MESSAGE DU PAPE PAUL VI
À LA CONFÉRENCE DE TÉHÉRAN
POUR LE XX ANNIVERSAIRE DE LA DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME *
A Monsieur le Président
de la Conférence internationale des droits de l’homme
Nous avons appris avec une vive satisfaction que l’organisation des Nations Unies, désireuse de commémorer comme il convient le vingtième anniversaire de la déclaration des droits de l’homme, a décidé de réunir à cet effet une conférence internationale. Et, répondant volontiers à l’invitation qui Nous en était faite, Nous avons désigné pour Nous y représenter une délégation dont Nous avons confié la direction à notre cher fils Théodor Hesburgh, Recteur de l’Université Notre-Dame.
Si cette déclaration a pu «soulever des objections et faire l’objet de réserves justifiées», comme le relevait le pape Jean XXIII, nul doute cependant qu’elle n’ait marqué un pas important «vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale», comme le soulignait également avec joie l’inoubliable Pontife: «elle reconnaît à tous les hommes sans exception, notait-il, leur dignité de personne; elle affirme pour chaque individu ses droits de rechercher librement la vérité, de suivre les normes de la moralité, de pratiquer les devoirs de justice, d’exiger des conditions de vie conformes à la dignité humaine, ainsi que d’autres droits liés à ceux-ci». Aussi, dans son encyclique Pacem in terris, véritable testament spirituel dont l’écho est encore vivant dans toutes les mémoires, notre vénéré prédécesseur pouvait-il à bon droit en parler comme d’un «signe des temps». Il ajoutait d’ailleurs aussitôt avec réalisme: «Puisse-t-il arriver bientôt le moment où cette Organisation des Nations Unies garantira efficacement les droits de la personne humaine, ces droits qui dérivent directement de notre dignité naturelle, et qui pour cette raison sont universels, inviolables et inaliénables». Nous-même, au moment où se trouvait réuni à Rome le Concile œcuménique du Vatican, Nous faisant l’interprète de cette fraternelle Assemblée, avons eu l’honneur de faire nôtre ce programme des Nations-Unies, à la tribune même de l’Organisation: «l’idéal dont rêve l’humanité dans son pèlerinage à travers le temps, le plus grand espoir du monde: les droits et les devoirs fondamentaux de l’homme, sa dignité, sa liberté, et avant tout la liberté religieuse». Car l’Eglise, qui partage «les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps» (Gaudium et Spes, § l), demande résolument que l’on «élimine, comme contraire au dessein de Dieu . . . toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne» (ibid. § 29, n. 2).
Qui ne le voit? Immense est le chemin à parcourir pour mettre en œuvre ces déclarations d’intention, pour traduire les principes dans les faits, pour éliminer de si nombreuses et constantes violations de principes justement proclamés «universels, inviolables et inaliénables», Aussi avons-Nous estimé, «comme un devoir de notre charge», dans notre encyclique sur le développement des peuples, de nous faire l’écho des légitimes aspirations des hommes d’aujourd’hui, n’hésitant pas à y voir l’action du «ferment évangélique dans le cœur humain», appelant avec angoisse et espérance tous les hommes à vivre en frères, puisqu’ils sont tous les fils du Dieu vivant (Populorum Progressio, § 2, 6 13, 21).
Avec tous les hommes de bonne volonté, Nous suivrons avec un grand intérêt cette conférence de Téhéran qui entend formuler et préparer un programme de mesures à prendre dans le prolongement de cette Année des droits de l’homme. La discrimination raciale suscite tant de troubles, l’injustice sociale, la misère économique et l’oppression idéologique tant de révoltes, que «grande est la tentation de repousser par la violence de telles injures à la dignité humaine». Pourtant, il nous faut le redire: «on ne saurait combattre un mal réel au prix d’un plus grand malheur» (ibid. § 30 et 31). Puissent tous les hommes de cœur se liguer pacifiquement pour que les principes des Nations-Unies soient non seulement proclamés, mais mis en œuvre, et que non seulement les Constitutions des Etats les promulguent, mais que les pouvoirs publics les appliquent, afin que tous les hommes puissent enfin mener une vie digne de ce nom.
L’ampleur et l’urgence de l’action à réaliser demandent le concours de tous, les uns avec les autres. Comment trouver le moyen de donner aux résolutions internationales leur effet, chez tous les peuples? Comment assurer les droits fondamentaux de l’homme, lorsqu’ils sont bafoués? Comment intervenir en un mot pour sauver la personne humaine, partout où elle est menacée? Comment faire prendre conscience aux responsables qu’il s’agit là d’un patrimoine essentiel de l’humanité, que nul ne peut impunément léser, sous aucun prétexte, sans attenter à ce qu’il y a de plus sacré chez un être humain, et sans ruiner par là les fondements mêmes de la vie en société? Tous ces problèmes sont graves, et l’on ne peut se-Je dissimuler: il serait vain de proclamer des droits, si l’on ne mettait en même temps tout en œuvre pour assurer le devoir de les respecter, par tous, partout, et pour tous.
Parler des droits de l’homme, c’est affirmer un bien commun de l’humanité, c’est travailler à construire une communauté fraternelle, c’est œuvrer pour un monde «où chacun soit aimé et aidé comme son prochain, son frère» (ibid. § 82). Telle est la règle d’or: «Tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux» (Matth. 7, 12). Fidèle à cet enseignement de son divin fondateur, l’Eglise le réaffirme en cette année des droits de l’homme, désireuse de concourir avec toutes les bonnes volontés à «construire un monde où tout homme, sans exception de race, de religion, de nationalité, puisse vivre une vie pleinement humaine . . . où la liberté ne soit pas un vain mot» (ibid. § 47).
Cette pacifique entreprise, destinée - Nous le disions hier encore dans notre message de Pâques - à affirmer de manière «plus claire, plus autorisée ‘et plus efficace les droits de l’homme» est bien digne de susciter la généreuse émulation de tous les hommes de cœur. Nul doute que la Conférence de Téhéran n’y apporte son heureuse contribution. Nous Nous réjouissons qu’elle se déroule chez un peuple ardent dans ses efforts pour vaincre l’analphabétisme, et donner à la femme sa place légitime dans la société. Aussi est-ce de grand cœur que Nous appelons sur tous ses participants comme sur leurs nobles hôtes, l’abondance des bénédictions du Tout-Puissant.
Du Vatican, le 15 avril 1968.
PAULUS PP. VI
*AAS 60 (1968), p.283-286.
Insegnamenti di Paolo VI, vol. VI, p.149-152.
L’Osservatore Romano, 22-23.4.1968, p.1.
L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n.18 p.3.
La Documentation catholique n.1517 col.881-884.
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