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DICASTÈRE POUR LA DOCTRINE DE LA FOI

UNA CARO

Éloge de la monogamie

Note doctrinale sur la valeur du mariage
comme union exclusive et appartenance réciproque

 

 

Index

Présentation

I. Introduction

II. La monogamie dans la Bible

La monogamie dans le chapitre 2 de la Genèse
Le symbolisme nuptial prophétique
La littérature sapientiale
La symbolique nuptiale du Nouveau Testament

III. Échos de l’Écriture dans l’histoire

Quelques réflexions de théologiens chrétiens
Premiers développements sur l’unité et la communion matrimoniale chez les Pères de l’Église
Quelques auteurs médiévaux et modernes
Le développement de la vision théologale dans les temps modernes
Interventions magistérielles

Premières interventions
Léon XIII
Pie XI
L’époque du Concile Vatican II
Saint Jean Paul II
Benoît XVI
François
Léon XIV

IV. Quelques regards tirés de la philosophie et des cultures

Dans la pensée chrétienne classique
Communion de deux personnes
Une personne entièrement référée à une autre
Face à face
La pensée de Karol Wojtyła
Plus loin
Autres regards

V. La parole poétique

VI. Quelques réflexions à approfondir

Appartenance réciproque

La transformation
La non-appartenance
Aide réciproque

Charité conjugale

Une forme particulière d’amitié
Dans le corps et l’âme
La fécondité multiforme de l’amour
Une amitié ouverte à tous

VII. Conclusion

 

Présentation

Voici un texte qui s’adresse à l’Église universelle, mais qui peut être pris en considération partout où se posent des défis culturels locaux. En effet, ce document prend au sérieux le contexte mondial actuel de développement du pouvoir technologique, dans lequel l’être humain est tenté de se considérer comme une créature sans limites, capable d’obtenir tout ce qu’il imagine. Dans cette ligne, la valeur d’un amour exclusif réservé à une seule personne, qui implique en soi le renoncement libre à de nombreuses autres possibilités, est facilement occultée.

En vérité, l’intention de cette Note est fondamentalement constructive : extraire des Écritures saintes, de l’histoire de la pensée chrétienne, de la philosophie et même de la poésie, des raisons et des motivations qui poussent à choisir une union d’amour unique et exclusive, une appartenance réciproque riche et totalisante.

Il s’agit d’un effort qui permettra d’enrichir la réflexion et l’enseignement sur le mariage sous un aspect encore peu étudié jusqu’ici. En même temps, cela pourra constituer pour les mouvements et les groupes de réflexion sur le mariage un matériel varié et utile à l’étude et au dialogue. Cela explique la longueur de la Note et le nombre d’auteurs et de textes qui ont été cités : certains pourront trouver ce choix excessif, mais nous pensons que chacun des auteurs et des textes cités peut apporter une nuance ou un accent différent qui stimule une réflexion sereine et un approfondissement prolongé.

Nous prendrons en considération les interventions les plus importantes du Magistère et une série d’auteurs depuis l’antiquité jusqu’à nos jours : théologiens, philosophes et poètes. Nous avons trouvé une grande richesse de réflexions qui valorisent l’union des époux, la réciprocité, la signification totalisante de la relation conjugale. Ainsi, les différents textes composeront une magnifique mosaïque, qui enrichira certainement notre compréhension de la monogamie.

Si, en revanche, on souhaite simplement lire une brève synthèse pour motiver le choix d’une union exclusive entre une seule femme et un seul homme, il suffira de lire le dernier chapitre et la conclusion de la présente Note, centrés sur l’appartenance réciproque des époux et sur la charité conjugale. Quoi qu’il en soit, nous nous permettons de suggérer la lecture attentive de la Note dans son intégralité, afin de saisir pleinement toute la portée des aspects qui entrent en jeu dans ce riche sujet.

Víctor Manuel Card. Fernández
Préfet

 

I. Introduction

1. [Una caro] “Une seule chair”, telle est la manière dont la Bible exprime l’unité matrimoniale. Dans le langage commun, “nous deux” est une expression qui apparaît plutôt lorsqu’il existe dans un mariage un fort sentiment de réciprocité, c’est-à-dire la perception de la beauté d’un amour exclusif, d’une alliance entre deux personnes qui partagent la vie dans son intégralité, avec toutes ses luttes et toutes ses espérances. “Nous deux” est une expression utilisée par une personne lorsqu’elle fait référence à des désirs, des souffrances, des idées et des rêves partagés : en un mot, lorsqu’elle se réfère à des expériences que seuls les conjoints ont vécues. Il s’agit là d’une manifestation verbale de quelque chose de plus profond : une conviction et une décision de s’appartenir mutuellement, d’être “une seule chair”, de parcourir ensemble le chemin de la vie. Comme l’a affirmé le Pape François, « les époux devraient également former une première personne du pluriel, un “nous”. Se tenir l’un devant l’autre comme un “je” et un “tu”, et se tenir devant le reste du monde, y compris les enfants, comme un “nous” ».[1] Cela se produit parce que, bien qu’il s’agisse de deux personnes différentes, deux individualités qui conservent chacune leur identité propre et inaliénable, elles ont forgé de leur plein gré une union qui les place ensemble face au monde. C’est une union qui s’ouvre généreusement aux autres, mais toujours à partir de cette réalité unique et exclusive du “nous” conjugal.

2. Saint Jean Paul II, dans son exposé sur la monogamie, a soutenu qu’elle « mérite d’être toujours plus approfondie ».[2] Cette indication sur la nécessité d’un traitement plus large de ce thème est l’une des motivations qui ont poussé le Dicastère pour la Doctrine de la Foi à préparer la présente Note doctrinale. En outre, à l’origine de ce texte, il y a, d’une part les différents dialogues avec les Évêques d’Afrique et d’autres continents sur la question de la polygamie, dans le cadre de leurs visites ad limina,[3] d’autre part le constat que différentes formes publiques d’unions non monogames – parfois appelées “polyamour” – se développent en Occident, en plus de celles, plus discrètes ou secrètes, qui ont été courantes au cours de l’histoire.

3. Mais ces raisons sont subordonnées à la première,car, bien comprise, la monogamie n’est pas simplement le contraire de la polygamie. Elle est bien plus que cela, et son approfondissement permet de concevoir le mariage dans toute sa richesse et sa fécondité. La question est intimement liée à la finalité unitive de la sexualité qui ne se réduit pas à garantir la procréation, mais qui aide à l’enrichissement, au renforcement de l’union unique et exclusive, et celui du sentiment d’appartenance réciproque.

4. Comme le stipule le Code de droit canonique, « les propriétés essentielles du mariage sont l’unité et l’indissolubilité ».[4] Un autre canon du même Code précise que le mariage est « un lien par sa nature perpétuel et exclusif ».[5] Il convient de souligner l’existence d’une bibliographie abondante sur l’indissolubilité de l’union conjugale dans la littérature catholique : ce thème a occupé une place beaucoup plus importante dans le Magistère, en particulier dans l’enseignement récent de nombreux Évêques face à la légalisation du divorce dans divers pays. En revanche, sur l’unité du mariage – c’est-à-dire le mariage compris comme une union unique et exclusive entre un seul homme et une seule femme –, on trouve peu de réflexions tant dans le Magistère que dans les manuels consacrés à ce sujet.

5. C’est pourquoi, dans le présent texte, nous avons choisi de nous centrer sur la propriété de l’unité et sur son écho dans la vie : la communion intime et totalisante entre les époux. Afin de ne pas attendre de cette Note quelque chose qu’elle n’a pas l’intention d’aborder, il est nécessaire d’insister sur le fait qu’elle ne traitera ni de l’indissolubilité conjugale – une union qui dure jusqu’à ce que la mort sépare les époux chrétiens – ni de la fin de la procréation : ces deux thèmes sont largement traités dans la théologie et dans le Magistère. La Note se centrera uniquement sur la première propriété essentielle du mariage, l’unité, qui peut être définie comme l’union unique et exclusive entre une seule femme et un seul homme, ou, en d’autres termes, comme l’appartenance réciproque des deux, qui ne peut être partagée avec d’autres.

6. Cette propriété est si essentielle et primordiale que le mariage est souvent défini simplement comme une “union”. Ainsi, la Summa Theologiae de saint Thomas d’Aquin affirme que « le mariage est l’union (coniunctio) maritale de l’homme et de la femme, contractée par des personnes légitimes, qui implique une communion de vie inséparable »,[6] et qu’« il en résulte donc que le mariage consiste en une sorte d’union entre deux êtres appelés mari et femme ».[7] Une définition similaire se trouvait déjà chez Justinien, qui rassemblait des opinions antérieures : « Les noces ou mariage sont l’union (coniunctio) de l’homme et de la femme, qui contient une communauté de vie indivisible ».[8] Plus près de nous, Dietrich von Hildebrand soutient que le mariage « est l’union la plus profonde et la plus intime entre des personnes humaines ».[9]

7. Déjà dans ces définitions classiques, nous voyons que l’unité des deux époux, en tant que donnée objective fondamentale et propriété essentielle de tout mariage, est appelée à s’exprimer et à se développer constamment comme une “communion de vie”, c’est-à-dire comme une amitié conjugale, une aide réciproque, un partage total qui, avec l’aide de la grâce, représente toujours davantage une autre union qui la transcende et l’englobe : l’union entre le Christ et son épouse bien-aimée, l’Église, le Peuple de Dieu pour lequel Il a versé son sang (cf. Ep 5, 25-32).

8. Saint Jean Paul II relie intimement ces deux aspects. En effet, si « en raison du pacte d’amour conjugal, l’homme et la femme “ne sont plus deux mais une seule chair” (Mt 19, 6; cf. Gn 2, 24)», dans le même temps « ils sont appelés à grandir sans cesse dans leur communion […], afin que croisse chaque jour en eux une union sans cesse plus riche à tous les niveaux».[10]

9. Dans cette Note, nous approfondirons donc à la fois l’unité comme propriété essentielle, réalité objective et constitutive du mariage, caractéristique première et fondatrice de toutes ses manifestations, autant que les différentes expressions de cette même unité qui enrichissent et renforcent l’alliance conjugale, rendant ainsi possible la perception de cette unité non pas comme un reflet monolithique de l’unité divine, mais comme l’expression du Dieu unique qui est communion dans les relations trinitaires.

10. Enfin, nous espérons que cette Note sur la valeur de la monogamie, adressée d’abord aux Évêques, qui traite d’un sujet aussi important et en même temps très beau, aidera les couples déjà mariés, les fiancés et les jeunes qui envisagent une future union à mieux saisir la richesse de la proposition chrétienne sur le mariage. Il est vrai que, pour beaucoup, un tel message pourra sembler étrange ou à contre-courant, mais nous pouvons lui appliquer les paroles suivantes de saint Augustin : « Donne-moi un cœur qui aime, et il sent la vérité de ce que je dis ».[11] D’ailleurs, une véritable passion pour la beauté de l’amour conjugal s’est exprimée dans le dévouement de nombreux croyants, hommes et femmes, clercs et laïcs, individuellement ou en groupes ecclésiaux, qui ont accompagné de nombreux couples dans leur cheminement de vie et ont également développé une spiritualité et une pastorale du mariage. Pour tous ces exemples lumineux, nous ne pouvons qu’exprimer notre sincère gratitude.

II. La monogamie dans la Bible

11. « Ils ne sont plus deux, mais une seule chair » (Mc 10, 8). Cette déclaration de Jésus sur le mariage traduit la beauté de l’amour, un ciment qui « donne sa solidité à cette communauté de vie et l’élan qui la porte vers une plénitude toujours plus parfaite ».[12] Instauré “au commencement”, dès la Création, le mariage apparaît comme une alliance conjugale voulue par Dieu, comme « sacrement du Créateur de l’univers, et donc inscrit précisément dans l’être humain lui-même, qui est orienté vers ce chemin, dans lequel l’homme abandonne ses parents et s’unit à sa femme pour former une seule chair, afin que les deux ne deviennent qu’une seule existence ».[13] Même si « on sait que l’histoire de l’Ancien Testament est le théâtre d’un abandon systématique de la monogamie »,[14] comme en témoignent les récits des Patriarches où l’on lit que, selon l’usage de l’époque, certains personnages avaient plusieurs femmes (cf. 2 S 3, 2-5 ; 11, 2-27 ; 15, 16 ; 1 R 11, 3), de nombreux passages de l’Ancien Testament célèbrent l’amour monogame et l’union exclusive : « Il y a soixante reines et quatre-vingts concubines ! (et des jeunes filles sans nombre.) Unique est ma colombe, ma parfaite » (Ct 6, 8-9a). Cela est également attesté par les exemples d’Isaac (cf. Gn 25, 19-28), Joseph (cf. Gn 41, 50), Ruth (cf. Rt 2-4), Ézéchiel (cf. Ez 24, 15-18) et Tobie (cf. Tb 8, 5-8). En outre, si d’un point de vue factuel et normatif, la monogamie n’a pas de bases solides dans l’Ancien Testament, au contraire ses fondements théologiques se développent en profondeur, et c’est la voie féconde qui sera suivie dans les réflexions à venir.[15]

La monogamie dans le chapitre 2 de la Genèse

12. À la racine du modèle monogame, le chapitre 2 du livre de la Genèse se présente comme un véritable manifeste anthropologique placé à l’incipit des Écritures. Il décrit le projet que le Créateur propose comme idéal à la liberté de la créature humaine. L’exclamation divine « il n’est pas bon que l’homme soit seul : je veux lui faire une aide (‘ēzer) qui lui corresponde » (Gn 2, 18), met clairement en lumière l’état dans lequel se trouve l’homme à peine sorti des mains de Dieu, à savoir un état de solitude-isolement. Malgré la présence d’autres êtres vivants, l’homme veut une aide qui lui corresponde (cf. Gn 2, 20), un allié vivant, unique et personnel, qu’il puisse regarder dans les yeux, comme le suggère le mot keneḡdô, généralement traduit par “semblable” ou “correspondant”, pour souligner la nécessité d’une rencontre dialogale des regards et des visages. En effet, « l’expression originelle en hébreu nous renvoie à une relation directe, presque “frontale” – les yeux dans les yeux – dans un dialogue également silencieux car, dans l’amour, les silences sont d’habitude plus éloquents que les paroles. C’est la rencontre avec un visage, un “tu” qui reflète l’amour divin et est “le principe de la fortune, une aide semblable à l’homme, une colonne d’appui”, comme dit un sage de la Bible(Si36, 24)».[16] L’homme cherche donc devant lui un visage irremplaçable, un “tu” avec lequel il peut tisser une véritable relation d’amour faite de don et de réciprocité.

13. Dans son commentaire sur ce passage de la Genèse, Benoît XVI affirme : « La première nouveauté de la foi biblique consiste […] dans l’image de Dieu ; la deuxième, qui lui est essentiellement liée, nous la trouvons dans l’image de l’homme. Le récit biblique de la Création parle de la solitude du premier homme, Adam, aux côtés duquel Dieu veut placer une aide. Parmi toutes les créatures, aucune ne peut être pour l’homme l’aide dont il a besoin, bien qu’il ait donné leur nom à toutes les bêtes des champs et à tous les oiseaux, les intégrant ainsi dans son milieu de vie. Alors, à partir d’une côte de l’homme, Dieu modèle la femme. Adam trouve désormais l’aide qu’il lui faut : “Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair” (Gn2, 23).[…]Dans le récit biblique, on ne parle pas de punition ; pourtant, l’idée que l’homme serait en quelque sorte incomplet de par sa constitution, à la recherche, dans l’autre, de la partie qui manque à son intégrité, à savoir l’idée que c’est seulement dans la communion avec l’autre sexe qu’il peut devenir “complet”, est sans aucun doute présente ».[17]

14. La conclusion du récit biblique - « l’homme quitte son père et sa mère et s’attache (dāḇaq) à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2, 24) - exprime bien ce besoin d’une union intime, d’un attachement physique et intérieur tel que le psalmiste l’adopte pour décrire l’union mystique avec Dieu : « Mon âme se presse contre toi (dāḇaq) » (Ps 63, 8 ; cf. 1 Co 6, 16-17). Comme l’affirme le Pape François, « le verbe “s’attacher” dans le texte original hébreu indique une étroite syntonie, un attachement physique et intérieur, à tel point qu’on l’utilise pour décrire l’union avec Dieu : “Mon âme se presse contre toi”, chante l’orant (Ps 63, 8). L’union matrimoniale est ainsi évoquée non seulement dans sa dimension sexuelle et corporelle, mais aussi en tant que don volontaire d’amour. L’objectif de cette union est “de parvenir à être une seule chair”, soit par l’étreinte physique, soit par l’union des cœurs et des vies et, peut-être, à travers l’enfant qui naîtra des deux et portera en lui, en unissant, non seulement génétiquement, mais aussi spirituellement, les deux “chairs” ».[18] Avec la formule “una caro”, le don réciproque et total du couple devient une relation exclusive et intégrale. Ainsi, en utilisant le terme évocateur d’’iššāh pour désigner la femme (cf. Gn 2, 23), l’auteur sacré a voulu rappeler que ces deux personnes constituent un couple, égales dans leur dignité fondamentale, mais différentes dans leur identité personnelle. La plénitude de l’union entre les êtres humains réside dans cette égalité faite de réciprocité nécessaire, dialogale et complémentaire. En définitive, selon le projet originel du Créateur, auquel Jésus lui-même fait référence en utilisant l’expression “au commencement” dans son commentaire sur l’indissolubilité nuptiale (cf. Mt 19, 4), l’homme et la femme sont appelés dans le mariage à une relation unique, personnelle, pleine et durable, à une alliance exclusive de vie et d’amour, prioritaire par rapport au lien social du sang (cf. Gn 2, 24). Dans cette optique, l’application de la métaphore nuptiale à la relation de Dieu avec Israël, qui ressort avec toute sa force dans les textes prophétiques, ouvre un horizon encore plus riche à la compréhension de la vie des époux dans la ligne d’une appartenance mutuelle.

Le symbolisme nuptial prophétique

15. Dans les Prophètes, les catégories de l’amour conjugal impriment des traits particuliers à la compréhension de l’alliance entre Dieu et son peuple, qui n’est plus modulée selon le canon des pactes entre le roi et les princes vassaux.

16. Ici émerge, de manière emblématique, l’histoire personnelle du prophète Osée (VIIIe siècle av. J.C.) qui est prise comme paradigme théologique pour relire l’histoire d’amour entre le Seigneur et Israël (cf. Os 2, 4-25). Malgré la trahison subie de la part de sa femme Gomer, il ne parvient pas à éteindre son amour pour elle et nourrit plutôt l’espoir qu’abandonnée et déçue par ses amants, elle “retournera” au domicile conjugal, afin de recomposer pleinement la relation d’amour, cette femme étant la seule de sa vie, lui pardonnant ses trahisons (cf. Os 2, 16-17).

17. Cette transposition nuptiale symbolique de la fidélité divine se poursuivra dans la tradition prophétique, avec des accents différents : Ézéchiel raconte comment Dieu se soucie de son peuple, comme un homme qui étend son manteau sur une femme (cf. Ez 16, 8). D’une part, ce geste indique le pacte conjugal dans lequel on offre une protection à son épouse ; d’autre part, il vise à protéger la femme du regard des autres, évoquant ainsi l’exclusivité du lien.

18. Le prophète Malachie condamne la rupture des liens matrimoniaux entre les membres d’Israël et le remariage avec des femmes païennes : « Car je hais la répudiation, dit Yahvé, le Dieu d’Israël, et qu’on recouvre l’injustice de son vêtement, dit Yahvé Sabaoth » (Ml 2, 16). Ce passage a également fait l’objet d’une autre interprétation dite “cultuelle” ou “typologique”, comme s’il faisait référence à une seule perversion (l’idolâtrie), établissant un parallèle implicite entre profaner l’alliance avec Dieu et tromper sa conjointe (l’adultère).

19. En définitive, l’amour conjugal permet vraiment de décrire une dialectique d’alliance entre Israël et le Seigneur, entre l’humanité et Dieu. L’idée de Dieu comme unique époux d’Israël est également liée à celle d’Israël comme “unique” épouse. L’unicité de l’être aimé transparaît également dans le thème de l’élection qui fait d’Israël le seul peuple élu (cf. Am 3, 2). L’alliance prend donc une dimension nouvelle, en ce qu’elle désigne le lien entre Dieu et son peuple, fondé sur une relation monogame si réelle que l’adoration d’un autre dieu constitue un adultère.

20. Saint Jean Paul II offre à ce sujet une belle synthèse : « Dans de nombreux textes, la monogamie apparaît comme l’unique et juste analogie du monothéisme tel qu’il est interprété dans les catégories de l’Alliance, c’est-à-dire de la fidélité et de la confiance dans l’unique et vrai Dieu-Jahvé, l’Époux d’Israël. L’adultère est l’antithèse de cette relation sponsale, il est l’antinomie du mariage (également comme institution) en ce que le mariage monogame réalise en lui l’alliance interpersonnelle de l’homme et de la femme, qu’il réalise l’alliance née de l’amour et accueillie par les deux parties respectives précisément comme mariage (et comme tel, reconnu par la société). Ce genre d’alliance entre deux personnes constitue le fondement de cette union par laquelle “l’homme... s’unira à sa femme et tous les deux ne feront qu’une seule chair” (Gn 2, 24)».[19]

La littérature sapientiale

21. Toute la littérature sapientiale qui loue l’union monogame comme la véritable expression de l’amour entre un homme et une femme s’inscrit dans la même ligne. Le passage du Cantique des Cantiques : « Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui » (Ct 2, 16) représente ici un véritable sommet. Dans ce joyau poétique, la femme du Cantique exprime son amour en utilisant le symbole du sceau qui, dans l’ancien Proche-Orient, désignait une personne, l’identifiait et se portait sur un bracelet ou avec une chaîne sur la poitrine : « Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Car l’amour est fort comme la mort » (Ct 8, 6). La bien-aimée déclare donc être presque la “carte d’identité” de son homme : l’un n’existe pas sans l’autre et vice versa. L’intelligence, la volonté, l’affection, l’action, la personnalité entière de l’un se communiquent à l’autre de manière réciproque et exclusive, en pleine symbiose. Contre cette unité vitale, la mort s’élève en vain.

22. De plus, l’affirmation répétée deux fois dans le Cantique des Cantiques « Mon bien-aimé est à moi et moi à lui […]. Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi » (Ct 2, 16 ; 6, 3), exprime cette unité de don total, de réciprocité et d’appartenance mutuelle, comme une réédition de la déclaration d’amour adressée par l’homme à sa femme dans Gn 2, 23 : « Os de mes os, chair de ma chair ».

23. Les traditions juive et chrétienne (surtout dans la mystique) se sont accordées pour interpréter le Cantique des Cantiques comme une allégorie de l’alliance entre Dieu et Israël, de la relation entre Dieu et l’âme. Au sens symbolique, on peut affirmer que le livre du Cantique des Cantiques exalte l’amour d’un homme et d’une femme en mettant l’accent précisément sur l’unicité d’une relation exclusive. Dans cette histoire d’amour, les deux amants se cherchent et se désirent avec une réciprocité dans laquelle il n’y a pas de place pour un tertium. Or, ce fait anthropologique fondamental renvoie à la profession de foi d’Israël : « Écoute, Israël : Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé » (Dt 6, 4). Il s’agit de l’une des proclamations les plus solennelles de l’Ancien Testament concernant Dieu, et c’est une proclamation qui utilise le langage de l’unicité, lorsqu’elle professe la vérité de la foi. En d’autres termes, le Cantique affirme qu’au cœur battant de l’une des expériences anthropologiques les plus profondes, à savoir la relation amoureuse, se trouve une unicité analogue à celle que la foi proclame à propos de Dieu. Par conséquent, la monogamie est profondément liée à l’unicité et à l’exclusivité du Dieu d’Israël et va de pair avec le monothéisme.

24. À cet égard, Benoît XVI affirme : « Dieu s’est servi de la voie de l’amour pour révéler le mystère intime de sa vie trinitaire. En outre, le rapport étroit qui existe entre l’image de Dieu Amour et l’amour humain nous permet de comprendre qu’ “à l’image du Dieu du monothéisme, correspond le mariage monogamique. Le mariage fondé sur un amour exclusif et définitif devient l’icône de la relation de Dieu avec son peuple et réciproquement : la façon dont Dieu aime devient la mesure de l’amour humain”. Cette indication demeure encore en grande partie à explorer ».[20]

25. La double formule : « Mon bien-aimé est à moi et moi à lui […]. Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi » (Ct 2, 16 ; 6, 3), renvoie donc à la formule théologique de l’alliance entre Dieu et l’Israël biblique : le Seigneur est ton Dieu et tu es son peuple (cf. Dt 7, 6) et permet d’accéder à la catégorie théologique de l’alliance en tant qu’engagement réciproque de fidélité. La catégorie biblique de l’alliance permet enfin de définir la sainteté du mariage entre mari et femme dans son expression de véritable communauté de vie et d’amour à travers un don mutuel et exclusif. Tout cela deviendra pleinement évident dans les textes du Nouveau Testament.[21]

La symbolique nuptiale du Nouveau Testament

26. Dans l’Évangile, Jésus renvoie explicitement “au commencement”, c’est-à-dire aux origines du premier couple humain (cf. Gn 1, 27 ; 2, 24), pour réaffirmer que l’amour monogame, fidèle et indissoluble, exalte la relation de couple, conçue par le Créateur dans une dimension de totalité et d’exclusivité (Mt 19, 3-9).

27. Dans les récits évangéliques de Marc et de Matthieu, Jésus s’est exprimé sans équivoque sur la monogamie en se référant aux origines, à la volonté du Créateur. Le débat avec les pharisiens sur la possibilité du divorce lui offre l’occasion de se prononcer avec autorité. Il réaffirme le principe de la monogamie qui est à la base du projet de Dieu sur la famille : « Mais dès l’origine de la création Il les fit homme et femme. Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère, et les deux ne feront qu’une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer » (Mc 10, 6-9 ; cf. Mt 19, 4-6). Pour étayer son affirmation, Jésus réunit deux éléments exégétiques importants : « Homme et femme il les créa » (Gn 1, 27) et « c’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2, 24). Le premier homme et la première femme sont donc unis par Dieu lui-même en un seul corps. En d’autres termes, Jésus rétablit la validité du projet originel de Dieu, allant au-delà de la norme donnée par Moïse, en rappelant une norme plus ancienne, tout en soulignant la présence divine à la racine même de cette relation : « Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer » (Mt 19, 6).

28. De plus, le Nouveau Testament, dans le sillage de la théologie prophétique, introduit à plusieurs reprises la symbolique nuptiale dans les thématiques christologiques et ecclésiologiques (cf. Ap 19, 7-9) : le Christ est appelé par le Baptiste “l’époux” par excellence (cf. Jn 3, 29), tandis que l’épouse de l’Agneau est la nouvelle Jérusalem (cf. Ap 21, 1ss), mère féconde, sauvée de l’assaut du dragon (cf. Ap 12, 3-6).

29. Saint Paul développe de manière systématique le thème de l’amour nuptial plein et parfait entre le Christ et l’Église dans la Lettre aux Éphésiens (cf. Ep 5, 21-33), reprenant entre autres le passage de la Genèse sur le fait d’être “une seule chair” pour le couple (cf. Gn 2, 24). L’amour monogame indissoluble entre les deux époux – toujours dans la ligne du thème développé par les prophètes pour définir l’alliance entre le Seigneur et Israël – se révèle comme le symbole pour décrire le lien entre le Christ et l’Église. Le mariage chrétien dans son authenticité et sa plénitude est donc le signe de la nouvelle alliance chrétienne.

30. La formule du “grand mystère”, traduction du grec original mysterion, mérite également une attention particulière. Dans la Vulgate, saint Jérôme l’a rendue par le terme sacramentum, ce qui a permis à la tradition ecclésiale d’adopter la formule paulinienne comme proclamation explicite de la sacramentalité du mariage. Le passage dans son intégralité exalte de manière intense la fonction théologique remplie par l’amour nuptial exclusif. Les deux époux qui s’unissent indissolublement sont un signe qui renvoie à l’étreinte avec laquelle le Christ serre l’Église contre lui. Les époux chrétiens témoignent donc dans le monde non seulement d’un lien humain, eros et agapè, mais ils sont aussi l’“image” vivante d’un lien sacré et transcendant, celui qui unit le Christ à la communauté des chrétiens. Déjà dans la Genèse, le couple qui aime et engendre était défini comme “image” du Dieu créateur : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 27).

31. L’Apôtre, évoquant surtout le passage de la Genèse où l’homme et la femme ne “font qu’une seule chair” (cf. Gn 2, 24), définit l’intimité d’amour entre mari et femme comme un emblème lumineux de la communion de vie et de charité qui existe entre le Christ et l’Église (cf. Ep 5, 32). À travers cette page de la Lettre aux Éphésiens, si riche en humanité et tout aussi dense en qualité théologique, Paul ne se limite pas à proposer un modèle de comportement matrimonial chrétien, mais il indique dans l’union parfaite et unique entre le Christ et l’Église la source originelle du mariage monogame. Le mariage n’est pas seulement une image de cette union, mais il la reproduit et l’incarne à travers l’amour des époux. Il est un signe efficace et expressif de la grâce et de l’amour, qui donne substance à l’union entre le Christ et l’Église.

32. Enfin, nous trouvons une belle exhortation dans la Lettre aux Hébreux. Après l’appel à la charité (cf. He 13, 1-3), l’auteur traite brièvement du mariage, recommandant l’estime de ce lien et le respect de la fidélité conjugale : « Que le mariage soit honoré de tous et le lit nuptial sans souillure »[22] (He 13, 4). L’Auteur exhorte à honorer l’institution du mariage, en soulignant la valeur des relations conjugales fidèles. Il ajoute un avertissement solennel : Dieu jugera les fornicateurs et les adultères, c’est-à-dire ceux qui ne respectent pas la sainteté et l’unicité du mariage. L’exhortation à estimer le mariage et le lit conjugal était historiquement motivée par le fait que diverses tendances ascétiques dénigraient cette institution et la considéraient comme un compromis avec la matière, reprenant à leur manière ce qui est exprimé dans Col 2, 20-23. L’exhortation, en revanche, n’est pas dirigée contre les relations sexuelles, mais contre ceux qui niaient la fidélité des époux et l’unicité du mariage.

III. Échos de l’Écriture dans l’histoire

33. La Parole révélée contenue dans les Saintes Écritures a produit, au cours de la longue histoire de l’Église, divers échos que nous tenterons de rassembler au moins en partie.

Quelques réflexions de théologiens chrétiens

34. Il vaut la peine d’accueillir la richesse de la pensée chrétienne au cours des siècles, à commencer par les Pères de l’Église avec leur importance particulière, jusqu’aux théologiens de différentes écoles et orientations.

Premiers développements sur l’unité et la communion matrimoniale chez les Pères de l’Église

35. Saint Jean Chrysostome reconnaît une valeur particulière à l’unité matrimoniale. À la différence d’autres Pères, il soutient ceci : « Au commencement, le mariage avait deux motifs, mais plus tard il ne resta qu’une raison ». Il explique, en effet, que saint Paul (cf. 1 Co 7, 2.5.9) « ordonne de s’unir, non pour devenir les parents de nombreux enfants », mais parce que cela porte les époux à « supprimer la débauche et le dévergondage ».[23] En définitive, le saint Docteur considère que l’unité du mariage, avec le choix d’une seule personne à laquelle on s’unit, conduit à libérer les personnes d’un déchaînement sexuel effréné, sans amour ni fidélité, et oriente correctement la sexualité.

36. Saint Augustin, tout en soulignant l’importance de la procréation, met avant tout l’accent sur le bien de l’unité qui s’exprime dans la fidélité : « Dans la fidélité, on est attentif à ne pas s’unir à un autre ou une autre en dehors du lien conjugal ».[24] Augustin a également su exprimer la beauté de l’unité conjugale comme un bien en soi, en la décrivant de manière dynamique comme une “marche ensemble”, “côte à côte” : « Le premier lien naturel de la société humaine est celui qui existe entre l’homme et la femme. Et Dieu n’a pas créé chacun d’eux séparément, pour les unir ensuite comme des étrangers, mais il a créé l’une à partir de l’autre. C’est le côté de l’homme, d’où la femme a été extraite et formée, qui indique la force de leur union. En effet, ceux qui marchent ensemble et qui regardent ensemble vers le même but s’unissent côte à côte ».[25]

37. Avant Augustin, déjà, l’éloge par Tertullien du mariage compris comme unité dans la chair et dans l’esprit de deux personnes qui marchent “dans une seule espérance”, est bien connu : « Où vais-je puiser la force de décrire de manière satisfaisante le bonheur du mariage que l’Église ménage ? [...] Quel couple que celui de deux chrétiens, unis par une seule espérance, un seul désir, une seule discipline, le même service ! Tous deux enfants d’un même Père, serviteurs d’un même Maître ; rien ne les sépare, ni dans l’esprit ni dans la chair ; au contraire, ils sont vraiment deux en une seule chair. Là où la chair est une, un aussi est l’esprit ».[26]

38. Ce fait d’être “une seule chair” est interprété par les Pères de manière intensément réaliste, à tel point que, face aux contradictions dans les faits de la réalité de l’unité conjugale, ils n’hésitent pas à prononcer des affirmations telles que les suivantes : « Il scinde sa chair, il divise son corps » ;[27] « comme il est criminel de diviser une chair » ;[28] « Dieu n’a pas voulu que le corps soit disjoint et divisé ».[29]

39. Quoi qu’il en soit, il faut rappeler que l’Église latine souligne particulièrement les aspects juridiques du mariage, qui ont conduit à la belle conviction que les époux eux-mêmes sont ministres du sacrement.[30] Par leur consentement, ils donnent naissance à une union matrimoniale unique et exclusive, donnée objective avant toute expérience ou sentiment, même spirituel. Les Pères orientaux et les Églises orientales mettent davantage l’accent sur les aspects théologiques, mystiques et ecclésiaux d’une union qui, grâce à la bénédiction de l’Église, s’enrichit au fil du temps sous l’impulsion de la grâce, tandis que la communion entre les époux s’intègre de plus en plus dans la communion ecclésiale. C’est pourquoi, en Orient, le rite du mariage, avec tous ses signes, la prière et les gestes du prêtre, a été mieux mis en valeur. Saint Jean Chrysostome parle déjà du couronnement des époux (stephánōma) accompli par le prêtre et en explique la signification mystagogique : « C’est pourquoi on leur met des couronnes sur la tête, en signe de victoire, car c’est sans avoir été vaincus qu’ils parviennent au lit conjugal ».[31]

40. En même temps, il prévaut en Orient une vision plus positive de l’aspect relationnel, qui s’exprime également par l’union sexuelle dans le mariage sans en réduire la finalité à la seule procréation. En témoigne, par exemple, saint Clément d’Alexandrie qui prend fortement ses distances par rapport à ceux qui considèrent le mariage comme un péché, même lorsqu’ils le tolèrent dans le but d’assurer la perpétuation de l’espèce. Il affirme au contraire : « Si le mariage selon la Loi est un péché, je ne sais comment quelqu’un pourra dire qu’il connaît Dieu, tout en affirmant que le commandement de Dieu est un péché ! Non, “la Loi étant sainte”, le mariage est saint ».[32] Pour saint Jean Chrysostome, en outre, le mariage « ne doit pas être considéré comme un achat ou une vente, mais comme une communion de vie »,[33] et il souligne que la continence exagérée dans le mariage pouvait mettre en péril l’unité conjugale.

41. L’unité et la communion conjugales comme reflet de l’union entre le Christ et l’Église (cf. Ep 5, 28-30) constituent un thème particulièrement développé par les Pères orientaux, et saint Grégoire de Nazianze en tire des conséquences spirituelles concrètes : « Il est beau pour la femme de respecter le Christ à travers son mari, et il est beau pour le mari de ne pas mépriser l’Église à travers sa femme [...]. Mais que le mari entoure de soins sa femme : de fait, le Christ entoure de soins l’Église ».[34]

Quelques auteurs médiévaux et modernes

42. Dans la pensée de saint Bonaventure sur le mariage, essentiellement homogène à celle de saint Thomas dont nous parlerons plus loin, nous pouvons identifier une réflexion dans le cadre d’une vision théologique qui inclut la nécessité de la consommation pour que le mariage puisse signifier pleinement notre union avec le Christ : « Parce qu’il porte sur l’avenir, l’échange des consentements n’est pas à proprement parler un consentement, mais la promesse de consentir ; et puisque le consentement, en vérité, avant l’union charnelle, ne produit pas une union complète, puisqu’ils ne sont pas encore une seule chair, il s’ensuit que, par les paroles sur l’avenir, on dit que le mariage a commencé, il est ratifié par des paroles se référant au présent, mais consommé dans l’union charnelle, car alors ils ne font qu’une seule chair et deviennent un seul corps ; et cela signifie pleinement l’union qui existe entre nous et le Christ. Alors, en effet, le corps de l’un est pleinement donné au corps de l’autre ».[35]

43. Il convient maintenant de rappeler également la pensée théologique et pastorale de saint Alphonse-Marie de Liguori qui présente l’union et le don mutuel des époux de manière intégrale (y compris les relations sexuelles), comme des fins intrinsèques essentielles, tandis qu’il considère la procréation comme une fin intrinsèque, mais accidentelle. Il soutient donc que « l’on peut considérer trois fins dans le mariage : les fins intrinsèques essentielles, les fins intrinsèques accidentelles et les fins accidentelles extrinsèques. Les fins intrinsèques essentielles sont au nombre de deux : le don réciproque avec l’obligation de satisfaire le devoir [c’est-à-dire les rapports sexuels] et le lien indissoluble. Les fins intrinsèques accidentelles sont également au nombre de deux : la génération de la progéniture et le remède à la concupiscence ».[36]

44. Saint Alphonse fait également référence à des fins extrinsèques, telles que le plaisir, la beauté et bien d’autres, qui sont licites.[37] De cette manière, le saint Docteur de l’Église tente d’enrichir la vision du mariage afin de développer une approche pastorale qui aide les époux à vivre leur union d’une manière plus riche et plus stimulante. Il est permis de désirer le mariage également en raison de l’attirance particulière pour l’une de ces fins extrinsèques, car, à condition que les fins principales ne soient pas exclues, cela « n’est pas un désordre ».[38]

45. Plus proche de notre époque, le théologien et philosophe personnaliste Dietrich von Hildebrand reprend l’accent sur la centralité de l’amour dans le mariage donné par l’enseignement du Pape Pie XI, afin d’approfondir la compréhension des propriétés et des significations du mariage lui-même.[39] À cet égard, il distingue deux formes d’union qui se complètent mutuellement et enrichissent l’approche initiale du présent document : la première forme d’union s’exprime par le pronom “nous”, la seconde par le couple “je-tu”. Dans le “je-tu”, les deux se trouvent face à face, se donnent l’un à l’autre, de telle sorte que « l’autre personne agit entièrement comme un sujet, jamais comme un simple objet ».[40] Cela implique également le passage de la considération de l’autre comme un “lui” à une reconnaissance de celui-ci comme un “tu”. En revanche, lorsque l’union est considérée comme un “nous”, l’autre est avec moi, à mes côtés, marchant ensemble, motivés par les choses communes qui nous unissent.[41] L’union conjugale vit de ces deux expériences.

46. Dans l’union matrimoniale, von Hildebrand met en évidence deux attitudes indispensables. La première est la “discretio”, c’est-à-dire un espace d’intimité personnelle qui préserve l’identité et la liberté de chacun, mais qui peut être partagé par une décision entièrement libre, et qui conduit dans ce cas à un approfondissement du lien. La deuxième attitude est la “révérence” pour l’autre qui manifeste, en particulier dans l’union sexuelle, le fait que l’on aime une personne sacrée et inviolable, et non un objet quelconque. Le dynamisme interne du lien matrimonial – le “nous”, selon les catégories de von Hildebrand – pousse les époux à manifester toujours plus leur communion personnelle intime.

47. Ce point de vue est également partagé par Alice von Hildebrand, née Jourdain, épouse de Dietrich. Elle soutient en particulier que la pleine réalisation de l’humanité ne peut se faire que dans l’union entre l’homme et la femme, l’“invention divine”: « Non seulement Il [Dieu] a fait l’homme composé d’une âme et d’un corps – une réalité spirituelle et une réalité matérielle – mais, en plus, pour couronner cette complexité, “Il les a créés homme et femme”. Il est clair que la plénitude de la nature humaine se trouve dans l’union parfaite entre l’homme et la femme ».[42] Par conséquent, l’amour conjugal entre l’homme et la femme est considéré par la philosophe et théologienne belge comme le sommet de la vocation humaine, l’expression suprême de l’image divine appelée au don de soi dans l’amour, où la tendresse de l’affection entre les deux joue un rôle fondamental, voulu par le Créateur lui-même : « Le cœur est le centre de la personne »,[43] avertit von Hildebrand, face à certaines tentations de préférer l’activisme à la réceptivité de l’amour, entendu précisément au sens affectif. Elle ajoute que « là où règne la tendresse, la concupiscence s’estompe ».[44]

48. Le caractère de don total de l’amour conjugal peut aussi être vu dans ce qu’elle qualifie de véritable dimension “sacrificielle” de l’amour – avec une référence évidente à l’amour “jusqu’à la fin” du Christ – qui consiste à faire passer le bien de l’autre avant le sien, dans ce que l’on peut appeler une “mort” à soi-même qui peut parfois conduire à renoncer même aux joies de la vie familiale pour l’amour d’un bien plus grand : « Ce que beaucoup d’“amoureux” oublient, qu’il s’agisse d’amis ou de mari et femme, c’est que le sacrifice est la sève des grands amours. Que le sacrifice soit la vitamine sacrée de l’amour s’applique également au mariage qui offre aux époux d’innombrables occasions de mourir à eux-mêmes ».[45] En d’autres termes, cela signifie que l’amour conjugal montre sa fécondité, à la fois humaine et spirituelle, lorsqu’il reste ouvert aux exigences les plus élevées de la charité.[46]

Le développement de la vision théologale dans les temps modernes

49. Hans Urs von Balthasar accorde une importance particulière au consentement matrimonial qui crée cette nouvelle unité, laquelle transcende les deux individus : « La rencontre de deux personnes ainsi dépouillées d’elles-mêmes n’est possible que dans un troisième élément, celui qui [...] est ce facteur objectif qui se compose de leurs deux libertés : leur vœu, leur promesse solennelle, dans laquelle chacun donne son consentement définitif à la liberté de l’autre et à son mystère et se livre à ce mystère. C’est une réalité qu’il faut qualifier d’objective uniquement parce qu’elle est plus que la juxtaposition de leurs deux subjectivités [...] ; leur volonté devenue une (de s’appartenir l’un à l’autre) se place au-dessus d’eux et entre eux, car aucun des deux ne peut revendiquer pour lui-même l’unité qui est née ».[47]

50. Ce pacte, où chacun des deux transcende lui-même et s’abandonne face à la nouvelle réalité qui se crée, n’est en aucun cas une négation d’eux-mêmes en tant qu’individus libres : c’est au contraire une plénitude de liberté qui s’accomplit dans le don total de soi à une autre personne : « L’événement du don réciproque, qui ne s’accomplit que sous la voûte tendue sur eux par l’Esprit d’amour qui les guide et les inspire, est tout sauf une aliénation de soi de la part de l’individu. Celui-ci ne s’atteint lui-même qu’en vertu de l’appel de l’autre liberté qui lui donne la capacité de résoudre, de décider la sienne, et cette résolution devient mûre, “majeure”, précisément lorsqu’il ne continue pas à se reprendre avec hésitation, mais se concentre, se recueille, pour se donner une fois pour toutes ».[48]

51. Cet auteur contemple d’une manière particulière et théologiquement profonde comment cette unité matrimoniale reflète l’union entre le Christ et son Église : « Le critère de l’amour conjugal est désormais l’amour entre le Christ et son Église. [...] L’unité originelle consiste en ceci, que l’Église naît du Christ comme Ève d’Adam : elle jaillit du côté transpercé du Seigneur assoupi à la croix dans l’ombre de la mort et des enfers. C’est pourquoi elle est son corps, comme Ève était chair de la chair d’Adam. Dans cet assoupissement de la passion et de la mort, “il s’est présenté à lui-même l’Église toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel” (Ep 5, 27). Lui-même s’abandonne en tant qu’homme au sommeil de la mort, pour prélever secrètement du mort, en tant que Dieu, cette fécondité de laquelle il créera son épouse, l’Église. Elle est donc à la fois Lui-même et pas Lui-même : son corps et son épouse. “Aimer sa femme, c’est s’aimer soi-même. Car nul n’a jamais haï sa propre chair ; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin. C’est justement ce que le Christ fait pour son Église, parce que nous sommes les membres de son corps” (Ep 5, 28-30) ».[49]

52. Une telle vision christologique et pneumatologique a des conséquences concrètes sur l’expérience conjugale : « Si nous jetons à nouveau un regard sur le don réciproque des époux, cela montre clairement une fois de plus que la loi commune de leur amour (au sens christologique) découle autant de leur attitude propre de se donner volontairement l’un à l’autre, et n’est donc pas une loi imposée de l’extérieur ; en réalité, elle s’élève, dépassant les deux, telle une troisième entité féconde, créative (au sens pneumatologique), et les inspire dans les actes de leur dévouement ».[50]

53. Karl Rahner considère également l’unité matrimoniale comme expression de l’amour entre le Christ et l’Église. Cela ne signifie pas que le Christ et l’Église soient égaux, étant donné que l’amour avec lequel le Christ aime l’Église trouve son origine dans « la volonté miséricordieuse de Dieu de se communiquer ».[51] De cette volonté, en tant que cause, découle le premier effet qui est l’unité Christ-Église. En fin de compte, l’amour, tel qu’il s’exprime dans la vie des époux, trouve son origine en Dieu lui-même.[52] Il vaut la peine de s’attarder sur deux textes de Rahner suffisamment éloquents. Le premier : « Dans l’amour véritablement personnel, il y a implicitement quelque chose d’inconditionnel qui renvoie au-delà et au-dessus de la causalité de la rencontre des amants : lorsqu’ils aiment vraiment, ils grandissent continuellement au-dessus d’eux-mêmes, ils parviennent à un flux qui n’a plus son point d’arrivée dans le fini et le déterminable. Ce qui se trouve dans une distance infinie, qui est tacitement évoqué dans un tel amour, ne peut finalement être appelé que d’un seul nom : Dieu ».[53] Et le second texte : « Le mariage et l’Alliance entre Dieu et l’humanité dans le Christ ne peuvent être comparés l’un à l’autre uniquement par nous. Ils sont plutôt, l’un vis-à-vis de l’autre, dans un rapport tel que le mariage représente objectivement cet amour de Dieu pour l’Église dans le Christ, et que le rapport et le comportement du Christ vis-à-vis de l’Église préfigurent le rapport et le comportement des époux dans le mariage qui en sont l’imitation. Le rapport du Christ à l’Église inclut donc en lui-même le mariage à titre d’élément de lui-même ».[54]

54. Le regard christologique-trinitaire sur l’unité matrimoniale a ensuite été souligné avec force et poésie par plusieurs auteurs orthodoxes contemporains. En voici trois exemples :

55. Partant de sa vision mystique, le théologien orthodoxe Alexander Schmemann affirme : « Dans un mariage chrétien, en fait, il y a trois époux. Et la loyauté commune des deux envers le troisième, qui est Dieu, maintient le couple dans une union active l’un envers l’autre aussi bien qu’envers Dieu. Pourtant, c’est la présence de Dieu qui est la mort du mariage en tant que réalité seulement naturelle. C’est la croix du Christ qui mène à sa fin l’autosuffisance de la nature. Mais, “par la croix la joie (et non le bonheur) est rentrée dans le monde entier”. Sa présence est ainsi la joie réelle du mariage ».[55]

56. Ces mots du philosophe et théologien russe Pavel Evdokimov donnent un autre beau témoignage : « L’unité consubstantielle du mariage forme l’unité de deux personnes placées en Dieu [...]. Ainsi, la structure trinitaire initiale est : homme-femme en Saint-Esprit. L’actualisation effective de leur unité dans le mariage (où l’époux, selon Paul, est l’image du Christ, tandis que l’épouse est l’image de l’Église) devient la similitude conjugale de l’unité Christ-Esprit ».[56]

57. Enfin, un passage inspiré du théologien Jean Meyendorff mérite d’être cité : « Un chrétien est appelé – déjà dans ce monde – à expérimenter une vie nouvelle, à devenir citoyen du Royaume, et il peut le faire dans le mariage […]. C’est une union singulière de deux êtres amoureux, deux êtres qui peuvent transcender leur propre humanité et être ainsi unis non seulement “l’un avec l’autre”, mais aussi “en Christ” ».[57]

58. Les auteurs orientaux de notre temps insistent également sur l’aspect relationnel à la lumière de la Trinité. Le théologien grec Ioannis Zizioulas affirme que « la personne est altérité dans la communion et communion dans l’altérité. La Personne est une identité qui émerge dans la relation (ou schesis comme disent les Pères grecs) ; c’est un “je” qui n’existe qu’en tant que lié à un “tu qui affirme à la fois son existence et son altérité […]. [Le “je”] ne peut exister sans l’autre : c’est précisément ce qui distingue la personne de l’individu ».[58] Dans le contexte de cette évaluation orientale particulière de la relation, qui est en dernière analyse un reflet de la communion trinitaire, un autre théologien et philosophe grec, Christos Yannaras, montre comment la vie conjugale doit être saisie dans l’ensemble plus large des relations au sein de la communauté ecclésiale ; cela permet de comprendre la sexualité comme une relation personnelle transfigurée par la grâce trinitaire : « La relation et la connaissance entre les époux deviennent des événements ecclésiaux ; elles se réalisent non seulement par la nature, mais aussi par l’Église [...] dans le cadre des relations qui maintiennent l’Église comme image du modèle trinitaire »[59]. Immédiatement après, il explique que « cela ne signifie pas une “spiritualisation” du mariage et une dévalorisation de la relation naturelle, mais une transformation dynamique de l’impulsion naturelle en événement de communion personnelle, selon la manière dont l’Église réalise la communion, c’est-à-dire comme grâce - don gratuit d’altérité et de liberté personnelles ».[60]

Interventions magistérielles

Premières interventions

59. Jusqu’à Léon XIII, les interventions relatives à la monogamie ont été peu nombreuses, mais essentielles. Il convient de mentionner une intervention, brèv mais importante, d’Innocent III en 1201 dans laquelle il fait référence aux païens qui « partagent leur affection conjugale avec plusieurs femmes en même temps ». En invoquant la Genèse, il affirme que cela est contraire à la foi chrétienne « car dès le début, une seule côte a été transformée en une seule femme ».[61] Il cite ensuite l’Écriture (cf. Ep 5, 31 ; Gn 2, 24 ; Mt 19, 5) pour souligner qu’« ils seront deux en une seule chair » (duo in carne una) et que l’homme s’unira “à sa femme”, et non “à ses femmes”. Enfin, il interprète l’interdiction de l’adultère (cf. Mt 19, 9 ; Mc 10, 11) comme se référant au mariage monogame.[62]

60. Le deuxième Concile de Lyon réaffirme qu’il « est tenu pour certain qu’il n’est pas permis à un homme d’avoir plusieurs femmes en même temps, ni à une femme d’avoir plusieurs maris ».[63] Le Concile de Trente déduit le sens de la monogamie du fait que le Christ Seigneur a enseigné de manière claire que, par ce lien, seules deux personnes s’unissent étroitement, lorsqu’il a dit : “Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair”.[64] Au XVIIIe siècle, Benoît XIV, prenant en considération la situation des mariages clandestins, réaffirme que « nul des deux ne peut, tant que l’autre est en vie, se remarier ».[65]

Léon XIII

61. Au sujet de la monogamie, revient dans l’enseignement de Léon XIII l’argument central selon lequel les époux constituent “une seule chair” : « C’est ce que nous voyons déclaré et ouvertement confirmé dans l’Évangile par la divine autorité de Jésus-Christ. Selon l’affirmation qu’il fit aux Juifs et aux apôtres, le mariage, en vertu de son institution même, ne doit exister qu’entre deux personnes, c’est-à-dire entre l’homme et la femme : des deux il se forme comme une seule chair ».[66]

62. Dans sa réflexion, la défense de la monogamie constitue également un plaidoyer en faveur de la dignité des femmes qui ne peut être niée ou déshonorée, même par le désir de la procréation. L’unité du mariage implique donc un choix libre de la femme qui a le droit d’exiger une réciprocité exclusive : « Rien n’était plus misérable que la femme. Elle était abaissée à ce point d’humiliation qu’elle était en quelque sorte considérée comme un simple instrument destiné à assouvir la passion ou à produire des enfants. On n’eut même pas honte de vendre et d’acheter les femmes à marier, ainsi que l’on fait pour les choses matérielles. En même temps, on donnait au père et au mari la faculté d’infliger à la femme le dernier supplice ».[67]

63. Le mariage monogame est l’expression d’une recherche réciproque et exclusive du bien de l’autre : « Il est nécessaire, en effet, qu’ils aient toujours l’esprit disposé à comprendre qu’ils se doivent l’un à l’autre un amour très grand, une foi constante, une aide attentive et continue ».[68] Cette réalité d’être “une seule chair” acquiert avec le Christ une motivation nouvelle et précieuse et atteint sa plénitude dans le sacrement du mariage : « Le mariage est un sacrement parce qu’il est un signe sacré qui produit la grâce et offre l’image des noces mystiques du Christ avec l’Église. Or, la forme et la figure de ces noces sont précisément ce lien de parfaite union qui lie l’homme et la femme l’un à l’autre, et qui n’est autre que le mariage lui-même ».[69]

Pie XI

64. Le Pape Pie XI développe davantage la doctrine sur l’unité matrimoniale dans l’Encyclique Casti connubii. Il souligne la valeur de la « fidélité mutuelle des époux à observer le contrat de mariage, en vertu de laquelle ce qui, à raison du contrat sanctionné par la loi divine, revient uniquement au conjoint, ne lui sera point refusé ni ne sera accordé à une tierce personne ». Et il conclut : « Cette fidélité requiert tout d’abord l’absolue unité conjugale dont le Créateur lui-même a formé le premier exemplaire dans le mariage de nos premiers parents, quand il a voulu que ce mariage ne fût qu’entre un seul homme et une seule femme ».[70]

65. Le Souverain Pontife enrichit ainsi l’enseignement sur l’unité du mariage en proposant une réflexion inédite sur l’amour conjugal « qui pénètre tous les devoirs de la vie conjugale et tient, dans le mariage chrétien, une sorte de primauté de noblesse ».[71] Et ce qu’il y a de plus noble dans un mariage, c’est l’amour conjugal, surtout lorsqu’il atteint par la grâce le niveau surnaturel de la charité. En conséquence, l’union matrimoniale devient un chemin de croissance spirituelle : « Elle ne comprend pas seulement l’appui mutuel : elle doit viser plus haut — et ceci doit même être son objectif principal —, elle doit viser à ce que les époux s’aident réciproquement à former et à perfectionner chaque jour davantage en eux l’homme intérieur : leurs rapports quotidiens les aideront ainsi à progresser jour après jour dans la pratique des vertus, à grandir surtout dans la vraie charité envers Dieu et envers le prochain [...]. Dans cette mutuelle formation intérieure des époux et dans cette application assidue à travailler à leur perfection réciproque, on peut voir aussi, en toute vérité [...] la cause et la raison première du mariage ».[72] Cet “élargissement” du sens du mariage, qui dépasse le sens strict, prédominant jusqu’alors, d’institution ordonnée à la procréation et à la bonne éducation des enfants, a ouvert la voie à un approfondissement du sens unitif du mariage et de la sexualité.

66. On peut également rappeler que le Pape Pie XI se sent poussé à mettre en évidence les tendances contraires à la monogamie qui sont aujourd’hui devenues beaucoup plus courantes : « Ils altèrent donc premièrement la foi conjugale, ceux qui pensent qu’il faut condescendre aux idées et aux mœurs d’aujourd’hui sur une amitié fausse et non exempte de faute avec des tierces personnes ; qui réclament que l’on concède aux époux une plus grande licence de sentiment et d’action dans ces relations extérieures, d’autant plus (à leur sens) que beaucoup ont un tempérament sexuel auquel ils ne peuvent satisfaire dans les limites étroites du mariage monogame. Aussi la rigidité morale des époux honnêtes, qui condamne et réprouve toute affection et tout acte sensuel avec une tierce personne, leur apparaît-elle comme une étroitesse surannée d’esprit et de cœur, ou comme une abjecte et vile jalousie. C’est pourquoi ils veulent que l’on considère comme tombées en désuétude ou qu’à coup sûr on les y fasse tomber, toutes les lois pénales qui ont été portées pour maintenir la fidélité conjugale ».[73]

L’époque du Concile Vatican II

67. Sur la voie ouverte par Casti connubii, le Concile Vatican II présente le mariage avant tout comme une œuvre de Dieu qui consiste en une communion d’amour et de vie que les deux époux partagent, communion qui n’est pas seulement orientée vers la procréation, mais aussi vers le bien intégral des deux. Le mariage est défini comme « une communauté intime de vie et d’amour ».[74] Dans le mariage, l’homme et la femme qui, par l’alliance conjugale, « “ne sont plus deux, mais une seule chair” (Mt 19, 6), s’apportant une aide réciproque et se rendant des services mutuels par l’union intime de leurs personnes et de leurs activités, font l’expérience de ce que signifie leur unité et en pénètrent toujours mieux le sens. Cette union intime, en tant que don réciproque de deux personnes, tout comme le bien des enfants, exigent l’entière fidélité des époux et imposent leur indissoluble unité ».[75]

68. Le Christ lui-même « vient à la rencontre des époux chrétiens par le sacrement du mariage. Il continue de demeurer avec eux pour que les époux, par leur don mutuel, puissent s’aimer dans une fidélité permanente, comme Lui-même a aimé l’Église et s’est livré pour elle. L’authentique amour conjugal est assumé dans l’amour divin et est régi et enrichi par la puissance rédemptrice du Christ et l’action salvifique de l’Église ».[76] De cette manière, il est possible de vivre l’amour conjugal : « Puisqu’il se porte d’une personne vers une autre personne en vertu d’une inclination de la volonté, cet amour embrasse le bien de la personne tout entière, et il est donc capable de conférer une dignité particulière aux expressions du corps et de l’âme, et de les ennoblir comme éléments et signes spécifiques de l’amitié conjugale. Cet amour, le Seigneur a daigné le guérir, le parfaire et l’élever par un don spécial de sa grâce et de sa charité. Un tel amour, associant l’humain et le divin, conduit les époux à un don libre et mutuel d’eux-mêmes qui se prouve par des sentiments et des actes de tendresse, et pénètre toute leur vie ».[77] Les actes sexuels dans le mariage, « accomplis de manière véritablement humaine, favorisent le don réciproque par lequel les époux s’enrichissent tous les deux dans la joie et la reconnaissance ».[78]

69. Se référant explicitement à l’unité matrimoniale, le Concile affirme que, « confirmée par le Seigneur, elle apparaît aussi de manière évidente dans l’égale dignité personnelle qui doit être reconnue à l’homme et à la femme dans leur amour mutuel et total ».[79] Ainsi, selon le Concile, la défense de l’unité matrimoniale repose sur deux points fermes : d’une part, il est affirmé que l’union matrimoniale est totalisante, « imprègne toute la vie des époux »,[80] et n’est donc possible qu’entre deux personnes ; d’autre part, le Concile souligne qu’un tel amour correspond à l’égale dignité de chacun des deux époux lesquels, dans le cas d’une union “plurielle”, se trouveraient dans la situation de devoir partager avec d’autres ce qui doit être intime et exclusif, devenant ainsi comme des objets dans une relation qui dévalorise leur dignité personnelle.[81]

70. Saint Paul VI, à la fin du Concile et reprenant ses réflexions sur le mariage, exprime une profonde préoccupation concernant les thèmes de l’union conjugale et de la famille. Même si dans Humanae vitae il désire souligner la signification procréative du mariage et des actes sexuels, il veut en même temps montrer que cette signification est inséparable de l’autre : celle unitive. En effet, il affirme que « par sa structure intime, l’acte conjugal, en même temps qu’il unit profondément les époux, les rend aptes à la génération de nouvelles vies ».[82] Dans ce contexte, il réaffirme la valeur de la réciprocité et de l’exclusivité qui renvoie à la communion d’amour et au perfectionnement mutuel.[83] Il existe un « lien indissoluble » entre les deux significations des actes sexuels : « C’est en sauvegardant ces deux aspects essentiels, union et procréation, que l’acte conjugal conserve intégralement le sens de l’amour mutuel et véritable et l’orientation vers la très haute vocation de l’homme dans la paternité ».[84] Ainsi, si nous affirmons que la signification unitive est indissociable de la procréation, nous devons également affirmer que la recherche de la procréation est indissociable de la signification unitive, comme l’a précisé par la suite saint Jean Paul II : « La donation physique totale serait un mensonge si elle n’était pas le signe et le fruit d’une donation personnelle totale ».[85]

Saint Jean Paul II

71. Saint Jean Paul II utilise la référence du Christ au “commencement” pour introduire dans sa réflexion sur la relation conjugale l’herméneutique du don.[86] Dans la création se révèle le don que Dieu fait de lui-même, et la création elle-même constitue le don fondamental et originaire. L’être humain est la seule créature qui peut recevoir le monde créé comme un don et qui peut, en même temps, comme image de Dieu, faire de sa propre vie un don. C’est dans cette logique que la signification sponsale du corps humain, dans sa masculinité et sa féminité, révèle que l’être humain a été créé pour se donner à l’autre ; c’est seulement dans ce don de soi qu’il porte à son accomplissement le vrai sens de son être et de son existence.[87]

72. Dans son exposé sur la conception chrétienne de la monogamie, saint Jean Paul II soutient l’origine sémitique et non occidentale de ses fondements les plus profonds, affirmant qu’« elle apparaît comme l’expression de la relation interpersonnelle, celle où chacun des partenaires est reconnu par l’autre dans une égale valeur et dans la totalité de sa personne. Cette conception monogame et personnaliste du couple humain est une révélation absolument originale, qui porte la marque de Dieu, et qui mérite d’être toujours plus approfondie ».[88]

73. Le saint Pontife doit toutefois reconnaître que « toute la tradition de l’Ancienne Alliance indique que la conscience des générations qui se sont succédées au sein du peuple élu, leur ethos, n’a jamais été touchée par l’exigence effective de la monogamie [...] l’adultère n’est pas compris du point de vue de la monogamie établie par le Créateur ».[89] C’est pourquoi il s’efforce de lire l’Ancien Testament non pas d’un point de vue normatif, mais d’un point de vue théologique, et il le fait en partant de deux principes fondamentaux. Le premier est la volonté du Christ de revenir au principe,[90] à l’origine de la Création lorsque le couple originel était monogame, au sens de “deux en une seule chair” : « Dieu fit l’homme à sa ressemblance en le créant homme et femme. Voilà qui surprend au premier abord. L’humanité, pour ressembler à Dieu, doit être un couple de deux personnes en mouvement l’une vers l’autre ».[91] L’autre point de référence est la réflexion des prophètes sur l’amour exclusif entre Dieu et son peuple ; ainsi, « ils dénoncent souvent l’abandon du vrai Dieu Yahvé par le peuple, le comparant à l’adultère [...]. L’adultère est un péché, car il constitue la rupture de l’alliance personnelle entre l’homme et la femme [...]. Dans de nombreux textes, la monogamie apparaît comme la seule et juste analogie du monothéisme compris dans les catégories de l’Alliance, c’est-à-dire de la fidélité et de la confiance envers le seul et vrai Dieu Yahvé : Époux d’Israël. L’adultère est l’antithèse de cette relation conjugale, c’est l’antinomie du mariage ».[92]

74. Suivant cette ligne de pensée, saint Jean Paul II soutient que cette union n’exprime pas la volonté originelle de Dieu sur la monogamie si l’autre personne - même si l’union est exclusive - devient seulement un objet utilisé pour satisfaire ses propres désirs : « L’union ou la “communion” personnelle à laquelle l’homme et la femme sont mutuellement appelés “depuis le commencement” ne correspond pas, voire est en contradiction, avec la situation éventuelle où l’une des deux personnes n’existe que comme sujet de satisfaction du besoin sexuel, et l’autre devient exclusivement l’objet de cette satisfaction. De plus, cela ne correspond pas à cette unité de “communion” - voire la contredit - le cas où les deux, l’homme et la femme, existent l’un pour l’autre comme objet de satisfaction du besoin sexuel, et que chacun, de son côté, ne soit que sujet de cette satisfaction. Une telle “réduction” d’un contenu si riche de l’attraction réciproque et pérenne des personnes humaines [...] éteint le sens personnel et “de communion” propre à l’homme et à la femme ».[93]

75. Le don de l’« Esprit-Saint répandu au cours de la célébration sacramentelle remet aux époux chrétiens le don d’une communion nouvelle, communion d’amour, image vivante et réelle de l’unité tout à fait singulière qui fait de l’Église l’indivisible Corps mystique du Christ […] souffle entraînant afin que croisse chaque jour en eux une union sans cesse plus riche à tous les niveaux – des corps, des caractères, des cœurs, des intelligences et des volontés, des âmes ».[94]

Benoît XVI

76. Benoît XVI reprend cet enseignement lorsqu’il rappelle, en se référant lui aussi au récit de la Création, que « l’eros est comme enraciné dans la nature même de l’homme ; Adam est en quête et “quitte son père et sa mère” pour trouver sa femme ; c’est seulement ensemble qu’ils représentent la totalité de l’humanité, qu’ils deviennent “une seule chair”. Le deuxième aspect n’est pas moins important : selon une orientation qui a son origine dans la création, l’eros renvoie l’homme au mariage, à un lien caractérisé par l’unicité et le définitif ; ainsi, et seulement ainsi, se réalise sa destinée profonde ».[95]

77. Benoît XVI enseigne aussi que le mariage ne fait que recueillir et accomplir cette force irrésistible qu’est l’amour qui, dans sa dynamique de l’exclusif et du définitif, ne veut pas mortifier la liberté humaine, mais au contraire ouvre la vie à rien de moins qu’un horizon d’éternité : « Cela fait partie des développements de l’amour vers des degrés plus élevés, vers ses purifications profondes, de l’amour qui cherche maintenant son caractère définitif, et cela en un double sens : dans le sens d’un caractère exclusif – “cette personne seulement” – et dans le sens d’un “pour toujours” ».[96]

François

78. Le Pape François nous a offert une réflexion originale et enracinée dans l’expérience concrète sur différents aspects de l’union exclusive des époux dans le quatrième chapitre de l’Exhortation apostolique Amoris laetitia. On y trouve une description détaillée de l’amour conjugal dans ses différentes manifestations, en prenant comme point de départ 1 Co 13, 4-7. Tout d’abord la patience, sans laquelle « nous aurons toujours des excuses pour répondre avec colère, et en fin de compte nous deviendrons des personnes qui ne savent pas cohabiter, antisociales et incapables de réfréner les pulsions » ;[97] ensuite la bienveillance, “faire le bien” comme « réaction dynamique et créative envers les autres » ;[98] enfin l’amabilité, car celui qui a appris à aimer « déteste faire souffrir les autres »[99] et « est capable de dire des mots d’encouragement qui réconfortent, qui fortifient, qui consolent, qui stimulent ».[100] L’amour implique également un certain “détachement de soi” pour se donner gratuitement jusqu’à donner sa vie.[101] Par conséquent, l’amour est capable de surmonter la violence intérieure envers les défauts des autres, attitude qui « nous met sur la défensive devant les autres » et « finit par nous isoler ».[102] À tout cela s’ajoute le pardon qui « suppose l’expérience d’être pardonné par Dieu »,[103] la capacité de se réjouir avec les autres afin que « celui qui obtient quelque chose de bien dans la vie sache qu’on le fêtera avec lui » ;[104] et la confiance, parce que l’amour « préserve la liberté, renonce à tout contrôler, à posséder, à dominer ».[105] L’amour enfin espère également pour l’autre, « il espère toujours qu’une maturation est possible, un jaillissement surprenant de la beauté, que les potentialités les plus cachées de son être germent un jour ».[106]

79. Le Pape François nous aide ainsi à “incarner” ce qu’est la “charité conjugale”. En même temps, avec un sain réalisme, il met en garde contre le danger d’idéaliser l’union matrimoniale avec des déductions inappropriées, comme si les mystères théologiques devaient trouver une correspondance parfaite dans la vie de couple, et que cette dernière devait être parfaite en toutes circonstances. En réalité, cela créerait un sentiment constant de culpabilité chez les conjoints les plus fragiles qui luttent et font de leur mieux pour maintenir leur union : « Il ne faut pas confondre des plans différents : il ne faut pas faire peser sur deux personnes ayant leurs limites la terrible charge d’avoir à reproduire de manière parfaite l’union qui existe entre le Christ et son Église car le mariage, en tant que signe, implique “un processus dynamique qui va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu” ».[107] Au contraire, il faut évaluer positivement les fatigues, les moments douloureux, les défis qui ont surpris et déstabilisé les époux, les changements de la personne aimée, et même les défaites surmontées, comme faisant partie d’un cheminement où le Saint-Esprit agit comme il le veut car ainsi, « après avoir souffert et lutté unis, les conjoints peuvent expérimenter que cela en valait la peine, parce qu’ils sont parvenus à quelque chose de bon, qu’ils ont appris quelque chose ensemble, ou parce qu’ils peuvent mieux valoriser ce qu’ils ont. Peu de joies humaines sont aussi profondes et festives que lorsque deux personnes qui s’aiment ont conquis ensemble quelque chose qui leur a coûté un grand effort commun ».[108]

Léon XIV

80. Parmi les premières interventions du Pape Léon XIV en référence au thème de cette Note, on peut prendre en considération ce qu’il exprime dans son Message pour la commémoration du 10e anniversaire de la canonisation des époux Louis et Zélie Martin, parents de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. À cette occasion, le Saint-Père fait référence au « modèle de couple que la Sainte Église présente aux jeunes » comme « une aventure si belle : un modèle de fidélité et d’attention à l’autre, modèle de ferveur et de persévérance dans la foi, d’éducation chrétienne des enfants, de générosité dans l’exercice de la charité et de la justice sociale ; modèle aussi de confiance dans l’épreuve ».[109]

81. En vérité, la devise même du pape Léon XIV, In illo uno, unum (en Celui qui est Un, nous sommes un), tirée d’un passage de saint Augustin,[110] pourrait s’appliquer à la vie de couple, suggérant qu’“être une seule chose” est possible et pleinement réalisable en Dieu. En ce sens, l’unité conjugale trouve son fondement et sa plénitude dans la relation avec Dieu. À l’occasion du Jubilé des familles, des grands-parents et des personnes âgées, le Pape Léon XIV, s’adressant directement aux époux, a réaffirmé que « le mariage n’est pas un idéal, mais la norme du véritable amour entre l’homme et la femme : un amour total, fidèle, fécond [...]. Tout en vous transformant en une seule chair, cet amour vous rend capables, à l’image de Dieu, de donner la vie ».[111]

*

82. Le Code de Droit Canonique fait référence à « l’alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants », et rappelle qu’elle « a été élevée entre baptisés par le Christ Seigneur à la dignité de sacrement ».[112]

83. Enfin, le Catéchisme de l’Église Catholique affirme en synthèse : « La polygamie est contraire à cette égale dignité et à l’amour conjugal qui est unique et exclusif ».[113] En outre, « l’amour conjugal exige des époux, de par sa nature même, une fidélité inviolable. Ceci est la conséquence du don d’eux-mêmes que se font l’un à l’autre les époux ».[114] Pour cette raison, « l’adultère est une injustice. Celui qui le commet manque à ses engagements. Il blesse le signe de l’alliance qu’est le lien matrimonial, lèse le droit de l’autre conjoint et porte atteinte à l’institution du mariage, en violant le contrat qui le fonde. Il compromet le bien de la génération humaine et des enfants, qui ont besoin de l’union stable des parents ».[115] Cela n’exclut pas qu’on puisse comprendre « le drame de celui qui, désireux de se convertir à l’Évangile, se voit obligé de répudier une ou plusieurs femmes avec lesquelles il a partagé des années de vie conjugale. Cependant, la polygamie ne s’accorde pas à la loi morale. Elle “s’oppose radicalement à la communion conjugale” ».[116]

IV. Quelques regards tirés de la philosophie et des cultures

Dans la pensée chrétienne classique

84. On trouve chez saint Thomas une pensée philosophique chrétienne sur les fondements de la monogamie. Dans le troisième livre de la Summa contra Gentiles, sa conception apparaît surtout sous l’angle philosophique, avec des raisonnements tirés de la théologie naturelle et de ses connaissances de la biologie de l’époque. La relation conjugale est ainsi présentée comme un lien d’ordre naturel, une « société de l’homme et de la femme »[117] ou une forme de « lien social (socialis coniunctio) »[118] inhérent à la nature humaine, qui unit l’homme et la femme.

85. Saint Thomas soutient que la monogamie découle essentiellement de l’instinct naturel puisqu’elle est inscrite dans la nature de chaque être humain ; ce domaine ne dépend donc pas des exigences de la foi. En effet, « l’homme [...], désire par nature être certain de sa descendance, certitude qui serait totalement éliminée si plusieurs hommes avaient une seule femme. Il découle donc de l’instinct naturel qu’il n’y ait qu’une seule femme pour un seul homme ».[119] Cette union, qui consolide l’équilibre réciproque entre l’homme et la femme, est régie par « une équité naturelle ». Il n’y a donc pas de place pour une forme quelconque de polyandrie, ni pour la polygamie que, d’ailleurs, Thomas d’Aquin définit comme une forme d’esclavage : « Il est également évident que la dissolution de la société susmentionnée est incompatible avec l’équité. [...] Si donc quelqu’un prenait une femme dans sa jeunesse, alors qu’elle est belle et fertile, et pouvait la quitter plus tard lorsqu’elle serait vieillie, il commettrait une injustice envers la femme, contraire à l’équité naturelle [...]. D’autre part, si l’homme pouvait abandonner sa femme, il n’y aurait pas entre l’homme et la femme une société entre égaux, mais un esclavage de la part de la femme ».[120]

86. De plus, l’équité dans l’amour établit une parité substantielle entre les époux, c’est-à-dire une égalité fondamentale entre l’homme et la femme : « L’amitié consiste en une certaine égalité. Par conséquent, si la femme n’avait pas le droit d’avoir plusieurs maris, afin de ne pas compromettre la certitude de la descendance, alors que le mari aurait le droit d’avoir plusieurs femmes, l’amitié entre l’homme et la femme ne serait pas libérale mais presque servile. Et l’expérience confirme cet argument : chez les hommes qui ont plusieurs femmes, celles-ci sont traitées presque comme des esclaves. “Une amitié intense n’est pas possible envers plusieurs personnes”, comme l’explique le Philosophe. Si donc la femme n’avait qu’un seul mari, mais que le mari avait plusieurs femmes, l’amitié ne serait pas égale des deux côtés ».[121]

87. La fidélité conjugale a donc pour fondement le plus haut degré d’amitié qui s’établit entre l’homme et la femme. Cette amitié au plus haut degré (maxima amicitia), en tant qu’amour de bienveillance (amor benevolentiae) différent de l’amour de concupiscence (amor concupiscientiae) orienté plutôt vers son propre avantage, pousse à un échange intime et total entre égaux, dans lequel chaque partenaire se donne sans réserve, recherchant le bien de l’autre : « Plus l’amitié est grande, plus elle est solide et durable. Or, entre mari et femme, il existe une très grande amitié (maxima amicitia) : ils s’unissent non seulement par la copulation charnelle, qui établit même entre les animaux une certaine douce société, mais aussi par la communion de toute la vie domestique ; de sorte que pour exprimer cela, l’homme “quitte même son père et sa mère” pour sa femme, comme il est dit dans la Genèse (2, 24) ».[122]

Communion de deux personnes

88. Au XXe siècle, des philosophes chrétiens ont insisté sur une vision du mariage comme union entre des personnes ou communion de vie. Dans le contexte de la pensée thomiste classique, Antonin-Dalmace Sertillanges présente le mariage comme une union de deux personnes, à ne jamais comprendre comme une sorte de fusion ou de destruction de soi-même pour constituer une unité supérieure, ni comme un pur moyen de procréation pour le bien de l’espèce : « L’homme, qui est personne, c’est-à-dire fin en soi, selon le langage des philosophes ; l’homme qui vaut indépendamment de la race, en attendant qu’il vaille pour elle, cherchera dans ses unions son bien propre en même temps que celui de la race. Si donc l’homme et la femme fondent une vie, dont le ciment sera l’amour, cette vie se développera en deux centres, comme une ellipse à deux foyers, [...] sans que personne soit sacrifié ».[123]

89. Dans la même ligne, Sertillanges montre que, au sein du mariage, la recherche d’un bien pour soi-même constitue aussi une manière de prendre l’autre personne au sérieux, en lui ouvrant la possibilité d’être féconde grâce à son conjoint : « Mieux vaut donner que de recevoir ; mais recevoir, c’est aussi donner. Reçois, mon cœur, pour que l’ami trouve en toi le témoignage de ce qu’il donne. Sois heureux, pour qu’il dise : Je fais donc du bonheur ! ».[124] Ainsi, dans l’union conjugale, « les deux vies s’enrichissent d’autant mieux que leur alliance est destinée à devenir plus étroite et que leurs apports, dissemblables, sont appelés par nature à se compléter »,[125] car « cet amour qui fait être à deux ce que chacun des deux ne pouvait être à lui seul, c’est l’enrichissement naturel le plus décisif ».[126] Ainsi, la communion matrimoniale implique une « double préférence croisée qui est le plus fort des liens, qui fait de chacun à la fois le plus aimant et le plus cher, qui fait trouver à chacun son dû en procurant à l’autre son dû ; bonheur à deux et destinée qui part sur deux ailes ».[127]

Une personne entièrement référée à une autre

90. À ce stade, il est opportun de se référer à trois auteurs qui ont toujours fait progresser la réflexion sur l’unité matrimoniale. Le premier, Søren Kierkegaard, est convaincu que la personne se réalise lorsqu’elle est capable de sortir d’elle-même, rendant ainsi possibles l’amour et l’union : « Aimer, c’est se dévouer, mais le dévouement n’est possible qu’en sortant de soi-même »,[128] en acceptant le risque et l’“imprévisibilité”. Ce n’est qu’ainsi que devient possible la décision d’appartenir pleinement à une seule personne, avec tous les risques que cela peut comporter : « Il faut une démarche décisive, donc du courage, faute de quoi l’amour conjugal sombre dans le néant ; car on montre par cet acte seulement que l’on aime un autre être et non soi-même. Et comment le montrer, sinon en témoignant que l’on ne vit que pour l’autre ? ».[129] Ainsi, soutient cet auteur, « il y a une offense et par conséquent de la laideur à vouloir aimer non de toute son âme, mais sous un aspect seulement de son âme, à réduire son amour à un moment, tout en prenant l’amour entier d’un autre ».[130]

91. Nous trouvons donc le fondement de la monogamie précisément dans l’idée de personne qui permet à la fois de comprendre le sens de sa propre existence et d’aimer celle de son conjoint. L’appel intérieur à s’abandonner face à l’autre devient ainsi le fondement du « n’aimer qu’une seule personne ».[131] Kierkegaard lui-même le confirme, lorsqu’il reconnaît que, s’il existe un véritable amour qui nous fait sortir de nous-mêmes vers l’autre, « les amants sont profondément convaincus qu’ils forment entre eux un tout parfait ».[132] Il reconnaît également que cette réalité signifie pour les époux un appel à « faire de l’instant de jouissance une petite éternité ».[133] Cela implique l’action d’un vouloir spirituel, mais surtout la référence à Dieu, sans séparer de l’amour de Dieu le mariage compris dans sa composante de jouissance et de sexualité : « Quand les amants rapportent leur amour à Dieu, cette action de grâce lui donne déjà une empreinte absolue de l’éternité ».[134]

92. Le personnalisme d’Emmanuel Mounier s’inspire aussi de ces sources qui ont pour fondement la « valeur absolue de la personne humaine »[135] dont la pleine réalisation se fait seulement dans le don de soi, processus qui transfigure toutes les tensions de la personnalité.[136] Au contraire, « constituée en société close, [la famille] se fait à l’image de l’individu que lui propose le monde bourgeois »[137] et ne constitue alors que la somme de deux particularismes, et non une union. Si l’on comprend sa véritable nature, « les individus ont à lui sacrifier leur particularisme […]. Elle est une chance à courir, un engagement à féconder ».[138] Mais c’est à la condition d’y tendre de toutes leurs forces. Cette union totalisante se réalise entre les deux et n’admet pas de rivaux.

93. Défenseur du personnalisme, Jean Lacroix s’inspire lui aussi plus directement de Kierkegaard et exprime des idées similaires sous la figure de la reconnaissance réciproque des deux personnes (s’avouer l’un à l’autre), qui les ouvre à la communion avec tous : « En s’avouant l’un à l’autre, les époux s’avouent du même coup à une réalité qui leur est supérieure. […] La famille peut sans doute être le lieu, la source et l’origine de toute socialité [...]. C’est l’analyse même de l’aveu qui nous permettra de discerner ce qu’il y a de vrai comme ce qu’il y a de faux dans la conception de la famille comme cellule sociale ».[139] La reconnaissance de l’autre est « l’acte humain qui assume pleinement le caractère d’intimité et le caractère de sociabilité »[140] et répond ainsi au désir transcendantal de l’amour dans son sens le plus riche. Mais il s’agit de reconnaître l’autre « en tant qu’autre ».[141] De cette manière, la tendance à lutter contre l’autre « est transformée en reconnaissance mutuelle ».[142] Dans cette perspective, on comprend que le fondement du mariage « ne peut être autre que l’aveu intégral – aveu du corps, aveu de l’âme, aveu total de cet esprit incarné qu’est l’homme concret ».[143] Ainsi, la monogamie se fonde sur l’affirmation selon laquelle le mariage entre un homme et une femme est une “unité supérieure” à toute autre sur cette terre : « L’être familial est la plus haute réalisation de l’unité humaine ».[144]

Face à face

94. Le philosophe français Emmanuel Lévinas, par sa réflexion sur le visage de l’autre, se propose de découvrir toujours la relation personnelle comme un “face à face”. Grâce au visage qui pousse à la reconnaissance de soi, l’intériorité personnelle devient communicable et requiert la découverte toujours nouvelle de l’autre.[145] Lorsqu’il s’inscrit dans cette dynamique du visage de l’autre, le désir sexuel peut concilier de manière adéquate sensibilité et transcendance, affirmation de soi et reconnaissance de l’altérité. Dans ce face à face, la caresse agit comme l’expression d’un amour qui recherche l’union en préservant l’altérité, en l’admirant et en la respectant : « Ce n’est pas une intentionnalité de dévoilement, mais de recherche : marche à l’invisible ».[146] La pensée de Lévinas peut être une voie féconde pour approfondir la signification du mariage comme union exclusive : un face à face qui n’est possible qu’entre deux personnes et qui, lorsqu’il se réalise pleinement, suppose en soi une appartenance réciproque exclusive, incommunicable et non transférable en dehors de ce “nous deux”.

95. La polygamie, l’adultère ou le polyamour reposent sur l’illusion que l’intensité de la relation peut se trouver dans la succession des visages. Comme l’illustre le mythe de Don Juan, le nombre dissout le nom : il disperse l’unité de l’élan amoureux. Si Lévinas a montré que le visage de l’autre m’appelle à une responsabilité infinie, unique et irréductible, multiplier les visages dans une prétendue union totale signifie fragmenter le sens de l’amour conjugal.

La pensée de Karol Wojtyła

96. Dans les célèbres catéchèses sur l’amour proposées par saint Jean Paul II en tant que Pape, on retrouve la réflexion philosophique que développait le jeune évêque Karol Wojtyła. Il s’agit d’une réflexion qui aide à comprendre en profondeur le sens de l’union unique et exclusive du mariage.

97. Le jeune penseur prend très au sérieux le thème qui fait l’objet de la présente Note. Il explique que le mariage possède « une structure interpersonnelle, il est une union et une communauté de deux personnes ».[147] C’est là « son caractère essentiel », « la raison d’être intérieure et essentielle du mariage » qui est « surtout de constituer une union de deux personnes ». C’est là sa « valeur intégrale » qui demeure même au-delà de la procréation.[148]

98. À la base de toute sa pensée se trouve ce qu’il appelle lui-même le “principe personnaliste”, qui « enjoint de traiter la personne d’une manière correspondant à son être » et non « dans la situation d’un objet de jouissance, au service d’une autre personne »[149], comme c’est le cas dans la polygamie. Le statut de personne implique de ne jamais « être pour une autre objet de jouissance, mais seulement objet (ou plus exactement co-sujet) d’amour »[150], car « il serait contraire à la justice de se servir de la personne comme d’un moyen ».[151]

99. La pensée de Wojtyła permet de comprendre pourquoi seule la monogamie garantit que la sexualité se développe dans un cadre de reconnaissance de l’autre comme sujet avec lequel on partage intégralement la vie, sujet qui est une fin en soi et jamais un moyen pour ses propres besoins. L’union sexuelle, qui implique la personne tout entière, peut traiter l’autre comme une personne, c’est-à-dire comme un co-sujet d’amour et non un objet d’usage si elle se développe dans le cadre d’une appartenance unique et exclusive. Dans ce cas, ceux qui se donnent pleinement et complètement à leur conjoint ne peuvent être que deux. Dans tous les autres cas, ce serait un don partiel de soi, car ce don devrait laisser de la place à d’autres, et par conséquent, tous seraient traités comme des moyens et non comme des personnes. C’est pourquoi l’auteur conclut que « la stricte monogamie est une manifestation de l’ordre personnaliste ».[152]

100. Dans le même ouvrage, Wojtyła élargit la réflexion sur la monogamie avec un développement original sur la finalité unitive de la sexualité, laquelle devient une expression et une maturation de cette donnée objective qu’est l’unité matrimoniale, propriété essentielle du mariage. C’est pourquoi il rejette avec force la thèse rigoriste qu’il considère comme propre aux visions “manichéennes” ou “ultra-spiritualistes”. Selon cette thèse, « le Créateur se sert de l’homme et de la femme, ainsi que de leurs rapports sexuels, pour assurer l’existence de l’espèce homo. Ainsi utilise-t-Il les personnes comme des moyens ».[153] Dans ce seul contexte, avec cette mentalité, le plaisir sexuel deviendrait tolérable. Karol Wojtyła soutient au contraire qu’« il n’est pas incompatible avec la dignité objective des personnes que leur amour conjugal comporte une “jouissance” sexuelle. […] Il existe une joie conforme à la nature de la tendance sexuelle, et en même temps à la dignité des personnes ; dans le domaine étendu de l’amour entre l’homme et la femme, elle découle de l’action commune, de la compréhension mutuelle, et de l’accomplissement harmonieux des buts choisis ensemble. Cette joie, ce frui, peut provenir aussi bien du plaisir multiforme créé par la différence des sexes que de la volupté sexuelle que donnent les rapports conjugaux […], à condition que leur amour se développe à partir de l’impulsion sexuelle ».[154]

101. Dans son effort pour éviter l’extrémisme rigoriste, qui exclut en définitive la finalité unitive de la sexualité dans le mariage, Wojtyła explique que l’autre peut être véritablement aimé en tant que personne et, en même temps, être pleinement désiré. « L’amour de concupiscence et celui de bienveillance diffèrent entre eux, mais pas au point de s’exclure l’un l’autre : une personne peut en désirer une autre comme un bien pour elle-même, mais elle peut en même temps lui désirer du bien indépendamment du fait qu’elle soit un bien pour elle ».[155] En reconnaissant l’intégralité de la personne et de ses besoins, il faut également admettre que l’amour réciproque requiert de nombreuses autres expressions, et pas seulement la sexualité : « Si, par contre, ce que les deux personnes apportent dans l’amour est uniquement, ou surtout, la concupiscence cherchant la jouissance et le plaisir, alors la réciprocité elle-même sera dépourvue des caractéristiques »[156] qui offrent la stabilité au mariage (l’amour vertueux, la confiance, les dons désintéressés, etc.).

Plus loin

102. Le mariage de Jacques et Raïssa Maritain apparaît comme un cas particulier de communion intellectuelle, culturelle et spirituelle, qui ne peut être présenté comme le seul modèle, car les formes d’union conjugale sont certainement aussi diverses que les personnes. Leur cas particulier a cependant beaucoup à dire. Compte tenu de la merveilleuse expérience de partage avec Raïssa d’une recherche intérieure de la vérité et surtout de Dieu, Jacques relativise – sans l’exclure – l’importance du désir, de la passion et de la sexualité : « La vérité sur le sujet, telle que je la vois, est, en premier lieu, que l’amour comme désir ou passion, et l’amour romantique – ou, au moins, quelque chose de lui, – doivent, autant que possible, être présents dans le mariage comme stimulant initial et point de départ [...]. Le second point est que, loin d’avoir pour but essentiel d’amener l’amour romantique à son parfait accomplissement, le mariage a à effectuer dans le cœur humain quelque chose de bien différent ; une opération alchimique infiniment plus profonde et plus mystérieuse ».[157] Jacques Maritain est fasciné par « un amour réellement désintéressé qui certes n’exclut pas la passion sexuelle mais qui en devient de plus en plus indépendant ».[158] Il ne se réfère pas, dans un sens gnostique ou janséniste, à un amour spirituel complètement déconnecté de la corporéité ou des réalités terrestres, car une telle interprétation serait contraire à sa pensée anthropologique, mais précisément à l’idéal d’« un don complet et irrévocable de l’un à l’autre, pour l’amour de l’autre. C’est ainsi que le mariage peut constituer entre l’homme et la femme une véritable communauté d’amour, bâtie non sur le sable, mais sur le roc ».[159] Cet idéal du don total de soi à son conjoint implique « la dure discipline du sacrifice de soi, à force de renoncements et de purifications [...]. Chacun, en d’autres termes, peut alors devenir réellement un être consacré au bien et au salut de l’autre ».[160] Dans ce contexte, le philosophe souligne le besoin constant de pardon : « Prêt, comme les anges gardiens doivent l’être, à beaucoup pardonner à l’autre. Car la loi évangélique du pardon mutuel exprime, je crois, une exigence foncière ».[161]

103. Le regard philosophique de Maritain apparaît dans ce texte complètement transfiguré par une vision surnaturelle où la puissance de l’amour théologal pousse complètement la personne qui aime hors d’elle-même, à la recherche du bien de l’autre jusqu’à la plénitude de ce bien de l’aimé qui consiste en son salut, c’est-à-dire dans son union totale avec Dieu. Cette vision profondément spirituelle de Maritain semble exclure un traitement philosophique complet de l’amour conjugal que l’on peut trouver chez d’autres auteurs ; pourtant, elle a le grand mérite de guider notre réflexion sur l’amour monogame dans une ascension vers les valeurs les plus élevées, où un tel amour mûrit dans un sens oblatif, lequel dans le mariage prend la forme d’une union radicale. Cette union admirable se manifeste dans le souci sincère et constant du bien de l’autre comme mouvement surnaturel, et dans la recherche tendre et généreuse de la réalisation pleine et totale de la personne aimée dans l’amour salvifique de Dieu.

104. Quoi qu’il en soit, un texte ultérieur fait preuve d’une plus grande précision philosophique. Il s’agit des annotations que Maritain développe à partir du Journal de sa femme, publié après la mort de celle-ci. Ces notes ont été complétées par Maritain lui-même et publiées séparément.[162] Dès les premières pages, on retrouve le thème de cet amour très spécial qui atteint des niveaux élevés de générosité et de désintéressement. Le philosophe français l’appelle « l’amour fou »,[163] car c’est un amour « envisagé sous sa forme extrême et tout à fait absolue »,[164] caractérisé par « le pouvoir qu’il a d’aliéner l’âme d’elle-même ».[165] Mais la nouveauté est que, dans ce commentaire du Journal de Raïssa, il fait un pas décisif : Maritain intègre positivement la sexualité aussi dans le contexte de cet amour parfait. Partant de la nature humaine faite d’esprit et de corps, et de la caractéristique totalisante de l’amour conjugal, il en arrive à affirmer : « Une personne humaine ne peut se donner à une autre, ou s’extasier dans une autre, au point de faire de celle-ci son Tout, que si elle lui donne ou est prête à lui donner son corps tout en lui donnant son âme ».[166] Dans cet amour suprême entre deux êtres humains, l’unité matrimoniale trouve sa plus précieuse expression terrestre.

Autres regards

105. Il semble utile ici de jeter également un regard sur l’Orient non chrétien. Nous nous arrêtons, à titre d’exemple, sur les traditions de l’Inde. Dans cette région, bien que la monogamie ait été habituellement la norme considérée comme un idéal dans la vie conjugale, la polygamie a continué d’exister au fil des siècles. Quoi qu’il en soit, l’un des textes les plus anciens tirés des écritures hindoues, le Manusmṛti, affirme ce qui suit : « Que la fidélité mutuelle se poursuive jusqu’à la mort, cela peut être considéré comme le résumé de la loi suprême pour le mari et la femme. Que l’homme et la femme, unis par le mariage, s’efforcent constamment de ne pas se séparer et de ne pas violer leur fidélité mutuelle ».[167] Un texte très important souvent cité pour défendre la monogamie est celui du Srimad Bhagavatam ou Bhagavata Purana, dans lequel il est affirmé : « Le Seigneur Rāmachandra fit le vœu de n’accepter qu’une seule épouse et de n’avoir aucun lien avec d’autres femmes. C’était un roi saint, et tout dans son caractère était bon, non contaminé par des qualités telles que la colère ».[168] Lorsque Ravana lui ravit sa femme Sita, le Seigneur Rāmachandra, qui aurait pu prendre n’importe quelle femme pour épouse, n’en prend aucune. De plus, l’accent mis sur la chasteté de la femme dans le Thirukkural (un recueil classique d’aphorismes en langue tamoule) souligne l’importance de la fidélité totale : « Si la femme pouvait conserver sa chasteté, quel trésor plus précieux le monde pourrait-il contenir ? [...] Donnez le nom de femme à celle qui sans cesse se protège, prend soin de son mari et de la bonne réputation de sa famille ».[169]

106. En lien avec la réflexion philosophique et culturelle menée jusqu’ici, il convient également de prêter attention au thème de l’éducation. En effet, notre époque connaît diverses dérives en matière d’amour : multiplication des divorces, fragilité des unions, banalisation de l’adultère, promotion du polyamour. Face à tout cela, il faut également reconnaître que les grands récits collectifs (romans, films, chansons) continuent d’exalter le mythe du “grand amour” unique et exclusif. Le paradoxe est évident : les pratiques sociales sapent ce que l’imaginaire célèbre. Cela révèle que le désir d’un amour monogame reste inscrit au plus profond de l’être humain, même lorsque les comportements semblent le contredire.

107. Comment préserver alors la possibilité d’un amour fidèle et monogame ? La réponse se trouve dans l’éducation. Il ne suffit pas de dénoncer les échecs ; en partant des valeurs que l’imaginaire populaire conserve encore, il faut préparer les générations à accueillir l’expérience amoureuse comme un mystère anthropologique. L’univers des réseaux sociaux, où la pudeur s’estompe et où prolifèrent les violences symboliques et sexuelles, montre l’urgence d’une nouvelle pédagogie. L’amour ne peut se réduire à une pulsion : il fait toujours appel à la responsabilité et à la capacité d’espérer de toute la personne. Les fiançailles, au sens traditionnel du terme, incarnent cette période d’épreuve et de maturation où l’autre est accueilli comme une promesse d’infini. Ainsi, l’éducation à la monogamie ne constitue pas une contrainte morale mais une initiation à la grandeur d’un amour qui transcende l’immédiateté. Elle oriente l’énergie érotique vers une sagesse de la durée et vers une ouverture au divin. La monogamie n’est pas un archaïsme, mais une prophétie : elle révèle que l’amour humain, vécu dans sa plénitude, anticipe en quelque manière le mystère même de Dieu.

V. La parole poétique

108. À propos de la parole poétique, le Pape François affirme : « L’expression littéraire est comme une épine dans le cœur qui incite à la contemplation et te met en chemin. La poésie est ouverte, elle te jette ailleurs ».[170] Et il ajoute : « L’artiste est l’homme qui regarde avec ses yeux et rêve en même temps, voit plus profondément, prophétise, annonce une manière différente de voir et de comprendre les choses qui sont sous nos yeux. En effet, la poésie ne parle pas de la réalité à partir de principes abstraits, mais en écoutant la réalité elle-même ».[171] Compte tenu de ces prémisses, il convient de faire référence à la parole poétique pour mieux saisir ce mystère d’amour de deux personnes qui s’unissent et s’appartiennent mutuellement.

109. Il faut noter que de nombreux poètes ont cherché à exprimer la beauté de cette union unique et exclusive. Reconnaître aujourd’hui la force de leur poésie n’implique certainement pas de soutenir que leur vie a été parfaite ou qu’ils ont toujours été fidèles en amour. Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement que, lorsqu’ils ont trouvé l’amour et décidé d’appartenir exclusivement à une autre personne, ou lorsqu’ils ont perçu la valeur d’une union exclusive, ces poètes ont eu besoin de l’exprimer à travers leur art, comme pour indiquer qu’il s’agit de quelque chose qui va au-delà de la satisfaction sexuelle, de la satisfaction d’un besoin personnel ou d’une aventure superficielle. Voyons quelques exemples :

Nous avons tourné et tourné,
Jusqu’à ce que nous rentrions à la maison,
nous deux.
[172]

Aucune autre, mon amour, ne dormira avec mes rêves.
Tu iras, nous irons ensemble à travers les eaux du temps...
[173]

110. Par ces vers, on perçoit que, dans un cheminement de respect et de liberté, le temps consacre le choix réciproque, renforce le lien, approfondit la satisfaction d’appartenir l’un à l’autre, rend précieux ce “nous” qui finit par être perçu comme indestructible. Dans le contexte de cette union, chacun des deux sait que, tout comme il a donné quelque chose de lui-même à l’autre, il a également reçu beaucoup de son bien-aimé :

J’ai descendu des millions d’escaliers en te donnant le bras
non pas parce qu’à quatre yeux on voit peut-être mieux.

Je les ai descendus avec toi parce que je savais que
de nous deux
les seules vraies pupilles, bien que très voilées,
étaient les tiennes.
[174]

Je te donne moi-même,
mes nuits sans sommeil,
les longues gorgées
de ciel et d’étoiles – bues
sur les montagnes,
la brise des mers parcourues
vers des aubes lointaines. […]
Et tu accueilles mon émerveillement
de créature,
mon frémissement de tige
vivante dans le cercle
des horizons,
courbée au vent
limpide – de la beauté :
et tu me laisses regarder ces yeux
que Dieu t’a donnés,
si denses de ciel –
profonds comme des siècles de lumière
engloutis au-delà
des sommets -
[175]

111. La relation est considérée comme irremplaçable, de sorte que, lorsque le poète veut retrouver ses racines, il se conçoit comme lié à l’autre personne, avec une force qui transcende le temps :

Je fermerai les yeux
et je ne veux que cinq choses,
cinq racines préférées.
L’une est l’amour sans fin...
La cinquième chose, ce sont tes yeux,
Ma Mathilde bien-aimée,
Je ne veux pas dormir sans tes yeux,
je ne veux pas être sans que tu me regardes
[176]....

112. Chez les grands poètes, on ne trouve généralement pas de romantisme naïf, mais un réalisme qui reconnaît les risques de l’accoutumance statique, accepte les défis qui stimulent la croissance, et en même temps ne perd pas de vue la nécessité d’une ouverture en dehors du cercle restreint des deux :

Nous deux, nous tenant la main
Nous nous sentons chez nous partout [...]
Aux côtés des sages et des fous
Parmi les enfants et les grands.
[177]

113. Cela tient au fait que l’authenticité de cette union exclut toute forme de fusion fermée sur elle-même. L’appartenance réciproque n’est pas seulement le fruit d’un besoin personnel, mais aussi d’une décision d’appartenir à l’autre qui permet de surmonter la solitude et l’abandon : une décision qui est en même temps intimement marquée par un grand respect pour l’autre et pour son mystère personnel. L’amour qui voit dans l’autre une valeur unique perçoit à sa manière que la personne humaine est “intransférable”, qu’elle ne peut être sa propriété et exige pour lui-même une attitude similaire :

Tes yeux m’interrogent tristement.
Ils voudraient sonder toutes mes pensées
tandis que la lune scrute la mer [...]
Mais c’est mon cœur, mon amour.
Ses joies et ses angoisses
sont immenses
et ses désirs et ses richesses infinis.
Ce cœur t’est aussi proche que ta propre vie,
mais tu ne peux pas le connaître entièrement.
[178]

114. Ces quelques exemples montrent clairement que l’expression poétique prend au sérieux la valeur de l’union exclusive de deux personnes qui ont librement décidé d’être ensemble et de s’appartenir l’une à l’autre de manière exclusive. On peut résumer ce qui a été dit sur le caractère totalisant de l’amour par les mots d’une autre grande poétesse, Emily Dickinson : « Que l’Amour est tout / c’est tout ce que nous savons de l’Amour ».[179]

VI. Quelques réflexions à approfondir

115. Grâce au chemin parcouru jusqu’ici, il est désormais possible de rassembler un ensemble consistant de considérations qui peuvent aider à percevoir l’union matrimoniale, unique et exclusive, de manière harmonieuse et multiforme. Il s’agit de réflexions utiles en soi pour approfondir la signification de la monogamie. Il semble toutefois opportun, dans cette dernière partie de la Note, de concentrer l’attention sur certains points spécifiques importants concernant le thème examiné. Comme nous l’avons vu, l’unité-union matrimoniale pourrait être exprimée sous différentes formes philosophiques, théologiques ou poétiques, mais parmi les nombreuses possibilités, deux semblent décisives : l’appartenance réciproque et la charité conjugale. Toutes deux sont fréquemment évoquées dans différents textes cités tout au long de cette Note.

Appartenance réciproque

116. Une façon d’exprimer cette union exclusive entre deux personnes se résume dans l’expression “appartenance réciproque”. Dès le Ve siècle, saint Léon le Grand fait référence à l’appartenance réciproque des époux lorsqu’il évoque la situation des soldats qui, donnés pour morts, reviennent de la guerre et découvrent qu’ils ont été “remplacés” par d’autres. Le pape ordonne alors que « chacun reçoive ce qui lui appartient ».[180] Cette idée nous amène maintenant à réfléchir à cette appartenance réciproque d’une manière plus riche et plus profonde.

117. C’est saint Thomas d’Aquin qui affirme que, pour établir une amitié, « la bienveillance ne suffit pas, mais l’amour réciproque est nécessaire ».[181] L’appartenance réciproque est fondée sur le libre consentement des deux. En effet, dans le rite latin du mariage, le consentement s’exprime en ces termes : « Je te reçois comme épouse », « je te reçois comme époux ».[182] À cet égard, suivant les prescriptions du Concile Vatican II, il faut dire que le consentement est un « acte humain par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement ».[183] Cet acte « qui lie les époux entre eux »[184] est un don de soi autant qu’une réception réciproque : c’est le dynamisme qui donne naissance à l’appartenance mutuelle, appelée à s’approfondir, à mûrir, à devenir de plus en plus solide. En des termes techniques, le don mutuel est la matière ; l’accueil réciproque est la forme.

118. Ce n’est pas un hasard si saint Paul VI relie le « don personnel réciproque » dans le mariage à l’unité du lien, le caractérisant comme « propre et exclusif ».[185] Et, toujours à propos de réciprocité, Karol Wojtyła soutient qu’elle « nous oblige à considérer l’amour de l’homme et de la femme moins comme l’amour de l’un pour l’autre, que plutôt comme quelque chose qui existe entre eux. [...] L’amour n’est pas dans la femme ni dans l’homme - car alors il y aurait, au fond, deux amours - mais qu’il est unique, il est quelque chose qui les lie. [...] Son être, dans sa plénitude, est interpersonnel et non pas individuel. [...] C’est la réciprocité qui, dans l’amour, décide de la naissance de ce “nous”. Elle prouve que l’amour a mûri, qu’il est devenu quelque chose entre les personnes, qu’il a créé une communauté ».[186] Cette réciprocité est un reflet de la vie trinitaire : « Deux personnes qu’un amour parfait va réunir dans l’unité. Ce mouvement et cet amour les font ressembler à Dieu qui est l’Amour même, l’Unité absolue des trois Personnes ».[187] L’unité du rapport entre les époux est profondément enracinée dans la communion trinitaire.

119. Le Pape François aimait parler du mariage en termes d’appartenance librement choisie, car « sans sentiment d’appartenance, on ne peut pas se donner longtemps aux autres ; chacun finit par chercher seulement ce qui lui convient ».[188] Lors du mariage, chacun des deux « exprime la ferme décision de s’appartenir l’un à l’autre. Se marier est une manière d’exprimer que l’on a réellement quitté le nid maternel pour tisser d’autres liens solides et assumer une nouvelle responsabilité envers une autre personne. Cela vaut bien plus qu’une simple association spontanée pour la satisfaction mutuelle ».[189] L’appartenance réciproque et exclusive devient une forte motivation pour la stabilité de l’union : « Dans le mariage, on vit aussi le sentiment d’appartenir complètement à une seule personne. Les époux relèvent le défi et aspirent à vieillir et à se consumer ensemble, reflétant ainsi la fidélité de Dieu [...]. C’est une appartenance du cœur, là où seul Dieu voit (cf. Mt 5, 28). Chaque matin, au réveil, cette décision de fidélité est renouvelée devant Dieu, quoi qu’il arrive pendant la journée. Et chacun, lorsqu’il va se coucher, attend de se réveiller pour poursuivre cette aventure ».[190]

La transformation

120. Avec le temps, même lorsque l’attirance physique et la possibilité d’avoir des relations sexuelles s’affaiblissent, l’appartenance réciproque n’est pas vouée à la dissolution. Le choix de l’union des deux se modifie et se transforme. Naturellement, ne manqueront pas diverses expressions intimes d’affection qui seront toutefois considérées comme exclusives, car elles seront la manifestation de l’union matrimoniale unique, qui ne pourrait être offerte à d’autres personnes sans en ressentir l’inadéquation. Précisément parce que l’expérience de l’appartenance réciproque et exclusive s’est approfondie et renforcée au fil du temps, certaines expressions sont réservées uniquement à la personne avec laquelle on a choisi de partager son cœur de manière unique.

121. Pour le Pape François, c’est précisément l’un des avantages de l’union matrimoniale comprise comme appartenance réciproque : « La relation intime et l’appartenance réciproque doivent se conserver pendant quatre, cinq ou six décennies, ce qui implique la nécessité de se choisir à plusieurs reprises. Peut-être que le conjoint n’est plus attiré par un désir sexuel intense qui le pousse vers l’autre personne, mais il ressent le plaisir de lui appartenir et qu’elle lui appartienne, de savoir qu’il n’est pas seul, d’avoir un “complice” qui connaît tout de sa vie et qui partage tout. C’est le compagnon sur le chemin de la vie ».[191] Ainsi, « même si de nombreux sentiments confus hantent le cœur, la décision d’aimer, d’appartenir, de partager toute sa vie et de continuer à s’aimer et à se pardonner [...], reste vivante chaque jour. Au cours de ce cheminement, l’amour célèbre chaque pas et chaque nouvelle étape [...]. Le lien trouve de nouvelles modalités et exige la décision de toujours recommencer à l’établir. Non seulement pour le conserver, mais pour le faire grandir ».[192] Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître que l’appartenance réciproque est une manière de concevoir l’union conjugale qui a sa grande richesse et en même temps des limites qu’il est indispensable de clarifier.

La non-appartenance

122. Une caractéristique de la personne est qu’elle est une fin en soi. L’être humain « est la seule créature que Dieu ait voulue pour elle-même sur la terre ».[193] On peut donc dire que l’homme est une fin en soi, et qu’ainsi il ne peut être réduit à être simplement le but d’autres personnes. La personne ne peut être traitée d’une manière qui ne corresponde pas à cette dignité que l’on peut qualifier d’“infinie”,[194] tant en raison de l’amour illimité que Dieu lui porte, que parce qu’il s’agit d’une dignité absolument inaliénable. Chaque « individu humain a la dignité de personne : il n’est pas seulement quelque chose, mais quelqu’un ».[195] Par conséquent, la personne « ne peut être traitée comme un objet d’usage, donc comme un moyen ».[196]

123. Lorsque fait défaut cette conviction propre à l’amour véritable, qui s’arrête devant la dimension sacrée de l’autre, les maladies d’une possession indue de l’autre se développent facilement : manipulations, jalousies, vexations, infidélités. D’autre part, l’“appartenance mutuelle” propre à l’amour réciproque exclusif implique un soin délicat, une crainte sacrée de profaner la liberté de l’autre, qui a la même dignité et donc les mêmes droits. Celui qui aime sait que l’autre ne peut être un moyen de résoudre ses propres insatisfactions, il sait que son vide doit être comblé par d’autres moyens, jamais par la domination de l’autre. Ce n’est pas le cas dans de nombreuses formes de désir malsain qui débouchent sur diverses manifestations de violence explicite ou subtile, d’oppression, de pression psychologique, de contrôle et enfin d’asphyxie. Ce manque de respect et de révérence face à la dignité de l’autre se retrouve également dans ces prétentions de complémentarité où l’un des deux est obligé de ne développer qu’une partie de ses possibilités, tandis que l’autre trouve de larges espaces d’épanouissement personnel. Pour éviter tout cela, il faut reconnaître qu’il n’existe pas de modèle unique de réciprocité conjugale. Dans une relation saine et généreuse, « il existe des rôles et des tâches flexibles qui s’adaptent aux circonstances concrètes de chaque famille ».[197] Par conséquent, « à la maison, les décisions ne sont pas prises unilatéralement, et les deux partagent la responsabilité de la famille, mais chaque foyer est unique et chaque synthèse conjugale est différente ».[198]

124. Lorsque, au lieu d’une saine appartenance réciproque – même si cela exige toujours de la patience et de la générosité –, des signes d’irritation et même certains manquements au respect apparaissent chez le conjoint, il faut réagir à temps avant que n’apparaissent des formes de manipulation ou de violence. Dans ces cas, la personne doit faire valoir sa dignité, fixer les limites nécessaires et entamer un dialogue sincère de manière à exprimer un message clair : “Tu ne me possèdes pas, tu ne me domines pas”. Et cela non seulement pour se défendre, mais aussi pour la dignité de l’autre, car « dans la logique de la domination, même celui qui domine finit par nier sa propre dignité ».[199]

125. Le “nous deux” sain et beau ne peut être que la réciprocité de deux libertés qui ne sont jamais violées, mais qui se choisissent mutuellement en maintenant toujours une limite qui ne peut être franchie, qui ne peut être dépassée sous prétexte d’un besoin, d’une anxiété personnelle ou d’un état psychologique. Comme le souligne le Pape François, les époux « sont appelés à une union toujours plus intense, mais le risque réside dans le fait de prétendre effacer les différences et la distance inévitable qui existe entre les deux. Car chacun possède une dignité propre et unique ».[200] Respecter pleinement ce principe « exige un dépouillement intérieur ».[201]

126. En prenant vraiment au sérieux ce qui a été dit jusqu’ici, le terme “appartenance” ne peut s’appliquer au mariage que de manière analogue. En effet, une forme d’appartenance différente de celle d’un amour qui considère l’autre comme sacré dans sa liberté, non transférable dans son noyau personnel et autonome, ne serait qu’une manière égocentrique de soumettre le conjoint à ses propres fins ou à ses propres projets. La personne ne se disperse pas dans la relation, elle ne se confond pas avec la personne aimée, mais elle reste toujours un noyau non cessible. Cela ne doit pas être compris comme une limite ou une pauvreté de l’amour réciproque ; au contraire, cela permet de maintenir intact ce niveau de respect et d’émerveillement qui font partie de tout amour sain, lequel n’a jamais l’intention d’absorber l’autre.

127. Cela est confirmé par le fait qu’il existe une dimension de la personne qui, étant la plus profonde, transcende toutes les autres – y compris la dimension corporelle – et où seul Dieu peut entrer sans la violer. Il existe un noyau de l’être humain où seul l’amour infini de Dieu peut régner. Lui seul possède l’amour tout-puissant et créateur qui rend possible l’existence même de la liberté. Ainsi, s’il la touche, il ne peut que la renforcer, la promouvoir, l’exalter dans sa nature même, sans aucune possibilité de la mutiler, de la dominer, de l’affaiblir ou de s’imposer à elle. En effet, « Dieu seul pénètre [illabitur] dans l’âme »[202] : Lui seul peut entrer au plus profond du cœur humain, car Lui seul peut le faire sans perturber la liberté et l’identité de la personne.[203] Dieu, par la grâce, se rend pleinement proche en s’identifiant au plus profond de l’être humain, que Lui seul peut atteindre.[204] Par conséquent, « personne ne peut prétendre posséder l’intimité la plus personnelle et la plus secrète de la personne aimée ».[205]

128. Au fur et à mesure que leur amour mûrit, le couple pourra comprendre et accepter paisiblement que l’appartenance réciproque précieuse qui caractérise le mariage n’est pas une possession, mais laisse ouvertes de nombreuses possibilités. Par exemple, que l’un des deux demande un moment de réflexion, ou un peu d’espace habituel de solitude ou d’autonomie, ou qu’il refuse l’intrusion de l’autre dans quelque domaine de son intimité, ou qu’il conserve certains secrets personnels gardés dans le sancta sanctorum de sa conscience sans être suivi ou observé.

129. Lorsque l’amour mûrit, ce “nous deux” possède toute la force de l’union librement choisie par les deux, toute la joie d’un souvenir commun, toute la satisfaction du chemin parcouru et des rêves partagés, toute la sécurité qui découle de la perception que l’on n’est pas seul et qu’on ne le sera pas. Mais cette beauté est exaltée par une magnifique liberté qu’aucun amour véritable ne serait capable de blesser.

130. Par conséquent, le mariage exclut également tout contrôle qui pourrait apporter sécurité, certitude absolue, absence de toute surprise. Dans un amour mûr, si l’autre a besoin d’un espace pour redécouvrir le monde, il n’y a de place que pour la confiance, et non pour la prétention à une tranquillité absolue, dépourvue de toute crainte secrète, incapable d’affronter de nouveaux défis. En ce sens, le mariage ne nous libère pas complètement de la solitude, car le conjoint ne peut atteindre un espace qui ne peut appartenir qu’à Dieu, ni combler un vide que nul être humain n’est capable de remplir. Le fait que son affection ne soit pas parfaite ne signifie pas qu’elle soit fausse, totalement égoïste, inauthentique, mais simplement qu’elle est terrestre, limitée, qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’elle satisfasse tous nos besoins.

Aide réciproque

131. Certes, cette capacité à accepter le risque de la liberté n’implique pas qu’un conjoint très sensible à la défense de ses espaces d’autonomie cultive une indifférence envers les craintes de l’autre, une confiance excessive en soi, une prétention à une indépendance complète que le cœur humain limité de son partenaire, surtout s’il l’aime, ne pourra accepter sans une grande souffrance. Il ne peut se sentir sauvé dans son autonomie et sa suffisance, car une alliance d’amour implique également la reconnaissance que l’autre a besoin de lui.

132. En préservant une saine liberté, la Parole de Dieu, tout en approuvant la demande d’espaces d’autonomie et de solitude pendant un certain temps, exige également : « Ne vous refusez pas l’un à l’autre » (1 Co 7, 5). Lorsque la distance devient trop fréquente, le “nous deux” s’expose à une possible éclipse, à l’affaiblissement du désir de l’autre. Dans tous les cas, si l’attirance réciproque s’affaiblit, il est toujours possible de trouver un espace de dialogue sincère pour guérir ce qui provoque l’éloignement réciproque. En définitive, on peut toujours rechercher des voies alternatives qui consolident et enrichissent le “nous” d’une manière inédite. Il s’agit d’un équilibre sain, mais difficile, que chaque couple atteint à sa manière, à travers le dialogue sincère et le don réciproque.

133. L’appartenance réciproque devient une aide mutuelle, une aide qui non seulement recherche le bonheur du conjoint et l’apaisement de ses peines, mais qui consiste aussi à s’aider mutuellement à mûrir en tant que personnes jusqu’à atteindre le but ultime de la vie des deux devant Dieu, dans le banquet céleste. Saint Paul VI rappelle que « par le moyen de la donation personnelle réciproque, qui leur est propre et exclusive, les époux tendent à la communion de leurs êtres, en vue d’un mutuel perfectionnement ».[206] La prière en couple est certainement un moyen précieux de grandir dans l’amour et de se sanctifier ensemble, une prière qui « a comme contenu original la vie même de la famille ».[207] Dans ce chemin de sanctification, dit Sertillanges, il ne faut pas exclure la sexualité vécue comme expression sainte d’un don total de soi à l’autre, comme le Christ et son Église se donnent mutuellement : « L’acte accompli ainsi n’est donc pas seulement licite, comme effet d’une institution naturelle et légale ; il n’est pas seulement vertueux, comme utile et engagé dans des fins utiles ; il est saint de la sainteté du sacrement dont il est l’emploi, de la sainteté de l’union sacrée de toute l’humanité avec son Rédempteur ».[208]

134. Un discours sur la monogamie implique la reconnaissance du fait que l’unicité du conjoint reflète, dans l’ordre “horizontal” des relations humaines, l’unicité de la relation de la personne humaine avec l’Infini divin. Penser à la monogamie signifie interroger la relation de l’amour humain avec son accomplissement ultime. Chaque relation d’amour appelle silencieusement la présence d’un Troisième infini, qui est Dieu lui-même.[209] Sans ce Troisième, l’amour s’enferme facilement dans sa propre finitude et s’effondre. L’exclusivité conjugale apparaît alors non pas comme une limitation, mais comme la condition de possibilité d’un amour surnaturel qui, au-delà de la chair, s’ouvre à l’éternité. En effet, saint Thomas d’Aquin enseigne que « l’Esprit Saint procède invisiblement dans l’âme par un don d’amour »,[210] de sorte que, dans l’expérience de l’amour authentique, nous nous connectons à cet Amour infini qu’est le Saint-Esprit. C’est précisément l’expérience d’un amour aussi proche, comme celui du mariage, qui fait naître fortement dans le cœur humain le désir d’un amour non seulement pour toujours, mais sans fin. Alors, l’amour des époux devient l’épiphanie de la destination transcendante et éternelle de la personne humaine. Car seul un amour capable de transcender l’amour humain, un Amour éternel et infini, peut répondre à ce désir d’amour “pour toujours” et “sans fin” que suscite l’amour conjugal. C’est pourquoi l’expérience de cette proximité particulière et intense, offerte par le lien conjugal, est finalement destinée à libérer dans le cœur de chaque homme et de chaque femme le désir de cette proximité incomparable que seul Dieu peut offrir de manière pleine et définitive. Dieu lui-même, en se faisant homme, commence à répondre à ce désir, conférant à la proximité qui naît du lien matrimonial le sceau de l’unicité qui est précisément le signe et le gage de la communion de Dieu avec chacun de nous dans une alliance d’amour sans fin. Par conséquent, comment ne pas considérer le mariage comme un chemin d’aide mutuelle pour se sanctifier ensemble, pour atteindre les sommets de l’union avec Dieu ?

135. L’aide réciproque pour la sanctification, dans laquelle les deux se soutiennent « mutuellement dans la grâce »,[211] se réalise surtout dans l’exercice de la charité conjugale, car seule la charité exercée concrètement envers l’autre nous permet de grandir dans la vie de grâce, et sans cette vertu, tout effort de sanctification « ne me servirait de rien » (1 Co 13, 3). C’est pourquoi les dernières pages de ce document sont consacrées à cette puissance unificatrice qu’est la charité conjugale.

Charité conjugale

136. Nous avons déjà évoqué le caractère réciproque de l’union conjugale qui peut être considérée comme une forme d’amitié intime et totalisante. À cet égard, il convient de rappeler que saint Thomas précise que l’amitié est « fondée sur une certaine communion ».[212] Plus que certaines affinités idéologiques ou esthétiques, qui peuvent être très importantes, il s’agit de la communion que crée l’amour qui, par sa force unitive, rend les époux semblables l’un à l’autre, accroît les choses qu’ils partagent, crée un trésor de vie entre eux. Il faut donc dire avant tout que, pour parler d’amitié, il faut qu’il y ait de l’amour.

Une forme particulière d’amitié

137. On ne peut bien comprendre le mariage sans parler de l’amour qui, pour les chrétiens, est toujours appelé à atteindre les sommets de la charité, l’amour surnaturel qui « excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout » (1 Co 13, 7). En effet, « la grâce propre au sacrement du mariage est destinée à perfectionner l’amour des époux ».[213] Cet amour surnaturel est un don divin qui est demandé dans la prière et nourri dans la vie sacramentelle, et qui invite les époux à se souvenir que Dieu est l’auteur principal de l’unité du mariage et que, sans son aide, leur union ne pourra jamais atteindre sa plénitude. Lorsque, dans le rite latin du mariage, on reprend les mots du Seigneur : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne sépare pas »[214] (cf. Mt 19, 6 ; Mc 10, 9), on souligne que l’unité conjugale n’est pas seulement constituée par le consentement humain, mais qu’elle est l’œuvre du Saint-Esprit. Il en va de même pour la croissance dans la communion des époux, animés par la grâce et la charité. Cette communion se développe comme une réponse à une « vocation venant de Dieu et réalisée comme une réponse filiale à son appel ».[215] Mais la croissance de la charité ne se fait pas sans la coopération humaine : dans ce cas, la collaboration des époux recherchera chaque jour une communion toujours plus intense, riche et généreuse.

138. La charité – y compris la charité conjugale – est une union affective ; le terme “affectif” signifie ici quelque chose de plus que les sentiments et les désirs : « Elle implique un lien affectif entre celui qui aime et la chose aimée : en tant que celui qui aime considère la personne aimée comme une seule chose avec lui-même ».[216] Elle s’exprime dans l’action de la volonté[217] qui veut, choisit quelqu’un, décide d’entrer en communion intime avec lui, s’unit librement à cette personne, avec tous les effets plus ou moins intenses que cela peut impliquer dans la sensibilité sous forme de désir, d’émotions, d’attirance sexuelle, de sensualité. Même lorsque ces effets sur la sensibilité ou sur le corps s’affaiblissent ou se transforment au cours des différentes phases de la vie, l’union affective demeure, parfois avec une grande intensité, dans la volonté. C’est la volonté qui veut rester en union avec l’autre être humain, l’appréciant comme ayant une « grande valeur »[218] et constituant avec lui « une seule chose avec soi-même ».[219]

139. C’est seulement ainsi qu’il est possible de garder la fidélité dans les moments difficiles ou dans la tentation, car la charité nous maintient attachés à une valeur plus élevée que la satisfaction des besoins personnels. À cet égard, on ne peut ignorer les nombreux témoignages de couples dont les époux se sont soutenus mutuellement dans les différentes difficultés de la vie, parfois au cours d’épreuves qui ont duré des années, témoignant ainsi de la valeur prophétique de la monogamie. Ce fait est bien exprimé dans la formule du consentement du rite latin du mariage : « Je promets de te rester fidèle, dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé et la maladie, pour t’aimer tous les jours de ma vie ».[220] C’est précisément la charité conjugale, avec sa force unitive, qui permet à cette promesse de se réaliser véritablement. Cette union affective, fidèle et totale, se présente dans le mariage comme une amitié, car en fin de compte, la charité est une forme d’amitié.[221] Le Pape François, citant saint Thomas d’Aquin, soutient donc qu’ « après l’amour qui nous unit à Dieu, l’amour conjugal est la “plus grande amitié” ».[222]

140. Dans l’Ancien Testament, se trouve une affirmation péremptoire concernant la nécessité d’aimer : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Il s’agit d’une affirmation qui vient à la fin d’un passage où sont rappelées à plusieurs reprises les obligations du pieux Israélite envers ceux qui sont son “prochain”. C’est une affirmation très connue, car Jésus la reprend et la relance (cf. Mt 22, 39 ; Mc 12, 31 ; Lc 10, 29-37). Il établit ainsi un lien tout à fait particulier entre la réalité de l’amour, phénomène si universel, et la catégorie de “prochain”. De cette manière, l’amour lui-même, lorsqu’il est authentique, ne s’adresse pas seulement à ceux qui sont proches de nous, mais il est également capable de générer une “proximité”. Il en résulte donc que le “prochain” est celui avec qui se réalise un partage particulier de la vie. En ce sens, l’amour conjugal révèle et incarne une “proximité” spéciale, qui fait résonner de manière particulièrement convaincante le contenu du commandement. L’amour des époux, en effet, réalise et rappelle une proximité unique et singulière entre deux cœurs qui s’aiment, générant une affinité spéciale qui se nourrit d’un tel partage de soi, des biens et de la vie entière, que la profondeur de l’amour conjugal est capable de réaliser avec une intensité incomparable. Au fur et à mesure que l’amour mûrit et grandit dans le mariage, le cœur de la personne aimée perçoit qu’aucun autre cœur n’est capable de le faire sentir “chez lui” comme celui de la personne qu’il aime.

Dans le corps et l’âme

141. Cette amitié conjugale, chargée de connaissance mutuelle, d’appréciation de l’autre, de complicité, d’intimité, de compréhension et de patience, de recherche du bien de l’autre, de gestes sensibles, dans la mesure où elle dépasse la sexualité, l’embrasse en même temps et lui donne son sens le plus beau, le plus profond, le plus unificateur et le plus fécond. À cet égard, le Pape François rappelle que « Dieu lui-même a créé la sexualité, qui est un don merveilleux ».[223] En même temps, « l’union sexuelle, vécue de manière humaine et sanctifiée par le sacrement, est à son tour pour les époux un chemin de croissance dans la vie de la grâce ».[224] C’est précisément pour cette raison que placer la sexualité dans le cadre d’un amour qui unit les époux dans une amitié unique, qui recherche le bien de l’autre, n’implique pas une atteinte au plaisir sexuel. En l’orientant vers le don de soi, non seulement il est enrichi, mais il peut aussi être renforcé. Saint Thomas d’Aquin explique très bien tout cela lorsqu’il rappelle que « la nature a lié le plaisir aux fonctions nécessaires à la vie de l’homme » et que celui qui le refuserait « au point de négliger ce qui est nécessaire à la conservation de la nature, commettrait un péché, violant ainsi l’ordre naturel. Et c’est précisément cela qui relève du vice de l’insensibilité ».[225] Dans cette logique, saint Thomas soutient qu’avant le péché originel, le plaisir sensible était plus grand car la nature était plus pure, plus intègre, et par conséquent le corps était plus sensible. Cela est l’opposé de la débauche anxieuse qui finit par nuire au plaisir en le privant des possibilités d’une expérience authentiquement humaine.[226] Les capacités spécifiques à l’homme qui permettent à l’esprit humain d’imprégner la sensibilité, de l’orienter et de la mener à son accomplissement, « n’ont pas pour fonction de diminuer le plaisir des sens », mais plutôt de le rendre possible dans toute sa plénitude et sa richesse, en empêchant « la faculté concupiscible d’adhérer de manière effrénée au plaisir ».[227] Vivre la sexualité comme une action de tout l’être humain, dans sa corporéité et son intériorité, grâce aussi au pouvoir transfigurant de la charité, signifie qu’elle n’est pas vécue passivement comme un simple abandon aux pulsions, mais comme l’action de la personne qui choisit de s’unir pleinement à l’autre.

142. Vécue de cette manière, la sexualité n’est plus l’exutoire d’un besoin immédiat, mais un choix personnel qui exprime la totalité de sa propre personne et assume l’autre comme une totalité personnelle. Cette vérité, loin de compromettre l’intensité du plaisir, peut l’augmenter, le rendre plus intense, plus riche et plus satisfaisant. Le simple fait d’être traité comme une personne et de traiter l’autre de la même manière peut libérer le cœur des traumatismes, des peurs, des angoisses, des sentiments de solitude, d’abandon, d’incapacité à aimer, qui nuisent certainement au plaisir. En même temps, le développement de l’amour en tant que vertu humaine et théologale aide à libérer le meilleur de chaque personne dans son identité unique, et ainsi à la rendre capable d’une joie plus grande et plus humaine, jusqu’à rendre grâce à Dieu qui a tout créé « afin que nous en jouissions » (1 Tm 6, 17). Tout cela n’enlève rien à l’union sexuelle, cette « abondance de plaisir qui est dans l’acte vénérien ordonné selon la raison » et qui « ne contredit pas le moyen de la vertu ».[228] En revanche, si l’on se replie sur soi-même et sur ses besoins immédiats, et si l’on utilise l’autre comme un simple moyen de les assouvir, le plaisir laisse plus insatisfait et le sentiment de vide et de solitude devient plus amer.

143. Parlant de la charité conjugale, Karol Wojtyła invite à dépasser toute dialectique inutile expliquant que « l’amour-vertu se réfère à l’amour effectif ainsi qu’à l’amour de concupiscence ».[229] Le Pape Benoît XVI, dans Deus caritas est, réaffirme que l’amour oblatif (amor benevolentiae) et l’amour possessif (amor concupiscientiae) ne peuvent être dissociés l’un de l’autre, car « au fond, l’“amour” est une réalité unique, mais avec des dimensions différentes ; tour à tour, l’une ou l’autre dimension peut émerger de façon plus importante. Là où cependant les deux dimensions se détachent complètement l’une de l’autre, apparaît une caricature ou, en tout cas, une forme réductrice de l’amour ».[230] Lorsque nous parlons de l’amour de concupiscence, nous ne devons pas seulement entendre le désir sexuel, mais aussi toute manière de rechercher l’autre comme un “bien pour moi”, pour surmonter la solitude, recevoir de l’aide dans les difficultés, avoir un espace de confiance totale, etc. Cette forme d’amour, qui n’est pas exclue du mariage, est une manière d’exprimer que je ne suis pas le sauveur de l’autre, un dispensateur de bien tout-puissant et inépuisable, mais que je suis un être dans le besoin ; j’ai moi aussi besoin de l’autre, je suis incomplet et fragile, et donc l’autre est important pour moi, et je lui donne la possibilité de devenir fécond en me faisant du bien. Agir autrement serait une sorte d’autosuffisance qui pourrait facilement se transformer en un égocentrisme déguisé, car Satan « se déguise en ange de lumière » (2 Co 11, 14). Benoît XVI explique ainsi que « l’homme ne peut pas non plus vivre exclusivement dans l’amour oblatif, descendant. Il ne peut pas toujours seulement donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don ».[231]

144. En ce sens, nous ne pouvons ignorer que, au cours des dernières décennies, dans le contexte de l’individualisme consumériste postmoderne, divers problèmes sont apparus provenant d’une recherche excessive et incontrôlée du sexe, ou de la simple négation de la finalité procréative de la sexualité. On peut signaler qu’une caractéristique particulière des dernières décennies est la négation explicite de la finalité unitive de la sexualité et du mariage lui-même. Cela s’explique notamment par le sentiment d’anxiété, le fait d’être toujours occupé, de vouloir disposer de plus de temps libre pour soi-même, d’être toujours obsédé par le désir de voyager et de découvrir d’autres réalités. En conséquence, on voit disparaître le désir d’échange affectif, de relations sexuelles, mais aussi de dialogue et de coopération, considérés comme “stressants”.

La fécondité multiforme de l’amour

145. Une vision intégrale de la charité conjugale ne nie pas sa fécondité, la possibilité de générer une nouvelle vie, car « cette totalité, requise par l’amour conjugal, correspond également aux exigences d’une fécondité responsable ».[232] L’union sexuelle, en tant que mode d’expression de la charité conjugale, doit naturellement rester ouverte à la transmission de la vie[233] sans pour autant que cela doive être un but explicite de chaque acte sexuel. En effet, trois situations légitimes peuvent se présenter :

a) Un couple ne peut pas avoir d’enfants. Karol Wojtyła l’explique magnifiquement, lorsqu’il rappelle que le mariage possède « une structure interpersonnelle, il est une union et une communauté de deux personnes. [...] Pour bien des raisons, le mariage peut ne pas devenir famille, mais le manque de celle-ci ne le prive pas de son caractère essentiel. En effet, la raison d’être intérieure et essentielle du mariage n’est pas seulement de se transformer en famille, mais surtout de constituer une union de deux personnes, une union durable et fondée sur l’amour. [...] Un mariage où il n’y a pas d’enfants, sans la faute des époux, garde la valeur intégrale de l’institution [...], mais [il] ne perd rien de son importance ».[234]

b) Un couple ne recherche pas consciemment un acte sexuel déterminé comme moyen de procréation. Wojtyła le dit également, affirmant qu’un acte conjugal qui, « étant en lui-même un acte d’amour unissant deux personnes, ne doit pas être nécessairement considéré par elles comme un moyen conscient et voulu de procréation ».[235]

c) Un couple respecte les temps naturels d’infertilité. Suivant cette ligne de réflexion, comme l’affirme saint Paul VI, « l’Église enseigne qu’il est alors permis de tenir compte des rythmes naturels, inhérents aux fonctions de la génération, pour user du mariage dans les seules périodes infécondes ».[236] Cela peut servir non seulement à « réguler la natalité », mais aussi à choisir les moments les plus opportuns pour accueillir une nouvelle vie. Entre-temps, le couple peut profiter de ces périodes, telle une « manifestation d’affection et sauvegarde de mutuelle fidélité. Ce faisant, ils donnent la preuve d’un amour vraiment et intégralement honnête ».[237]

146. Tout cela montre l’importante nouveauté qu’offre le Pape Pie XI, lorsqu’il affirme que l’amour conjugal « imprègne tous les devoirs de la vie conjugale et occupe, dans le mariage chrétien, la première place en termes de noblesse ».[238] Il contribue ainsi à dépasser la discussion sur la relation entre les fins ou les significations du mariage (procréative et unitive) et l’ordre qui existe entre elles, en plaçant la charité conjugale au-dessus de cette dialectique des fins et des biens comme question centrale de la vie conjugale, qui lui confère à son tour une fécondité multiforme. Même dans les moments les plus difficiles, les époux peuvent dire : “Nous sommes amis, nous nous aimons, nous nous valorisons, nous avons décidé de partager toute notre vie, nous nous appartenons, et nous avons librement choisi cette union que Dieu lui-même a bénie et consolidée. Si, à un moment donné, nous n’avons pas d’enfants, nous restons unis et nous sommes féconds d’autres manières ; si, à un moment donné, nous n’avons pas de relations sexuelles, nous continuons à vivre cette amitié unique, exclusive et totalisante, qui est aussi notre meilleur chemin de maturation et de sanctification”.

147. Augustin lui-même, qui insiste tant sur la finalité de la procréation, enseigne que le mariage en soi est un bien, même s’il n’y a pas d’enfants, « en raison de la société naturelle qu’il établit entre les deux sexes. On ne pourrait, sans cela, appeler mariage l’union de personnes âgées, surtout si elles ont perdu leurs enfants ou n’en ont jamais engendrés ».[239] Une position similaire, exprimée en d’autres termes, est soutenue par saint Jean Chrysostome : « Mais que dis-je ? Même sans enfant, [les époux] ne seront-ils plus deux ? C’est bien évident : leur union (míxis) opère justement cela, en alliant et en unissant étroitement leurs corps à tous deux. Et de même qu’en versant du parfum dans de l’huile, on fait du tout une unique réalité, il en va de même ici aussi ».[240] C’est ce qu’affirme en substance le Concile Vatican II : « Même si la descendance, souvent si vivement désirée, n’est pas là, le mariage perdure comme une coutume et une communion pour toute la vie et conserve sa valeur ».[241]

148. Un auteur explique bien que, au-delà des “objectifs” que les époux peuvent se fixer, qui ne constituent pas l’essence du mariage, « l’union-unité qu’implique le mariage s’explique et se justifie par elle-même, avec priorité à sa tension téléologique, car c’est une union-unité qui possède en elle-même sa propre et complète raison de bien, dont découlent sans aucun doute certaines œuvres propres, mais comme conséquence, jamais comme causes ».[242] De cette union-unité, qui appartient à l’essence du mariage, la charité conjugale est l’expression morale et spirituelle principale la plus parfaite, qui donne au mariage différentes formes de fécondité.

Une amitié ouverte à tous

149. Il découle de ce qui précède qu’une union exclusive générée et soutenue par le véritable amour, même s’il est encore immature et fragile, ne peut être fermée en elle-même ; elle n’est pas le prolongement de l’individualisme dans la vie de couple mais elle est ouverte à d’autres relations, disposée au don de soi du couple, aux projets partagés par les deux pour faire quelque chose de beau pour la communauté et pour le monde.

150. Si le mariage est déjà en soi un cadre relationnel qui fait mûrir les deux époux, cela est encore plus vrai lorsqu’il est généreusement ouvert aux autres, dépassant ainsi « la fermeture tragique originelle de l’homme sur lui-même »,[243] qui conduit à penser qu’en s’isolant, la personne est plus libre et plus heureuse. Car « la créature humaine, en tant qu’être spirituel, se réalise dans les relations interpersonnelles. Plus elle les vit de manière authentique, plus elle mûrit également sa propre identité personnelle. Ce n’est pas en s’isolant que l’homme se réalise, mais en se mettant en relation avec les autres et avec Dieu ».[244]

151. Comme l’enseigne le Pape François dans son appel à la fraternité universelle, la charité est appelée à une croissance intensive mais aussi extensive, qui « tend à embrasser tout le monde ».[245] La charité nous pousse donc à élargir le “nous” conjugal : « Je ne peux réduire ma vie à la relation avec un petit groupe, ni même à ma famille, car il est impossible de me comprendre moi-même sans un tissu plus large de relations […]. Le lien du couple et de l’amitié vise à ouvrir le cœur autour de soi, à nous rendre capables de sortir de nous-mêmes jusqu’à accueillir tout le monde. Les groupes fermés et les couples autoréférentiels, qui se constituent comme un “nous” opposé au monde entier, sont généralement des formes idéalisées d’égoïsme et de simple autoprotection ».[246]

152. Le risque d’“endogamie”, c’est-à-dire d’un “nous” fermé, contredit la nature même de la charité et peut la blesser mortellement. Quatre facteurs peuvent prévenir cette “endogamie” qui dénature et appauvrit le sens de l’union conjugale :

a) Les espaces que chacun des conjoints vit dans le travail, dans les initiatives personnelles, dans les moments d’apprentissage et de développement en dehors de la vie conjugale ; si l’un des deux n’a pas d’emploi, il devient nécessaire de créer ces espaces qui concourent au bien du mariage, en enrichissant le dialogue et la relation en général.

b) La signification procréative du mariage manifeste la fécondité de l’amour qui n’est pas fermé à la communication de la vie. Pour ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfants, l’adoption ou d’autres formes de soutien stable aux enfants d’autres couples peuvent être un moyen de réaliser cette fécondité.

c) Le temps partagé avec d’autres amis mariés, au cours duquel, tout en apprenant des expériences des autres et en recevant leur soutien, il y a une disponibilité constante à donner un coup de main dans les moments difficiles, tout en aidant le couple à prendre conscience de lui-même en tant qu’union grâce à l’amitié avec d’autres couples.

d) Le sens social du couple qui, fidèle à la dimension sociale de la vie chrétienne, cherche les moyens de rendre service à la société et à l’Église, en s’engageant ensemble dans la recherche du bien commun : « Même la famille qui a de nombreux enfants est appelée à laisser ses empreintes dans la société où elle est insérée, afin de développer d’autres formes de fécondité qui sont comme la prolongation de l’amour qui l’anime [...]. Elle ne reste pas à attendre, mais sort d’elle-même dans une recherche solidaire ».[247] « L’amour social, reflet de la Trinité, est en réalité ce qui unifie le sens spirituel de la famille et sa mission extérieure ».[248]

153. Une preuve particulière de l’ouverture de l’amitié du couple envers les autres et de la fécondité de leur charité se manifeste dans leur attention envers les pauvres. En effet, rappelle le Pape Léon XIV, « le chrétien ne peut considérer les pauvres uniquement comme un problème social : ils sont une “question familiale”. Ils sont “des nôtres” ».[249] De plus, « l’amour envers les pauvres – quelle que soit la forme que prenne cette pauvreté – est la garantie évangélique d’une Église fidèle au cœur de Dieu ».[250] Ce fait se reflète dans l’une des options pour la bénédiction finale du rite latin du mariage, qui se termine par la prière : « Soyez dans le monde les témoins de l’amour de Dieu : ouvrez votre porte aux malheureux et aux pauvres, qui vous recevront un jour avec reconnaissance dans la demeure éternelle de Dieu ».[251]

VII. Conclusion

154. En conclusion, bien que chaque union conjugale soit une réalité différente, incarnée dans les limites humaines, tout mariage authentique est une unité composée de deux individus, qui exige une relation si intime et totalisante qu’elle ne peut être partagée avec d’autres. En même temps, puisqu’il s’agit d’une union entre deux personnes qui ont exactement la même dignité et les mêmes droits, elle exige cette exclusivité qui empêche l’autre d’être relativisé dans sa valeur unique et d’être utilisé uniquement comme un moyen parmi d’autres pour satisfaire des besoins. Telle est la vérité de la monogamie que l’Église lit dans l’Écriture, lorsqu’elle affirme que les deux deviennent “une seule chair”. C’est la première caractéristique essentielle et inaliénable de cette amitié si particulière qu’est le mariage, et qui exige comme manifestation existentielle une relation totalisante – spirituelle et corporelle – qui mûrit et grandit toujours plus vers une union qui reflète la beauté de la communion trinitaire et de l’union entre le Christ et son peuple bien-aimé. Cela se vérifie à tel point que nous pouvons reconnaître « dans l’union conjugale intime, par laquelle deux personnes deviennent un seul cœur, une seule âme, une seule chair, le premier sens originel du mariage ».[252]

155. Le chemin parcouru dans cette Note permet maintenant de mettre en évidence une évolution de la pensée chrétienne sur le mariage, de l’Antiquité à nos jours, où il est évident que parmi ses deux propriétés essentielles – l’unité et l’indissolubilité – l’unité est la propriété fondatrice. D’une part, parce que l’indissolubilité découle comme caractéristique d’une union unique et exclusive ; d’autre part, parce que l’unité-union, acceptée et vécue avec toutes ses conséquences, rend possibles la permanence et la fidélité qu’exige l’indissolubilité. En effet, plusieurs documents magistériels ont décrit l’union matrimoniale simplement comme une « indissoluble unité ».[253]

156. Cette union exige la croissance constante de l’amour : « L’amour conjugal ne se préserve pas avant tout en parlant de l’indissolubilité comme d’une obligation, ou en répétant une doctrine, mais en le fortifiant grâce à une croissance constante sous l’impulsion de la grâce. L’amour qui ne grandit pas commence à courir des risques, et nous ne pouvons grandir qu’en répondant à la grâce divine par davantage d’actes d’amour, par des actes d’affection plus fréquents, plus intenses, plus généreux, plus tendres, plus joyeux ».[254] L’unité conjugale n’est pas seulement une réalité qui doit être toujours mieux comprise dans son sens le plus beau, mais aussi une réalité dynamique, appelée à un développement continu. Comme l’affirme le Concile Vatican II, le mari et la femme « expérimentent le sens de leur unité et l’atteignent de plus en plus pleinement ».[255] Car « le meilleur est ce qui n’a pas encore été atteint, le vin mûri avec le temps ».[256]

Le Souverain Pontife Léon XIV, au cours de l’Audience accordée au Préfet soussigné et au Secrétaire pour la Section doctrinale du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, le 21 novembre 2025, mémoire liturgique de la Présentation de la Bienheureuse Vierge Marie, a approuvé la présente Note examinée le 19 novembre 2025 par la Session Ordinaire du Dicastère, et en a ordonné la publication.

Donné à Rome, au siège du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, le 25 novembre 2025.

Víctor Manuel Card. Fernández
Préfet

Mgr Armando Matteo
Secrétaire
pour la Section doctrinale

Ex Audientia Die 21 novembris 2025
Leo PP. XIV

 


[1] François, Audience générale (23 octobre 2024) : L’Osservatore Romano (23 octobre 2024), 2.

[2] Jean Paul II, Homélie de la messe pour les familles à Kinshasa (3 mai 1980), 2 : AAS 72 (1980), 425.

[3] Le Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) s’est engagé à rédiger un rapport pour le Synode des Évêques sur les défis de la polygamie. En attendant ce document, il semble opportun de souligner que, selon une opinion courante, le mariage monogame en Afrique serait considéré comme une exception étant donné la diffusion de la pratique de la polygamie dans ces régions. Cependant, des études approfondies sur les cultures africaines montrent que les différentes traditions accordent une importance particulière au premier mariage entre un homme et une femme, et surtout au rôle que la première épouse est appelée à jouer vis-à-vis des autres épouses. En effet, les recherches indiquent plutôt que la polygamie est une pratique tolérée en raison des nécessités de la vie (absence de descendance, lévirat, main d’œuvre pour la survie, etc.). De fait, de nombreuses traditions promeuvent le modèle monogame comme l’idéal du mariage correspondant au dessein divin. La première épouse régulièrement mariée selon les coutumes traditionnelles est souvent présentée comme celle donnée par Dieu à l’homme, bien que ce dernier puisse accueillir d’autres femmes. Dans le cas de la polygamie, la première épouse se voit attribuer une place particulière dans l’accomplissement des rites sacrés liés aux funérailles ou dans l’éducation des enfants nés d’autres femmes de la famille. Il est intéressant de noter que, au cours des dernières décennies, dans certains États, le législateur civil a établi la monogamie comme régime matrimonial ordinaire (cf. Société Africaine de Culture, Les religions africaines comme source de valeurs de civilisation. Colloque de Cotonou, 16-22 août 1970, Présence Africaine, Paris 1972 ; Isidore de Souza, « Mariage et famille », in Revue de l’Institut Catholique de l’Afrique de l’Ouest 5-6 [1993], p. 164 ; Id., « Notion et réalité de la famille en Afrique et dans la Bible », in Savanes Forêts 30 [1984], p. 145-146).

[4] Can. 1056 CIC (italiques ajoutés) ; cf. can. 776, § 3 CCEO.

[5] Can. 1134 CIC (italiques ajoutés) ; cf. Catéchisme de l’Église Catholique, 1638.

[6] Le Supplément de la Summa Theologiae (Suppl., q. 44, a. 3) reprend la définition du mariage donnée par Pierre Lombard in Sent. IV, d. 27, c. 2 (164) : « Sunt igitur nuptiae vel matrimonium viri mulierisque coniunctio maritalis, inter legitimas personas, individuam vitae consuetudinem retinens ».

[7] Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Suppl., q. 44, a. 1, resp. (italiques ajoutés).

[8] Justinien, Institutiones, I, 9, 1, trad. Y. Lassard, The Roman Law Library, 2013, 5.

[9] D. von Hildebrand, L’enciclica Humanae vitae : segno di contraddizione, Paoline, Roma 1968, p. 43 (traduction par notre Dicastère).

[10] Jean Paul II, Exhort. apost. Familiaris consortio (22 novembre 1981), 19 : AAS 74 (1982), 101-102 (italiques ajoutés).

[11] Augustin, In Ioannis Evangelium, tract. XXVI, 4 (« Da amantem, et sentit quod dico ») : PL 35, 1608.

[12] Paul VI, Discours aux Foyers des Équipes Notre-Dame (4 mai 1970), 6 : AAS 62 (1970), 430.

[13] Benoît XVI, Rencontre avec les jeunes du diocèse de Rome en préparation à la 21e journée de la jeunesse (6 avril 2006), 2 : AAS 98 (2006), 351 ; cf. Jean Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), 68 : AAS 74 (1982), 163-165.

[14] Jean Paul II, Audience générale (13 août 1980), 2 : Insegnamenti III, 2 (1980), 397.

[15] Cf. Commission Biblique Pontificale, Che cos’è l’uomo? (Ps 8, 5). Un itinerario di antropologia biblica (30 septembre 2019), 173 : Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano 2019, p. 148-149 (traduction par notre Dicastère).

[16] François, Exhort. ap. Amoris laetitia (19 mars 2016), 12 : AAS 108 (2016), 315-316.

[17] Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), 11 : AAS 98 (2006), 226-227.

[18] François, Exhort. ap. Amoris laetitia (19 mars 2016), 13 : AAS 108 (2016), 316.

[19] Jean Paul II, Audience générale (27 août 1980), 4 : Insegnamenti III, 2 (1980), 454.

[20] Benoît XVI, Discours à l’occasion du 25e anniversaire de la Fondation de l’Institut Pontifical Jean Paul II pour les études sur le mariage et la famille (11 mai 2006) : Insegnamenti II, 1 (2006) 579 ; cf. Id., Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), 11 : AAS 98 (2006), 226-227.

[21] Cf. Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes (7 décembre 1965), 48 : AAS 58 (1966), 1067 ; François, Exhort. ap. Amoris laetitia (19 mars 2016), 67 ; AAS 108 (2016), 338.

[22] En grec : « Τίμιος ὁ γάμος ἐν πᾶσιν καὶ ἡ κοίτη ἀμίαντος » (He 13, 4).

[23] Jean Chrysostome, La virginité, 19, 1 : PG 48, 547.

[24] Augustin, La Genèse au sens littéral IX, 7, 12 : PL 34, 397.

[25] Id., Le bien du mariage 1, 1 : PL 40, 373.

[26] Tertullien, Ad uxorem II, 8, 6-7, cité dans le Catéchisme de l’Église Catholique, 1642 (cf. PL 1, 1302 A-B). On observe que Tertullien a traité le thème de la monogamie dans une œuvre particulière, le De monogamia (PL 2, 929-954). De plus, un autre Père, Jérôme, a traité directement le sujet : cf. Epistula 123, ad Geruchiam de monogamia (PL 22, 1046-1059).

[27] Ambroise, Expositio Evangelii secundum Lucam VIII, 7 : PL 15, 1767.

[28] Jean Chrysostome, Commentarium in Matthaeum, hom. 62, 2 : PG 58, 597.

[29] Lactance, Institutions divines VI, 23 : PL 6, 720.

[30] Cf. Pie XII, Lett. enc. Mystici Corporis Christi (29 juin 1943) : « Matrimonio enim, quo coniuges sibi invicem sunt ministri gratiae, externo Christianae consortionis providetur ordinateque incremento » : AAS 35 (1943), 202.

[31] Jean Chrysostome, Homiliae in Epistolam I ad Timotheum, 9, 2 : PG 62, 546. La Commission Théologique Internationale a cherché à accueillir le regard de l’Orient chrétien en expliquant qu’il faut éviter que la valeur du consentement des époux « fasse du sacrement la pure et seule émanation de leur amour. Le sacrement comme tel relève tout entier du mystère de l’Église dans lequel leur amour conjugal les fait entrer d’une manière privilégiée » (Commission théologique internationale, La doctrine catholique sur le sacrement du mariage [1977], B. Les “seize thèses christologiques” de Gustave Martelet, S.I., approuvées “sous forme générique” par la Commission Théologique Internationale, thèse 10).

[32] Clément d’Alexandrie, Stromata III, 12 : PG 8, 1185B, qui cite Rm 7, 12.

[33] Jean Chrysostome, Quales ducendae sint uxores, 3 : PG 51, 230 (italiques ajoutés).

[34] Grégoire de Nazianze, Orationes 37, 7 : PG 36, 291.

[35] Bonaventure, Breviloquium, VI, 13, 3, trad. F. Bougerol - A. Dumouch, 2004, 79.

[36] A.M. de Liguori, Theologia moralis (Editio nova Leonardi Gaudé), Typis Polyglottis Vaticanis, Rome 1912, lib. VI, tract. VI, chap. II, dub. I, 882.

[37] Cf. ibid., 882 : « En revanche, les fins accidentelles extrinsèques peuvent être nombreuses, comme la recherche de la paix, la recherche du plaisir, etc. ».

[38] Ibid., 883.

[39] Cf. D. von Hildebrand, Le mariage, trad. B. Lavaud, Cerf, Paris 1936 (traduction par notre Dicastère).

[40] Id., Metaphysik der Gemeinschaft. Untersuchungen über Wesen und Wert der Gemeinschaft, Kirche und Gesellschaft 1, Haas & Grabherr, Augsbourg 1930, 40 (traduction par notre Dicastère).

[41] Ibid., 45.

[42] A. von Hildebrand, Man and Woman: A Divine Invention, Sapientia Press, Ave Maria (FL) 2010, xiii (traduction par notre Dicastère).

[43] Ibid., 58.

[44] Ibid., 10.

[45] Ibid., 135-136.

[46] Cf. François, Exhort. ap. Amoris laetitia (19 mars 2016), 181 : AAS 108 (2016), 383.

[47] H. Urs von Balthasar, « Pneuma e istituzione », in Spirito e istituzione. Saggi teologici IV, Jaca Book, Milano 2019, 232 (traduction par notre Dicastère).

[48] Ibid., 236-237.

[49] H. Urs von Balthasar, L’état de vie chrétien, trad. J. de Vulpillières, Johannes Verlag, Einsiedeln, Freiburg 2016, 215.

[50] Id., « Pneuma e istituzione », op. cit., 234.

[51] K. Rahner, Schriften zur Theologie, Band VIII, Benzinger, Einsiedeln-Zürich-Köln, 1967, 539 (traduction par notre Dicastère).

[52] Id., Sul matrimonio, trad. a cura di G. Ruggieri, Meditazioni teologiche 6, Queriniana, Brescia 1966, 10 (traduction par notre Dicastère).

[53] Ibid.

[54] Id., Église et sacrements, trad. Henri Rochais, Paris, DDB, 1970, 154.

[55] A. Schmemann, Pour la vie du monde, Presses Saint-Serge, Paris 2007, 100.

[56] P. Evdokimov, Le mariage, sacrement de l’amour, Éditions du Livre Français, Lyon 1944, 199.

[57] J. Meyendorff, Marriage. An Orthodox Perspective, St. Vladimir’s Seminary Press, Crestwood (NY), 20003, 16 (traduction par notre Dicastère).

[58] I. Zizioulas, Comunione e alterità, trad. a cura di M. Campatelli-G. Cesareo, Lipi, Roma 2016, 11 (traduction par notre Dicastère).

[59] C. Yannaras, La libertà dell’ethos, trad. B. Petrà, Sequela oggi, Qiqajon, Magnano (BI) 2015, p. 164ss (traduction par notre Dicastère).

[60] Ibid.

[61] Innocent III, Lett. Gaudemus in Domino (1201) : DH 778.

[62] Cf. ibid. : DH 779.

[63] Concile de Lyon II, session IV (6 juillet 1274), Profession de foi de l’empereur Michel VIII Paléologue : DH 860.

[64] Cf. Concile de Trente, session XXIV (11 novembre 1563), Doctrine sur le sacrement du mariage : DH 1798.

[65] Benoît XIV, Déclaration Matrimonia quae in locis (4 novembre 1741), 2 : DH 2517.

[66] Léon XIII, Lett. enc. Arcanum divinae Sapientiae (10 février 1880), AAS 12 (1879-1880), 386-387 (italiques ajoutés).

[67] Ibid., 387.

[68] Ibid., 389.

[69] Ibid., 394.

[70] Pie XI, Lett. enc. Casti connubii (31 décembre 1930) : AAS 22 (1930), 546.

[71] Ibid., AAS 22 (1930), 547-548 (italiques ajoutés) ; cf. Augustin, Le bien du mariage 24, 32 : PL 40, 394 D.

[72] Pie XI, Lett. enc. Casti connubii (31 décembre 1930), 548 (italiques ajoutés).

[73] Ibid., 566.

[74] Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes (7 décembre 1965), 48 : AAS 58 (1966), 1067.

[75] Ibid., 48 : AAS 58 (1966), 1068 (italiques ajoutés).

[76] Ibid.

[77] Ibid., 49 : AAS 58 (1966), 1070.

[78] Ibid.

[79] Ibid.

[80] Ibid.

[81] Ce même argument a été repris par saint Jean Paul II, lorsqu’il expliquait que la polygamie « est contraire à l’égale dignité personnelle de la femme et de l’homme, lesquels dans le mariage se donnent dans un amour total qui, de ce fait même, est unique et exclusif » (Jean Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio [22 novembre 1981], 19 : AAS 74 [1982], 102 ; cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes [7 décembre 1965], n. 47 : AAS 58 [1966], 1067).

[82] Paul VI, Lett. enc. Humanae vitae (25 juillet 1968), 12 : AAS 60 (1968), 488-489 (italiques ajoutés).

[83] Cf. ibid., 8 : AAS 60 (1968), 485-486.

[84] Ibid., 12 : AAS 60 (1968), 489.

[85] Jean Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), 11 : AAS 74 (1982), 92.

[86] Cf. Id., Audience générale (2 janvier 1980) : Insegnamenti III, 1 (1980), 11-15 ; Id., Audience générale (9 janvier 1980) : Insegnamenti III, 1 (1980), 88-92 ; Id., Audience générale (16 janvier 1980) : Insegnamenti III, 1 (1980), 148-152.

[87] Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes (7 décembre 1965), 24 : AAS 58 (1966), 1045.

[88] Jean Paul II, Homélie de la messe pour les familles à Kinshasa (3 mai 1980), 2 : AAS 72 (1980), 425.

[89] Id., Audience générale (13 août 1980), 3-4 : Insegnamenti III, 2 (1980), 398-399.

[90] Cf. Id., Audience générale (20 août 1980) : Insegnamenti III, 2 (1980), 415-419.

[91] Id., Homélie de la messe pour les familles à Kinshasa (3 mai 1980), 2 : AAS 72 (1980), 425.

[92] Id., Audience générale (27 août 1980), 1 ; 4 : Insegnamenti III, 2 (1980), 451 ; 453-454.

[93] Id., Audience générale (24 septembre 1980), 5 : Insegnamenti III, 2 (1980), 719-720.

[94] Id., Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), 19 : AAS 74 (1982), 102.

[95] Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), 11 : AAS 98 (2006), 227.

[96] Ibid., 6 : AAS 98 (2006), 222.

[97] François, Exhort. ap. Amoris laetitia (19 mars 2016), 92 : AAS 108 (2016), 348.

[98] Ibid., 93 : AAS 108 (2016), 348.

[99] Ibid., 99 : AAS 108 (2016), 350.

[100] Ibid., 100 : AAS 108 (2016), 351.

[101] Cf. ibid., 101-102 : AAS 108 (2016), 351-352.

[102] Ibid., 103 : AAS 108 (2016), 352.

[103] Ibid., 108 : AAS 108 (2016), 354.

[104] Ibid., 110 : AAS 108 (2016), 354.

[105] Ibid., 115 : AAS 108 (2016), 356.

[106] Ibid., 116 : AAS 108 (2016), 356.

[107] Ibid., 122 : AAS 108 (2016), 359, qui cite Jean Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), 9 : AAS 114 (1982), 90.

[108] François, Exhort. ap. Amoris laetitia (19 mars 2016), 130 : AAS 108 (2016), 362.

[109] Léon XIV, Message à l’occasion du 10e anniversaire de la canonisation des parents de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus (18 octobre 2025) : L’Osservatore Romano (18 octobre 2025), 5.

[110] Cf. Augustin, Enarrationes in Psalmos 127, 3 : PL 37, 1679 : « Non ille unus et nos multi, sed et nos multi in illo uno unum ».

[111] Léon XIV, Homélie pour la messe du Jubilé des familles, des grands-parents et des personnes âgées (1er juin 2025) : L’Osservatore Romano (2 juin 2025), 2, qui cite Paul VI, Lett. enc. Humanae vitae (25 juillet 1968), 9 : AAS 60 (1968), 486-487.

[112] Can. 1055, § 1 CIC (italiques ajoutés) ; cf. can. 776, § 1-2 CCEO.

[113] Catéchisme de l’Église Catholique, 1645.

[114] Ibid., 1646.

[115] Ibid., 2381.

[116] Ibid., 2387.

[117] Thomas d’Aquin, Summa contra Gentiles, III, chap. 123, 4.

[118] Cf. Id., Summa Theologiae, I, q. 92, a. 3, resp.; cf.Summa contra Gentiles, III, chap. 123, 4.

[119] Cf. Id., Summa contra Gentiles, III, chap. 124, 1.

[120] Ibid., chap. 123, 3-4.

[121] Ibid., chap. 124, 3-5, renvoyant à Aristote, Éthique à Nicomaque VIII, 5, 5 et 6, 2.

[122] Thomas d’Aquin, Summa contra Gentiles, chap. 123, 6 (italiques ajoutés).

[123] A.-D. Sertillanges, L’amour chrétien, Librairie Lecoffre, Paris 1919, 163-164.

[124] Ibid., 147.

[125] Ibid., 172.

[126] Ibid., 173.

[127] Ibid., 176.

[128] S. Kierkegaard, L’alternative, deuxième partie, dans Œuvres complètes, tome IV, trad. Paul-Henri et Else-Marie Jacquet-Tisseau, Éditions de l’Orante, Paris 1970, 99.

[129] Ibid., 99.

[130] Id., L’équilibre de l’esthétique et de l’éthique dans la formation de la personnalité, dans Œuvres complètes, tome IV, 269.

[131] Ibid., 101.

[132] Ibid., 19.

[133] Ibid., 20.

[134] Ibid., 52.

[135] E. Mounier, Manifeste au service du personnalisme, dans Œuvres, tome 1, Seuil, Paris 1961, 524.

[136] Cf. ibid., 565.

[137] Ibid.

[138] Ibid., 566.

[139] J. Lacroix, Force et faiblesses de la famille, Seuil, Paris 1948, 56.

[140] Ibid., 54.

[141] Ibid., 58.

[142] Ibid.

[143] Ibid., 61-62.

[144] Ibid., 55.

[145] Cf. E. Lévinas, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, Martinus Nijhoff, La Haye 1974.

[146] Ibid., 235.

[147] K. Wojtyła, Amour et responsabilité, Stock, Paris 1985, 198.

[148] Cf. ibid., 199.

[149] Ibid., 191-192.

[150] Ibid., 191.

[151] Ibid., 37.

[152] Ibid., 197.

[153] Ibid., 52.

[154] Ibid., 53-54.

[155] Ibid., 76-77.

[156] Ibid., 78.

[157] J. Maritain, Réflexions sur l’Amérique, dans Œuvres complètes, vol. X, Éditions Universitaires – Éditions Saint-Paul, 873.

[158] Ibid.

[159] Ibid., 874.

[160] Ibid.

[161] Ibid.

[162] Cf. J. Maritain, Amour et amitié (En marge du « Journal de Raïssa »), dans Nova et Vetera 4 (1963).

[163] Ibid., 246 et passim.

[164] Ibid., 243.

[165] Ibid., 244.

[166] Ibid., 247 (italiques ajoutés).

[167] Manusmṛti 9, 101-102.

[168] Srimad Bhagavatam IX, 10.54.

[169] Thirukkural, 54.56.

[170] François, « Lettera ai poeti », in Id., Viva la poesia !, A. Spadaro (ed.), Libreria Editrice Vaticana, Rome 2025, 178 (traduction par notre Dicastère).

[171] Ibid., 178-179.

[172] W. Whitman, « We Two—How Long We Were Fool’d », dans Id., Leaves of Grass, New York 1867, 114: « We have circled and circled till we have arrived home again—we two have » (traduction par notre Dicastère).

[173] P. Neruda, « Soneto LXXXI », in Id., Veinte poemas de amor y una canción. Cien sonetos de amor, Colección Biblioteca Premios Nobel 2, Altaya, Barcelona 1995, 203: « Ninguna más, amor, dormirá con mis sueños. / Irás, iremos juntos por las aguas del tiempo […] » (traduction par notre Dicastère).

[174] E. Montale, « Ho sceso, dandoti il braccio, almeno un milione di scale », dans Satura (1962–1970), Mondadori, Milan 1971, 37 (traduction par notre Dicastère).

[175] A. Pozzi, « Bellezza », dans Parole. Diario di poesia, Mondadori, Milano 1964, 191-192 (traduction par notre Dicastère).

[176] P. Neruda, « Pido silencio », dans Extravagario (1958), in Obras completas, II: De “Odas elementales” a “Memorial de Isla Negra”, 1954–1964, Opera Mundi, H. Loyola (ed.), Galaxia Gutenberg–Círculo de Lectores, Barcelona 1999, 626-628: « Yo voy a cerrar los ojos y solo quiero cinco cosas, cinco raíces preferidas. Una es el amor sin fin… La quinta cosa son tus ojos, Matilde mía, bienamada, no quiero dormir sin tus ojos, no quiero ser sin que me mires » (traduction par notre Dicastère).

[177] P. Éluard, « Nous deux », dans Derniers poèmes d’amour, Seghers, Paris 1963.

[178] R. Tagore, « Cuore (Il Giardiniere, 28) », a cura di R. Russo, dans Parole d’amore, TS Edizioni, Milano 2021 (traduction par notre Dicastère).

[179] E. Dickinson, « That Love is all there is » (1765), in The Complete Poems of Emily Dickinson, T.H. Johnson (éd.), Little, Brown and Company, Boston – Toronto 1960, 714 : « That Love is all there is, / Is all we know of Love » (traduction par notre Dicastère).

[180] Léon Ier, Lett. Regressus ad nos (21 mars 458), c. 1 : DH 311 (traduction par notre Dicastère).

[181] Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, II-II, q. 23, a. 1, resp. (italiques ajoutés).

[182] Rituel romain de la célébration du mariage, Desclée – Mame, Paris, 2005, 20.

[183] Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes (7 décembre 1965), 48 : AAS 58 (1966), 1067. Cf. can. 1057 § 2 CIC ; can. 817 § 1 CCEO.

[184] Catéchisme de l’Église Catholique, 1627.

[185] Paul VI, Lett. enc. Humanae vitae (25 juillet 1968), 8 : AAS 60 (1968), 485-486 (italiques ajoutés).

[186] K. Wojtyła, Amour et responsabilité, 75-76.

[187] Jean Paul II, Homélie de la messe pour les familles à Kinshasa (3 mai 1980), 2 : AAS 72 (1980), 425.

[188] François, Exhort. ap. Amoris laetitia (19 mars 2016), 100 : AAS 108 (2016), 351 (italiques ajoutés).

[189] Ibid., 131 : AAS 108 (2016), 362 (italiques ajoutés).

[190] Ibid., 319 : AAS 108 (2016), 443 (italiques ajoutés).

[191] Ibid., 163 : AAS 108 (2016), 375 (italiques ajoutés).

[192] Ibid., 163-164 : AAS 108 (2016), 375-376 (italiques ajoutés).

[193] Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes (7 décembre 1965), 24 : AAS 58 (1966), 1045.

[194] Cf. Dicastère pour la Doctrine de la Foi, Décl. Dignitas infinita (8 avril 2024), Présentation et 1, 6.

[195] Catéchisme de l’Église Catholique, 357 (italiques ajoutés).

[196] K. Wojtyła, Amour et responsabilité, 29.

[197] François, Exhort. ap. Amoris laetitia, 175 : AAS 108 (2016), 381.

[198] Ibid., 220 : AAS 108 (2016), 399.

[199] Ibid., 155 : AAS 108 (2016), 371.

[200] Ibid.

[201] Ibid., 320 : AAS 108 (2016), 443.

[202] Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, III, q. 64, a. 1, resp. : « solus Deus illabitur animae ».

[203] Cf. Id., De veritate, q. 28, a. 2, ad 8 ; Id., Summa contra Gentiles, II, chap. 98, n. 18 ; III, chap. 88, 6 ; Bonaventure, Collationes in Hexaemeron, 21, 18.

[204] Cf. Bonaventure, In Sent., I, d. 14, a. 2, q. 2, ad 2 : dans Id., Opera theologica selecta, I, Quaracchi 1934, 205-206 ; cf. ibid., q. 2, fund. 4 et 8 (Quaracchi 1934, 205).

[205] François, Exhort. ap. Amoris laetitia, 320 : AAS 108 (2016), 443.

[206] Paul VI, Lett. enc. Humanae vitae (25 juillet 1968), 8 : AAS 60 (1968), 486 (italiques ajoutés).

[207] Jean Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), 59 : AAS 74 (1982), 152.

[208] A.-D. Sertillanges, L’amour chrétien, Librairie Lecoffre, Paris 1918, 183 (italiques ajoutés).

[209] Cf. J.-L. Marion, Le phénomène érotique. Six méditations, éd. Grasset et Fasquelle, Paris 2003.

[210] Thomas d’Aquin, In Sent., I, d. 15, q. 4, a. 1, co.

[211] Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium (7 décembre 1965), 41 : AAS 57 (1965), 47.

[212] Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, II-II, q. 23, a. 1, resp.

[213] Catéchisme de l’Église Catholique, 1641.

[214] Rituel romain de la célébration du mariage, Desclée – Mame, Paris, 2005, 21.

[215] Jean Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), 59 : AAS 74 (1982), 152.

[216] Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, II-II, q. 27, a. 2.

[217] Cf. ibid., q. 23, a. 2, resp. : « L’amour est en soi un acte de la volonté ».

[218] Ibid., II-II, q. 26, a. 3, resp.

[219] Ibid., II-II, q. 27, a. 2, resp.

[220] Rituel romain de la célébration du mariage, Desclée – Mame, Paris 2005, 19.

[221] Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, II-II, q. 23, a. 1.

[222] François, Exhort. apost. Amoris laetitia (19 mars 2016), 123 : AAS 108 (2016) 359, qui cite Thomas d’Aquin, Summa contra Gentiles, III, chap. 123 ; cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, VIII, 12.

[223] François, Exhort. apost. Amoris laetitia (19 mars 2016), 150 : AAS 108 (2016), 369.

[224] Ibid., 74 : AAS 108 (2016), 340.

[225] Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, II-II, q. 142, a. 1, resp.

[226] Cf. ibid., I, q. 98, a. 2, ad 3 ; II-II, q. 153, a. 2, ad 2.

[227] Ibid., I, q. 98, a. 2, ad 3.

[228] Ibid., II-II, q. 153, a. 2, ad 2.

[229] K. Wojtyła, Amour et responsabilité, 111.

[230] Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), 8 : AAS 98 (2006), 224.

[231] Ibid., 7 : AAS 98 (2006), 223-224.

[232] Jean Paul II, Exhort. apost. Familiaris consortio (22 novembre 1981), 11 : AAS 74 (1982), 92.

[233] Cf. Paul VI, Lett. enc. Humanae vitae (25 juillet 1968), 11 : AAS 60 (1968), 488.

[234] K. Wojtyła, Amour et responsabilité, 198-199.

[235] Ibid., 214.

[236] Paul VI, Lett. enc. Humanae vitae (25 juillet 1968), 16 : AAS 60 (1968), 492.

[237] Ibid.

[238] Pie XI, Lett. enc. Casti connubii (31 décembre 1930) : AAS 22 (1930), 547-548 [cf. DH 3707].

[239] Augustin, Le bien du mariage 3, 3 : PL 40, 375.

[240] Jean Chrysostome, Homeliae in Epistolam ad Colossenses, hom. 12, chap. 5 : PG 62, 388.

[241] Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes (7 décembre 1965), 50 : AAS 58 (1966), 1072.

[242] P.J. Viladrich, « Amor conyugal y esencia del matrimonio », Ius canonicum 12 (1972), 311 (traduction par notre Dicastère).

[243] Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), 53 ; AAS 101 (2009), 689.

[244] Ibid.

[245] François, Lett. enc. Fratelli tutti (3 octobre 2020), 60 : AAS 112 (2020), 990.

[246] Ibid., n. 89 : op. cit., 1007.

[247] François, Exhort. ap. Amoris laetitia (19 mars 2016), 181 : AAS 108 (2016), 383.

[248] Ibid. 324 : AAS 108 (2016), 445.

[249] Léon XIV, Exhort. ap. Dilexi te (4 octobre 2025), 104.

[250] Ibid., 103.

[251] Rituel romain de la célébration du mariage, Desclée – Mame, Paris, 2005, 70.

[252] D. von Hildebrand, Il matrimonio, tr. a cura di B. Magnino, Morcelliana, Brescia 1959, 33 (italiques ajoutés) (traduction par notre Dicastère).

[253] Concile de Trente, session XXIV (11 novembre 1563), Doctrine sur le sacrement du mariage : DH 1799 (italiques ajoutés) ; Conc. œcum. Vat. II, Gaudium et spes (7 décembre 1965), 48 : AAS 58 (1966), 1068 ; Catéchisme de l’Église Catholique, 1641.

[254] François, Exhort. ap. Amoris laetitia (19 mars 2016), 134 : AAS 108 (2016), 364.

[255] Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes (7 décembre 1965), 48 : AAS 58 (1966), 1068 (italiques ajoutés).

[256] François, Exhort. ap. Amoris laetitia (19 mars 2016), 135 : AAS 108 (2016), 364.