous également frères et cohéritiers du Fils qui en est le fondateur, le sauveur et le roi.

C'est que, connaissant comme Nous le connaissons le noble cœur de votre peuple, Nous avons la conviction que l'amour du Christ saura vous inspirer ce que déjà la sagesse politique vous suggère. Il vous fera planer bien haut au dessus des calculs purement humains et dédaigner les âpres satisfactions des représailles et de la vengeance pour leur préférer la sublime tâche de faire valoir vos légitimes revendications, de relever et reconstituer votre patrie, de travailler en commun avec toutes les âmes droites, qui sont nombreuses en toutes les nations, à rétablir les relations fraternelles entre les membres de la grande famille de Dieu.

C'est en plaçant sous la protection de la Vierge Marie, Reine et Patronne de la Pologne, cette espérance d'un heureux avenir et en lui confiant Notre prière, que, du fond du cœur, Nous vous donnons à vous, à vos familles, à vos camarades, à tous ceux qui vous sont chers, à ceux qui, dans la patrie on dans l'exil, attendent votre retour, à tout le peuple Polonais enfin, en témoignage de Notre affection et en gage des faveurs divines, Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, VI,
Cinquième année de pontificat, 2 mars 1944 - 1er mars 1945, pp. 93-96
Typographie Polyglotte Vaticane



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