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LETTRE DU PAPE PAUL VI,
SIGNÉE DU SECRÉTAIRE D’ETAT,
AUX PARTICIPANTS DE LA SESSION MONDIALE
ET DE L'ASSEMBLÉE STATUTAIRE DE LA FIRMAC

Mercredi 29 mars 1978

 

Madame la Présidente,

En vous envoyant cette lettre au nom du Saint-Père, j’ai la joie de m’adresser aussi à tous les participants de la Session mondiale et de l’Assemblée statutaire de la FIMARC, réunis à l’Arbresle, du 29 mars au 9 avril.

Vos préoccupations et votre action sont centrées sur l’Evangélisation et la libération intégrale de la population rurale, cette très grande partie de l’humanité qui est souvent la plus oubliée et qui connaît de grandes souffrances.

Comment ne pas évoquer l’expérience séculaire de l’Eglise incarnée dans le monde rural aux multiples visages? L’annonce du message chrétien et le témoignage de la foi s’y sont manifestés sous des formes différentes, selon les époques et les lieux: union des communautés ecclésiales autour du pain de la Parole et du Corps du Seigneur, développement et mise en valeur des richesses de la religiosité des paysans, pénétration de la culture rurale par les valeurs évangéliques, création sous l’impulsion d’une charité active de nombreux services d’éducation, d’aide, de protection, etc.

Les cycles lents, aux interruptions régulières, de la vie rurale ont été profondément bouleversés par l’irruption de la nouvelle civilisation technico-industrielle qui déchaîne et propage des ondes successives de transformations économiques, sociales, culturelles et religieuses. La possibilité de «dominer» la nature est certes multipliée par le progrès de la science, le développement de la technique et un accroissement économique incontestable. Mais, si cette évolution n’est pas accompagnée du progrès social et moral qui lui donne son sens et sa justification, il ne peut qu’en résulter, pour le monde rural, un nouvel affaissement de la promotion espérée et l’accroissement des déséquilibres et disparités de situation. C’est ainsi que la majorité des paysans, à l’échelon des individus, des familles, des groupes sociaux et même de populations entières, ne reçoivent de façon marginale que les miettes d’un pain inéquitablement distribué à la table de l’humanité. N’est-ce pas là l’un des grands scandales de notre temps?

C’est contre une telle situation que s’est élevé le Pape Jean XXIII dans son encyclique «Mater et Magistra» (Cfr. IOANNIS XXIII Mater et Magistra, Pars tertia), et que les Evêques du monde entier se sont prononcés dans le document conciliaire «Gaudium et Spes» (Cfr. Gaudium et Spes, 9 § 2, 60 § 3, 71 § 6). C’est pour contribuer à y mettre fin que le Pape Paul VI en a dénoncé les causes et proposé les remèdes dans l’encyclique «Populorum Progressio» (Cfr. PAULI PP. VI Populorum Progressio, 29, 60), et surtout dans ses diverses allocutions à la FAO. Pour que recule «le spectre de la faim», de la dénutrition, de la misère dans un monde qui regorge par ailleurs d’abondance, il faut que les chrétiens, et par eux, ceux qui les approchent, entendent résonner au fond de leur conscience ces premières paroles de la Bible par lesquelles Dieu chargeait l’homme de «soumettre» la terre (Gen. 1, 28), afin de la transformer en un verger fécond pour tous les hommes. Comment pourraient-ils oublier l’attitude du Christ qui a pitié de la foule qui n’a pas de quoi manger (Cfr. Matth. 15, 32), qui multiplie et distribue les pains, qui s’identifie aux pauvres affamés au point de dire aux élus: «J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger» (Matth. 25, 35) et qui place «notre pain quotidien» parmi les demandes essentielles à adresser au Père (Cfr. Ibid. 6, 11).

Pour que le paysan gagne son pain par son travail, sa sueur et sa souffrance, pour que le pain soit partagé en famille et distribué équitablement aux hommes, il importe que des chrétiens comme vous, membres de la FIMARC, preniez vos responsabilités et partagiez les angoisses et les espérances du monde rural, vous mettant au service de son développement.

Mais le paysan a également faim de dignité. Il veut que soient reconnues ses valeurs culturelles et ses traditions religieuses. Il désire apporter sa contribution comme protagoniste de son propre développement, jouir du progrès moderne, non pas à travers un pâle reflet ou de façon mécanique, marginale, mais comme «artisan de son destin». Il est donc important d’ouvrir ses horizons à des solidarités plus larges, de libérer ses énergies, de multiplier les échanges de tous genres en vue de s’engager «dans un combat sans merci pour donner à chaque homme de quoi manger pour vivre, ce qui s’appelle vivre une véritable vie d’homme, capable, par son travail, d’assurer la subsistance des siens, et apte, par son intelligence, à participer au bien commun de la société, par un engagement librement consenti et une activité volontairement assumée» (PAULI PP. VI Allocutio ad FAO, 16 novembris 1970: AAS 62 (1970) 831).

L’Eglise porte son attention au monde rural pour que soient satisfaits ses besoins matériels et reconnus ses titres à la dignité. Elle se préoccupe en même temps de ses besoins religieux qui donnent sa vraie dimension à la grandeur humaine. Se fondant sur la foi traditionnelle des paysans ou se référant tout au moins à leurs aspirations et sentiments religieux, l’Eglise, à la suite du Christ, leur rappelle que «l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu» (Matth. 4, 4). De même qu’ils ont l’honneur de tirer du fruit de leur travail la matière du sacrifice eucharistique, l’Eglise les invite à participer à l’œuvre de rédemption des péchés d’injustice et de domination dont leurs frères ou eux-mêmes peuvent être victimes. Elle les convie, comme les pauvres de l’Evangile, au banquet de la communauté fraternelle des enfants de Dieu pour y trouver la raison et la force de travailler à la libération authentique et au Salut de leurs frères.

Pour vous, chers membres de la FIMARC, que votre foi dans le mystère pascal de la mort et de la résurrection du Christ éclaire profondément et maintienne dans l’espérance chrétienne votre service du monde paysan. Et cela n’est possible que dans un attachement indéfectible à l’Eglise, qui vous aidera à sauvegarder la spécificité de votre mission apostolique, sans vous laisser enfermer dans des préoccupations purement temporelles.

C’est dans ces sentiments que le Saint-Père bénit vos personnes, vos familles et votre mouvement dont il suit le travail avec attention. Comptant sur votre fidélité au message du Christ transmis par l’Eglise, il vous renouvelle ses encouragements et ses vœux pour la fécondité de votre mission d’évangélisation.

Heureux de vous transmettre ce message, je vous assure, Madame la Présidente, de mes sentiments dévoués en N. S.

JEAN Card. VILLOT

 



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