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LÉON XIV

LETTRE APOSTOLIQUE

IN UNITATE FIDEI

À L'OCCASION DU 1700e ANNIVERSAIRE DU CONCILE DE NICÉE

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1. Dans l'unité de la foi, proclamée depuis les origines de l'Église, les chrétiens sont appelés à marcher ensemble, en gardant et en transmettant avec amour et joie le don reçu. Celui-ci est exprimé dans les paroles du Credo : « Nous croyons en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, descendu du ciel pour notre salut », formulées par le Concile de Nicée, premier événement œcuménique de l'histoire du christianisme, il y a 1700 ans.

Alors que je m'apprête à effectuer mon voyage apostolique en Turquie, je souhaite, par cette Lettre, encourager dans toute l'Église un élan renouvelé dans la profession de foi dont la vérité, qui constitue depuis des siècles le patrimoine commun des chrétiens, mérite d'être confessée et approfondie d'une manière toujours nouvelle et actuelle. À cet égard, a été approuvé un riche document de la Commission Théologique Internationale : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur. Le 1700e anniversaire du Concile œcuménique de Nicée. J’y renvoie, car il offre des perspectives utiles pour approfondir l'importance et l'actualité non seulement théologique et ecclésiale, mais aussi culturelle et sociale du Concile de Nicée.

2. « Commencement de l'évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu ». C'est ainsi que Saint Marc intitule son Évangile, résumant ainsi l’ensemble de son message sous le signe de la filiation divine de Jésus-Christ. De la même manière, l'Apôtre Paul sait qu'il est appelé à annoncer l'Évangile de Dieu sur son Fils mort et ressuscité pour nous (cf. Rm 1, 9), qui est le “oui” définitif de Dieu aux promesses des prophètes (cf. 2 Co 1, 19-20). En Jésus-Christ, le Verbe qui était Dieu avant les temps et par qui toutes choses ont été faites – comme le dit le prologue de l'Évangile de Saint Jean –, « s'est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1, 14). En Lui, Dieu s'est fait notre prochain, de sorte que tout ce que nous faisons à chacun de nos frères, nous le Lui faisons (cf. Mt 25, 40).

C'est donc une coïncidence providentielle que, en cette Année Sainte consacrée à notre espérance qui est le Christ, nous célébrions également le 1700e anniversaire du premier Concile œcuménique de Nicée, qui proclama en 325 la profession de foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu. C'est là le cœur de la foi chrétienne. Aujourd'hui encore, dans la célébration eucharistique dominicale, nous prononçons le Symbole de Nicée-Constantinople, profession de foi qui unit tous les chrétiens. Celle-ci nous donne l'espérance dans les temps difficiles que nous vivons, au milieu des craintes nombreuses et des préoccupations, des menaces de guerre et de violence, des catastrophes naturelles, des graves injustices et des déséquilibres, de la faim et de la misère dont souffrent des millions de nos frères et sœurs.

3. Les temps du Concile de Nicée n'étaient pas moins troublés. Lorsqu'il s'ouvrit, en 325, les blessures des persécutions contre les chrétiens étaient encore vives. L'Édit de tolérance de Milan (313), promulgué par les deux empereurs Constantin et Licinius, annonçait l'aube d'une nouvelle ère de paix. Cependant, disputes et conflits ont rapidement émergé au sein de l'Église après les menaces extérieures.

Arius, un prêtre d'Alexandrie d’Égypte, enseignait que Jésus n'est pas vraiment le Fils de Dieu, bien qu'il ne soit pas une simple créature ; il serait un être intermédiaire entre le Dieu inaccessible et nous. Par ailleurs, il y aurait eu un temps où le Fils “n'était pas”. Cela correspondait à la mentalité répandue à l'époque et semblait donc plausible.

Mais Dieu n'abandonne pas son Église, il suscite toujours des hommes et des femmes courageux, des témoins de la foi et des pasteurs qui guident son peuple et lui indiquent le chemin de l'Évangile. L'évêque Alexandre d'Alexandrie se rendit compte que les enseignements d'Arius n'étaient pas du tout conformes à l'Écriture Sainte. Comme Arius ne se montrait pas conciliant, Alexandre convoqua les évêques d'Égypte et de Libye pour un synode qui condamna l'enseignement d'Arius ; il envoya ensuite une lettre aux autres évêques d'Orient pour les en informer en détail. En Occident, l'évêque Osio de Cordoue, en Espagne, qui s'était déjà montré fervent confesseur de la foi pendant la persécution sous l'empereur Maximien et jouissait de la confiance de l'évêque de Rome, le Pape Sylvestre, se mobilisa.

Mais les partisans d'Arius se rallièrent également. Cela conduisit à l'une des plus grandes crises de l'histoire de l'Église du premier millénaire. Le motif du différend n'était pas, en effet, un détail secondaire. Il s'agissait du cœur même de la foi chrétienne, c'est-à-dire de la réponse à la question décisive que Jésus avait posée à ses disciples, à Césarée de Philippe : « Mais pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15).

4. Alors que la controverse faisait rage, l'empereur Constantin se rendit compte que l'unité de l'Empire était menacée en même temps que l'unité de l'Église. Il convoqua donc tous les évêques à un concile œcuménique, c'est-à-dire universel, à Nicée, afin de rétablir l'unité. Le synode, appelé “des 318 Pères”, se déroula sous la présidence de l'empereur. Le nombre d'évêques réunis était sans précédent. Certains d'entre eux portaient encore les traces des tortures subies pendant la persécution. La grande majorité d'entre eux venait d'Orient, alors qu’il semble que cinq seulement aient été occidentaux. Le Pape Sylvestre se confia à la personnalité théologiquement influente de l'évêque Osio de Cordoue, et il envoya deux prêtres romains.

5. Les Pères du Concile témoignèrent de leur fidélité à l'Écriture Sainte et à la Tradition apostolique, telle qu'elle est professée lors du baptême selon le mandat de Jésus : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » ( Mt 28, 19). En Occident, plusieurs formules existaient, parmi lesquelles le Credo des Apôtres. [1] En Orient également, existaient de nombreuses professions baptismales, similaires dans leurs structures. Il ne s'agissait pas de langages savants et compliqués, mais plutôt – comme on le dira par la suite – d'un langage simple, compréhensible des pêcheurs de la mer de Galilée.

Sur cette base, le Credo nicéen commença en professant : « Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de tous les êtres visibles et invisibles ». [2] Les Pères conciliaires exprimèrent ainsi leur foi en Dieu un et unique. Au Concile, il n'y eut pas de controverse à ce sujet. En revanche, fut discuté un deuxième article qui utilise également le langage de la Bible pour professer la foi en « un seul Seigneur, Jésus-Christ, Fils de Dieu ». Le débat était dû à la nécessité de répondre à la question soulevée par Arius sur la manière dont il fallait comprendre l'expression “Fils de Dieu” et comment elle pouvait être conciliée avec le monothéisme biblique. Le Concile était donc appelé à définir la signification correcte de la foi en Jésus comme “le Fils de Dieu”.

Les Pères ont confessé que Jésus est le Fils de Dieu en tant qu'il est «  de la substance (ousia) du Père [...] engendré, non pas créé, de la même substance ( homooúsios) que le Père ». Cette définition rejetait radicalement la thèse d'Arius. [3] Pour exprimer la vérité de la foi, le Concile utilisa deux mots, « substance » ( ousia) et « de la même substance » ( homooúsios), qui ne se trouvent pas dans l'Écriture. Ce faisant, il n'a pas voulu remplacer les affirmations bibliques par la philosophie grecque. Au contraire, le Concile utilisa ces termes pour affirmer clairement la foi biblique en la distinguant de l'erreur hellénisante d'Arius. L'accusation d'hellénisation ne s'applique donc pas aux Pères de Nicée, mais à la fausse doctrine d'Arius et de ses disciples.

De manière positive, les Pères de Nicée ont voulu rester fermement fidèles au monothéisme biblique et au réalisme de l'incarnation. Ils ont voulu réaffirmer que l’unique vrai Dieu n'est pas loin de nous, inaccessible, mais au contraire qu’il s'est fait proche de nous et est venu à notre rencontre en Jésus-Christ.

6. Pour exprimer son message dans le langage simple de la Bible et de la liturgie familière à tout le peuple de Dieu, le Concile reprend certaines formulations de la profession baptismale : « Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu ». Le Concile reprend ensuite la métaphore biblique de la lumière : « Dieu est lumière » (1 Jn 1, 5 ; cf. Jn 1, 4-5). Comme la lumière qui rayonne et se communique sans faiblir, ainsi le Fils est le reflet (apaugasma) de la gloire de Dieu et l'image (character) de son être (ipostasi) (cf. He 1, 3 ; 2 Co 4, 4). Le Fils incarné, Jésus, est donc la lumière du monde et de la vie (cf. Jn 8, 12). Par le baptême, les yeux de notre cœur sont éclairés (cf. Ep 1, 18), afin que nous puissions nous aussi être lumière dans le monde (cf. Mt 5, 14).

Enfin, le Credo affirme que le Fils est « vrai Dieu né du vrai Dieu ». À plusieurs endroits, la Bible distingue les idoles mortes du Dieu vrai et vivant. Le vrai Dieu est le Dieu qui parle et agit dans l'histoire du salut : le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, qui s'est révélé à Moïse dans le buisson ardent (cf. Ex 3, 14), le Dieu qui voit la misère du peuple, écoute son cri, le guide et l'accompagne à travers le désert avec la colonne de feu (cf. Ex 13, 21), lui parle d'une voix tonitruante (cf. Dt 5, 26) et a compassion de lui (cf. Os 11, 8-9). Le chrétien est donc appelé à se convertir des idoles mortes au Dieu vivant et vrai (cf. Ac 12, 25 ; 1 Th 1, 9). C’est en ce sens que Simon Pierre confessa à Césarée de Philippe : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16).

7. Le Credo de Nicée ne formule pas une théorie philosophique. Il professe la foi en Dieu qui nous a rachetés par Jésus-Christ. Il s'agit du Dieu vivant : Il veut que nous ayons la vie et que nous l'ayons en abondance (cf. Jn 10, 10). C'est pourquoi le Credo poursuit avec les paroles de la profession baptismale : le Fils de Dieu qui “pour nous les hommes et pour notre salut est descendu, s'est incarné et s'est fait homme, est mort, est ressuscité le troisième jour, est monté au ciel et viendra juger les vivants et les morts”. Cela montre clairement que les affirmations christologiques du Concile s'inscrivent dans l'histoire du salut entre Dieu et ses créatures.

Saint Athanase, qui avait participé au Concile en tant que diacre de l'évêque Alexandre et lui avait succédé sur le siège d'Alexandrie d'Égypte, souligna à plusieurs reprises et avec force la dimension sotériologique exprimée par le Credo de Nicée. Il écrivait en effet que le Fils, descendu du ciel, « nous a fait fils du Père et, devenu Lui-même homme, il a divinisé les hommes. Il n'est pas devenu Dieu à partir de l'homme qu'Il était, mais à partir de Dieu qu'Il était, Il est devenu homme pour nous diviniser ». [4] Cela n'est possible que si le Fils est vraiment Dieu : aucun être mortel ne peut, en effet, vaincre la mort et nous sauver ; seul Dieu peut le faire. C'est Lui qui nous a libérés dans son Fils fait homme afin que nous soyons libres (cf. Ga 5, 1).

Il convient de souligner, dans le Credo de Nicée, le verbe descendit, “il est descendu”. Saint Paul décrit ce mouvement avec des expressions fortes : « [Le Christ] s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes » (Phil 2, 7). Comme l'écrit le prologue de l'Évangile de Saint Jean, « le Verbe s'est fait chair et Il a habité parmi nous » (Jn 1, 14). C'est pourquoi, enseigne la Lettre aux Hébreux, « nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos faiblesses, Lui qui a été éprouvé en tout, d'une manière semblable, à l'exception du péché » (He 4, 15). La veille de sa mort, Il s'est baissé comme un esclave pour laver les pieds de ses disciples (cf. Jn 13, 1-17). Et ce n'est que lorsqu'il put mettre ses doigts dans la plaie du côté du Seigneur ressuscité que l'Apôtre Thomas confessa : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20, 28).

C'est précisément en vertu de son incarnation que nous rencontrons le Seigneur dans nos frères et sœurs dans le besoin : « Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25, 40). Le Credo nicéen ne nous parle donc pas d'un Dieu lointain, inaccessible, immobile, qui repose en lui-même, mais d'un Dieu proche de nous, qui nous accompagne dans notre marche sur les chemins du monde et dans les lieux les plus obscurs de la terre. Son immensité se manifeste dans le fait qu'Il se fait petit, qu'Il se dépouille de sa majesté infinie pour devenir notre prochain dans les petits et les pauvres. Ce fait révolutionne les conceptions païennes et philosophiques de Dieu.

Une autre parole du Credo de Nicée est particulièrement révélatrice pour nous aujourd'hui. L'affirmation biblique, “il a pris chair”, est précisée par l'ajout du mot “homme” après le mot “incarné”. Nicée prend ainsi ses distances par rapport à la fausse doctrine selon laquelle le Logos aurait pris un corps seulement comme une enveloppe extérieure, mais n’aurait pas pris l'âme humaine dotée d'intelligence et de libre arbitre. Au contraire, il veut affirmer ce que le Concile de Chalcédoine (451) déclarera explicitement : dans le Christ, Dieu a pris et racheté l'être humain tout entier, avec son corps et son âme. Le Fils de Dieu s'est fait homme – explique saint Athanase – afin que nous, les hommes, puissions être divinisés. [5] Cette intelligence lumineuse de la Révélation divine avait été préparée par Saint Irénée de Lyon et Origène, puis s'était développée avec une grande richesse dans la spiritualité orientale.

La divinisation n'a rien à voir avec l'autodéification de l'homme. Au contraire, la divinisation nous préserve de la tentation primordiale de vouloir être comme Dieu (cf. Gn 3, 5). Ce que le Christ est par nature, nous le devenons par grâce. Par l'œuvre de la rédemption, Dieu a non seulement restauré notre dignité humaine comme image de Dieu, mais Celui qui nous a créés de manière merveilleuse nous a rendus participants, d'une manière plus admirable encore, de sa nature divine (cf. 2 P 1, 4).

La divinisation est donc la véritable humanisation. C'est pourquoi l'existence humaine vise au-delà d'elle-même, cherche au-delà d'elle-même, désire au-delà d'elle-même et est inquiète tant qu'elle ne repose pas en Dieu : [6] Deus enim solus satiat, Dieu seul satisfait l'homme ! [7]  Seul Dieu, dans son infinité, peut satisfaire le désir infini du cœur humain ; c'est la raison pour laquelle le Fils de Dieu a voulu devenir notre frère et notre rédempteur.

8. Nous avons dit que Nicée rejetait clairement les enseignements d'Arius. Mais Arius et ses partisans ne se sont pas avoués vaincus. L'empereur Constantin lui-même et ses successeurs se rangèrent de plus en plus du côté des ariens. Le terme homooúsios devint une pomme de discorde entre les nicéens et les anti-nicéens, déclenchant ainsi d'autres conflits graves. Saint Basile de Césarée décrit la confusion qui s'ensuivit à l'aide d'images éloquentes, la comparant à une bataille navale nocturne dans une violente tempête, [8] tandis que saint Hilaire témoigne de l'orthodoxie des laïcs par rapport à l'arianisme de nombreux évêques, reconnaissant que « les oreilles du peuple sont plus saintes que le cœur des prêtres ». [9]

Le roc du credo nicéen fut saint Athanase, irréductible et ferme dans la foi. Bien qu'il ait été déposé et expulsé à cinq reprises du siège épiscopal d'Alexandrie, il y revint à chaque fois en tant qu'évêque. Même en exil, il continua à guider le peuple de Dieu à travers ses écrits et ses lettres. Comme Moïse, Athanase ne pourra entrer dans la terre promise de la paix ecclésiale. Cette grâce sera réservée à une nouvelle génération, connue sous le nom de « jeunes nicéens » : en Orient, les trois Pères cappadociens, Saint Basile de Césarée (vers 330-379), surnommé « le Grand », son frère Saint Grégoire de Nysse (335-394) et le plus grand ami de Basile, Saint Grégoire de Nazianze (329/30-390). En Occident, saint Hilaire de Poitiers (vers 315-367) et son disciple saint Martin de Tours (vers 316-397) jouèrent un rôle important. Puis surtout Saint Ambroise de Milan (333-397) et Saint Augustin d'Hippone (354-430).

Le mérite des trois Cappadociens, en particulier, a été d'achever la formulation du Credo de Nicée, en montrant que l'Unité et la Trinité en Dieu ne sont en aucun cas contradictoires. C'est dans ce contexte que l'article de foi sur le Saint-Esprit a été formulé lors du premier concile de Constantinople en 381. Ainsi, le Credo, qui s'appelle depuis lors Nicéo-Constantinople, dit : « Nous croyons au Saint-Esprit, qui est Seigneur et qui donne la vie, et qui procède du Père. Avec le Père et le Fils, il est adoré et glorifié, et il a parlé par les prophètes ». [10]

Depuis le Concile de Chalcédoine, en 451, le Concile de Constantinople est reconnu comme œcuménique et le Credo de Nicée-Constantinople est déclaré universellement contraignant. [11] Il constitue donc un lien d'unité entre l'Orient et l'Occident. Au XVI e siècle, les communautés ecclésiales issues de la Réforme l'ont également conservé. Le Credo de Nicée-Constantinople est ainsi la profession commune de toutes les traditions chrétiennes.

9. Le chemin qui a mené de l'Écriture Sainte à la profession de foi de Nicée, puis à sa réception par Constantinople et Chalcédoine, et encore jusqu'au XVIe et au XXIe siècle, a été long et linéaire. Nous tous, disciples de Jésus-Christ, « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », sommes baptisés, faisons sur nous-mêmes le signe de la croix et sommes bénis. Nous terminons à chaque fois la prière des psaumes dans la liturgie des heures par « Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit ». La liturgie et la vie chrétienne sont donc solidement ancrées dans le Credo de Nicée-Constantinople : ce que nous disons par la bouche doit venir du cœur, pour être témoigné dans la vie. Nous devons donc nous demander : qu'en est-il aujourd'hui de la réception intérieure du Credo ? Avons-nous le sentiment qu'il concerne aussi notre situation actuelle ? Comprenons-nous et vivons-nous ce que nous disons chaque dimanche, et que signifie ce que nous disons pour notre vie ?

10. Le Credo de Nicée commence par professer la foi en Dieu, le Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre. Aujourd'hui, pour beaucoup, Dieu et la question de Dieu n'ont presque plus de sens dans la vie. Le Concile Vatican II a souligné que les chrétiens sont au moins en partie responsables de cette situation, car ils ne témoignent pas de la vraie foi et cachent le vrai visage de Dieu par des modes de vie et des actions éloignés de l'Évangile. [12] Des guerres ont été menées, des personnes ont été tuées, persécutées et discriminées au nom de Dieu. Au lieu d'annoncer un Dieu miséricordieux, on a parlé d'un Dieu vengeur qui inspire la terreur et punit.

Le Credo de Nicée nous invite donc à un examen de conscience. Que signifie Dieu pour moi et comment est-ce que je témoigne de ma foi en Lui ? L'unique et seul Dieu est-Il vraiment le Seigneur de la vie, ou bien y a-t-il des idoles plus importantes que Dieu et que ses commandements ? Dieu est-Il pour moi le Dieu vivant, proche dans chaque situation, le Père vers qui je me tourne avec une confiance filiale ? Est-il le Créateur à qui je dois tout ce que je suis et tout ce que j'ai, celui dont je peux trouver les traces dans chaque créature ? Suis-je disposé à partager les biens de la terre, qui appartiennent à tous, de manière juste et équitable ? Comment est-ce que je traite la création, qui est l'œuvre de ses mains ? Est-ce que j'en fais usage avec révérence et gratitude, ou est-ce que je l'exploite, la détruis, au lieu de la préserver et de la cultiver comme la maison commune de l'humanité ? [13]

11. Au centre du Credo de Nicée-Constantinople se trouve la profession de foi en Jésus-Christ, notre Seigneur et Dieu. C'est là le cœur de notre vie chrétienne. C'est pourquoi nous nous engageons à suivre Jésus comme Maître, compagnon, frère et ami. Mais le Credo de Nicée demande davantage : il nous rappelle en effet de ne pas oublier que Jésus-Christ est le Seigneur (Kyrios), le Fils du Dieu vivant, qui « pour notre salut est descendu du ciel » et est mort « pour nous » sur la croix, nous ouvrant la voie d'une vie nouvelle par sa résurrection et son ascension.

Certes, la sequela de Jésus-Christ n'est pas un sentier large et confortable, mais ce sentier, souvent exigeant, voire douloureux, qui conduit toujours à la vie et au salut (cf. Mt 7, 13-14). Les Actes des Apôtres parlent de la nouvelle voie (cf. Ac 19, 9.23 ; 22, 4.14-15.22), qui est Jésus-Christ (cf. Jn 14, 6) : suivre le Seigneur engage nos pas sur le chemin de la croix, qui, par la repentance, nous conduit à la sanctification et à la divinisation. [14]

Si Dieu nous aime de tout son être, alors nous devons aussi nous aimer les uns les autres. Nous ne pouvons pas aimer Dieu que nous ne voyons pas, sans aimer aussi le frère et la sœur que nous voyons (cf. 1 Jn 4, 20). L'amour de Dieu sans l'amour du prochain est hypocrisie ; l'amour radical pour le prochain, surtout l'amour pour les ennemis sans l'amour pour Dieu, est un héroïsme qui nous dépasse et nous oppresse. À la suite de Jésus, l'ascension vers Dieu passe par la descente et le dévouement envers les frères et sœurs, surtout les derniers, les plus pauvres, les abandonnés et les marginalisés. Ce que nous avons fait au plus petit d'entre eux, nous l'avons fait au Christ (cf. Mt 25, 31-46). Face aux catastrophes, aux guerres et à la misère, nous ne pouvons témoigner de la miséricorde de Dieu aux personnes qui doutent de Lui que lorsqu'elles font l'expérience de sa miséricorde à travers nous. [15]

12. Enfin, le Concile de Nicée est d'actualité en raison de sa très grande valeur œcuménique. À cet égard, la réalisation de l'unité de tous les chrétiens fut l'un des principaux objectifs du dernier Concile, Vatican II. [16] Il y a exactement trente ans, Saint Jean-Paul II poursuivait et promouvait le message conciliaire dans l'encyclique Ut unum sint (25 mai 1995). Ainsi, avec le grand anniversaire du premier Concile de Nicée, nous célébrons également l'anniversaire de la première encyclique œcuménique. Celle-ci peut être considérée comme un manifeste actualisant les fondements œcuméniques posés par le Concile de Nicée.

Grâce à Dieu, le mouvement œcuménique a obtenu de nombreux résultats au cours des soixante dernières années. Même si la pleine unité visible avec les Églises orthodoxes et orthodoxes orientales et avec les communautés ecclésiales issues de la Réforme ne nous a pas encore été donnée, le dialogue œcuménique nous a conduits, sur la base du baptême unique et du Credo de Nicée-Constantinople, à reconnaître nos frères et sœurs en Jésus-Christ dans les frères et sœurs des autres Églises et communautés ecclésiales et à redécouvrir la communauté unique et universelle des disciples du Christ dans le monde entier. En effet, nous partageons la foi en un seul et unique Dieu, Père de tous les hommes, nous confessons ensemble l'unique Seigneur et vrai Fils de Dieu Jésus-Christ et l'unique Esprit-Saint, qui nous inspire et nous pousse à la pleine unité et au témoignage commun de l'Évangile. Ce qui nous unit est vraiment bien plus grand que ce qui nous divise ! [17] Ainsi, dans un monde divisé et déchiré par nombre de conflits, l'unique Communauté chrétienne universelle peut être un signe de paix et un instrument de réconciliation, contribuant de manière décisive à un engagement mondial en faveur de la paix.  Saint Jean-Paul II nous a rappelé en particulier le témoignage des nombreux martyrs chrétiens issus de toutes les Églises et Communautés ecclésiales : leur mémoire nous unit et nous incite à être des témoins et des artisans de paix dans le monde.

Afin d'exercer ce ministère de manière crédible, nous devons marcher ensemble pour parvenir à l'unité et à la réconciliation entre tous les chrétiens. Le Credo de Nicée peut être la base et le critère de référence de ce cheminement. Il nous propose en effet un modèle de véritable unité dans la diversité légitime. Unité dans la Trinité, Trinité dans l'Unité, car l'unité sans multiplicité est tyrannie, la multiplicité sans unité est désagrégation. La dynamique trinitaire n'est pas dualiste, comme un aut-aut exclusif, mais un lien engageant, un et-et : le Saint-Esprit est le lien d'unité que nous adorons avec le Père et le Fils. Nous devons donc laisser derrière nous les controverses théologiques qui ont perdu leur raison d'être pour acquérir une pensée commune et, plus encore, une prière commune au Saint-Esprit, afin qu'il nous rassemble tous dans une seule foi et un seul amour.

Cela ne signifie pas un œcuménisme de retour à l'état antérieur aux divisions, ni une reconnaissance mutuelle du statu quo actuel de la diversité des Églises et des communautés ecclésiales, mais plutôt un œcuménisme tourné vers l'avenir, de réconciliation sur la voie du dialogue, d'échange de nos dons et de nos patrimoines spirituels. Le rétablissement de l'unité entre les chrétiens ne nous appauvrit pas, au contraire, il nous enrichit. Comme à Nicée, cet objectif ne sera possible qu'à travers un chemin patient, long et parfois difficile d'écoute et d'accueil réciproque. Il s'agit d'un défi théologique et, plus encore, d'un défi spirituel, qui exige le repentir et la conversion de tous. C'est pourquoi nous avons besoin d'un œcuménisme spirituel de prière, de louange et de culte, comme cela s'est produit dans le Credo de Nicée Constantinople.

Invoquons donc le Saint-Esprit, afin qu'il nous accompagne et nous guide dans cette entreprise.

Saint-Esprit de Dieu, tu guides les croyants sur le chemin de l'histoire.

Nous te remercions d'avoir inspiré les Symboles de la foi et de susciter dans nos cœurs la joie de professer notre salut en Jésus-Christ, Fils de Dieu, consubstantiel au Père. Sans Lui, nous ne pouvons rien.

Toi, Esprit éternel de Dieu, d'âge en âge, tu rajeunis la foi de l'Église. Aide-nous à l'approfondir et à toujours revenir à l'essentiel pour l'annoncer.

Afin que notre témoignage dans le monde ne soit pas inerte, viens, Esprit-Saint, avec ton feu de grâce, raviver notre foi, nous enflammer d'espérance, nous embraser de charité.

Viens, divin Consolateur, toi qui es l'harmonie, pour unir les cœurs et les esprits des croyants. Viens et donne-nous de goûter à la beauté de la communion.

Viens, Amour du Père et du Fils, pour nous rassembler dans l'unique troupeau du Christ.

Indique-nous les chemins à suivre, afin que, par ta sagesse, nous redevenions ce que nous sommes dans le Christ : une seule chose, afin que le monde croie. Amen.

Du Vatican, le 23 novembre 2025, Solennité de Notre Seigneur Jésus-Christ Roi de l'univers.

LÉON PP. XIV

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[1] L.H. Westra, The Apostles' Creed. Origin, History and Some Early Commentaries, Turnhout 2002 (= Instrumenta patristica et mediaevalia, 43).

[2] Conc. Nicée I, Expositio fidei: CC COGD 1, Turnhout 2006, 19 6-8.

[3] S. Athanase d’Alexandrie, Contra arianos, I, 9, 2 (ed. Metzler, Athanasius Werke, I/1,2, Berlin - New York 1998, 117-118). D'après les affirmations de saint Athanase dans le  Contra Arianos I, 9, il est clair que  homooúsios ne signifie pas « de même substance », mais « de la même substance » que le Père ; il ne s'agit donc pas d'une égalité de substance, mais d'une identité de substance entre le Père et le Fils. La traduction latine de  homooúsios parle donc à juste titre de  unius substantiae cum Patre.

[4] S. Athanase d’Alexandrie, Contra arianos, I, 38, 7 - 39, 1: ed. Metzler, Athanasius Werke, I/1,2, 148-149.

[5] Cf. S. Athanase d’Alexandrie, De incarnatione Verbi, 54, 3: SCh 199, Paris 2000, 458; id., Contra arianos, I, 39; 42; 45; II, 59ss.: ed. Metzler, Athanasius Werke, I/1,2, 149; 152, 154-155 e 235ss.

[6] Cf. S. Augustin, Confessiones, I, 1: CCSL 27, Turnhout 1981, 1.

[7] S. Thomas d’Aquin, In Symbolum Apostolorum, art. 12: ed. Spiazzi, Thomae Aquinatis, Opuscula theologica, II, Taurini - Romae 1954, 217.

[8] Cf. S. Basile de Césarée, De Spiritu Sancto, 30, 76: SCh 17bis, Paris 2002 2, 520-522.

[9] S. Hilaire de Poitiers, Contra arianos seu contra Auxentium, 6: PL 10, 613. Se souvenant de la voix des Pères, le savant théologien, puis cardinal et aujourd'hui Saint et Docteur de l'Église John Henry Newman (1801-1890) a étudié cette controverse et est arrivé à la conclusion que le Credo de Nicée a été préservé avant tout par le sensus fidei du peuple de Dieu. Cf. On consulting the Faithful in Matters of Doctrine (1859).

[10] Conc. Constantinople I, Expositio fidei: CC, Conc. Oec. Gen. Decr. 1, 57 20-24. L'affirmation « et procède du Père et du Fils ( Filioque) » ne se trouve pas dans le texte de Constantinople ; elle a été insérée dans le Credo latin par le Pape Benoît VIII en 1014 et fait l'objet d'un dialogue orthodoxe-catholique.

[11] Conc. Chalcedoine, Definitio fidei: CC, Conc. Oec. Gen. Decr. 1, 137 393-138 411.

[12] Conc. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, 19 : AAS 58 (1966), 1039.

[13] Cf. François, Lett. enc. Laudato si’ (24 mai 2015), 67; 78; 124: AAS 107 (2015), 873-874; 878; 897.

[14] Cf. Id., Exhort. ap. Gaudete et exsultate (19 mar. 2018), 92 : AAS 110 (2018), 1136.

[15] Cf. Id., Lett. enc. Fratelli tutti (3 oct. 2020), 67; 254: AAS 112 (2020), 992-993; 1059.

[16] Cf. Conc. Vat. II, Decr. Unitatis redintegratio, 1: AAS 57 (1965), 90-91.

[17] Cf. S. Jean-Paul II, Lett. enc. Ut unum sint (25 mai 1995), 20: AAS 87 (1995), 933.