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COMMISSION THEOLOGIQUE INTERNATIONALE
Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur
1700e anniversaire du concile œcuménique de Nicée
325-2025
Index
Note préliminaire
Introduction: Doxologie, théologie et annonce
Chapitre 1: Le Symbole pour le salut: doxologie et théologie du dogme de Nicée
1. Saisir l’immensité des trois Personnes
divines qui nous sauvent: « Dieu est Amour », infiniment
1.1 La grandeur de la paternité de Dieu
le Père, fondement de la grandeur du Fils et de l’Esprit
1.2 Réflexion sur le recours à l’expression
homoousios
1.3 L’unité de l’histoire du salut
2. Saisir l’immensité du Christ Sauveur et
de son acte de salut
2.1 Voir le Christ dans toute sa
grandeur
2.2 L’immensité de l’acte du salut: sa
consistance historique
2.3 La grandeur de l’acte du salut: le
mystère pascal
3. Saisir l’immensité du salut offert aux
hommes et l’immensité de notre vocation humaine
3.1 La grandeur du salut : l’entrée
dans la vie de Dieu
3.2 L’immensité de la vocation humaine
à l’Amour divin
3.3 La beauté du don de l’Église et du
baptême
4. Célébrer ensemble l’immensité du salut :
la portée œcuménique de la foi de Nicée et l’espérance d’une
date commune pour la célébration de Pâques
Chapitre 2: Le symbole de Nicée dans la vie des croyants. « Nous croyons comme
nous baptisons; et nous prions comme nous croyons »
Prélude: la foi confessée dans la foi vécue
1. Baptême et foi trinitaire
2. Le Symbole de Nicée comme confession de
foi
3. Approfondissement dans les prédications
et les catéchèses
4. Prière au Fils et doxologies
5. La théologie dans les hymnes
Chapitre 3: Nicée comme évènement théologique et comme évènement ecclésial
1. L’évènement Christ: « Personne n’a vu
Dieu. Le Fils monogène l’a révélé » (Jn 1,18)
1.1 Le Christ, Verbe Incarné, révèle le
Père
1.2 « Nous, nous avons la pensée (νοῦς)
du Christ » (1 Co 2,16): analogie de la création et analogie
de la charité
1.3 L’entrée théologale dans la
connaissance du Père par la prière du Christ
2. L’évènement de Sagesse: la nouveauté
pour la pensée humaine
2.1 La Révélation féconde et élargit la
pensée humaine
2.2 Un évènement culturel et
interculturel
2.3 La fidélité créative de l’Église et
le problème de l’hérésie
3. L’évènement ecclésial: le concile de
Nicée, premier concile œcuménique
3.1 L’Église s’inscrit par sa nature et
par ses structures dans l’évènement Jésus Christ
3.2 La collaboration structurelle des
charismes de l’Église et le chemin vers Nicée
3.3 Le Concile œcuménique de Nicée
Chapitre 4: Garder la foi accessible à tout le peuple de Dieu
Prélude: le concile de Nicée et les
conditions de la crédibilité du mystère chrétien
1. La théologie au service de l’intégralité
de la vérité salvifique
1.1 Le Christ, la vérité
eschatologiquement efficiente
1.2 Salut et processus de filiation
divine
2. La médiation de l’Église et l’inversion
de l’enchaînement dogmatique: Trinité, christologie,
pneumatologie, ecclésiologie
2.1 Les médiations de la foi et le
ministère de l’Église
2.2 Dissensus et synodalité
2.3 Les langues de l’Esprit Saint pour
la formation et le renouvellement du consensus
3. Veiller sur le dépôt de la foi: une
charité au service des plus petits
3.1 La foi unanime du Peuple de Dieu
offerte à tous
3.2 La protection de la foi face au
pouvoir politique
Conclusion: Annoncer à tous Jésus notre Salut aujourd’hui
______________________
Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur
1700e anniversaire du concile œcuménique de Nicée
325-2025
Note
préliminaire
Au cours de son 10e quinquennium, la Commission Théologique
Internationale a choisi d’approfondir une étude concernant le premier Concile
œcuménique de Nicée et son actualité dogmatique. Le travail a été conduit par
une Sous-commission spéciale, présidée par le P. Philippe Vallin et composée des
membres suivants : S. Exc. Mgr Antonio Luiz Catelan Ferreira, S. Exc. Mgr
Etienne Vetö, I.C.N., le P. Mario Ángel Flores Ramos, le P. Gaby Alfred Hachem,
le P. Karl-Heinz Menke, la Prof. Marianne Schlosser, la Prof. Robin Darling
Young.
Des discussions générales sur ce sujet ont eu lieu à la fois lors des diverses
réunions de la Sous-commission et lors des sessions plénières de la Commission
elle-même, qui se sont tenues dans les années 2022-2024. Ce texte a été soumis
au vote et approuvé in forma specifica à l’unanimité par les membres de
la Commission Théologique Internationale lors de la session plénière de 2024. Le
document a ensuite été soumis à l’approbation de son président, S. Ém. le
Cardinal Víctor Manuel Fernández, Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la
Foi, qui, après avoir reçu l’avis favorable du Saint Père François, en a
autorisé la publication le 16 décembre 2024.
Introduction: Doxologie, théologie et annonce
1. Le 20 mai 2025, l’Église catholique et l’ensemble du monde chrétien se
souviennent avec gratitude et joie de l’ouverture du Concile de Nicée en 325 :
« Le Concile de Nicée est une pierre milliaire dans l’histoire de l’Église. Son
anniversaire invite les chrétiens à s’unir dans la louange et l’action de grâce
à la Sainte Trinité et en particulier à Jésus-Christ, le Fils de Dieu, “consubstantiel au Pèreˮ, qui nous a révélé ce mystère d’amour »[1]. Celui-ci est resté dans la conscience chrétienne principalement à travers le
Symbole qui recueille, définit et proclame la foi dans le salut en Jésus-Christ
et au Dieu Un, Père, Fils et Saint-Esprit. Le symbole de Nicée professe la bonne
nouvelle du salut intégral des êtres humains par Dieu lui-même en Jésus-Christ.
1700 ans après, il s’agit avant tout de célébrer cet évènement dans une
doxologie, une louange à la gloire de Dieu, puisqu’elle s’est manifestée
dans l’inestimable trésor de la foi exprimée par le Symbole : l’infinie beauté
du Dieu Père qui nous sauve, l’immense miséricorde de Jésus-Christ notre
Sauveur, la générosité de la rédemption qui est offerte à chaque personne
humaine dans le Saint-Esprit. Nous joignons nos voix à celles des Pères, tel
Éphrem le Syrien, pour chanter cette gloire :
« Gloire à Celui qui est venu
Chez nous par son premier né !
Gloire au Silencieux
Qui a parlé par sa voix !
Gloire au Sublime
Qui s’est rendu visible par son Épiphanie !
Gloire au Spirituel,
Qui s’est plu
A ce que son Enfant devînt corps,
Afin que par ce corps fût tangible sa puissance
Et que par ce corps eussent vie
Les corps des fils de Son peuple ! »[2]
2. La lumière répandue par l’assemblée de Nicée sur la révélation chrétienne
permet d’y découvrir une richesse inépuisable qui continue à travers les siècles
et les cultures de trouver des approfondissements, et de se montrer sous des
facettes toujours plus belles et plus neuves. Ces différentes facettes sont
mises à jour notamment par la lecture priante et théologique que la plus grande
partie des traditions chrétiennes font du Symbole, chacune avec un rapport
différent au fait même de l’existence d’un symbole. Il s’agit aussi de
l’occasion pour toutes de redécouvrir ou même de découvrir sa richesse et le
lien de communion entre tous les chrétiens qu’il peut constituer. « Comment ne
pas rappeler l’importance extraordinaire d’une pareille commémoration au service
de la recherche de l’union plénière des Chrétiens ? »[3], souligne le Pape François.
3. Le Concile de Nicée fut le premier concile dit « œcuménique », parce que pour
la première fois les évêques de toute l’Oikoumenē ont été invités[4]. Ses résolutions devaient donc avoir une portée œcuménique, c’est-à-dire
universelle : elles ont été reçues comme telles par les croyants et par la
tradition chrétienne, au cours d’un processus long et laborieux. L’enjeu
ecclésiologique est capital. Le Symbole s’inscrit dans le mouvement de la
progressive adoption par l’enseignement chrétien de la langue et des schémas de
pensée grecs, qui s’en trouvèrent eux-mêmes, pour ainsi dire, transfigurés par
leur contact avec la Révélation. Le Concile a marqué en outre l’importance
toujours plus grande des synodes et de modes de gouvernement synodaux dans
l’Église des premiers siècles, tout en constituant un tournant majeur : dans la
ligne de l’exousia conférée aux Apôtres par Jésus et l’Esprit Saint (Lc
10,16 ; Ac 1,14-2,1-4), l’évènement de Nicée a en effet ouvert la voie à une
nouvelle expression institutionnelle de l’autorité dans l’Église, l’autorité de
portée universelle reconnue désormais aux conciles œcuméniques, autant pour la
doctrine que pour la discipline. Ce tournant décisif dans la manière de penser
et de gouverner au sein de la communauté des disciples du Seigneur Jésus aura
mis en lumière des éléments essentiels de la mission d’enseignement de l’Église,
et donc de sa nature.
4. Une précision s’impose avant d’entrer plus avant dans la réflexion. Nous nous
appuyons sur le symbole de Nicée-Constantinople (381) et non pas à strictement
parler sur celui composé à Nicée (325). En effet, une cinquantaine d’années
furent nécessaires pour accueillir le vocabulaire du symbole de Nicée et pour
s’accorder sur la portée universelle du premier concile. Le processus de
réception du symbole de Nicée s’est poursuivi pendant le conflit avec les
Pneumatomaques entre Nicée et Constantinople, introduisant quelques
modifications textuelles significatives, en particulier dans le troisième
article. Selon l’opinion des Pères, cependant, ce processus, qui aboutit au
symbole de Nicée-Constantinople, n’impliquait aucune altération de la foi
nicéenne, mais sa préservation authentique. En ce sens, le préambule de la
définition dogmatique de Chalcédoine, qui a été précédé par la transcription du
symbole de Nicée et du symbole de Nicée-Constantinople, « confirme » ce qui a
été dit dans le symbole des « 150 Pères » (Constantinople), puisque son sens
réside, selon ses propres termes, dans la spécification de ce qui concerne
l’Esprit Saint contre ceux qui nient sa seigneurie[5]. L’ampleur de ce qui s’est passé à Nicée se manifeste dans l’interdiction faite
au Concile d’Éphèse de promulguer toute autre formule de foi[6], car dans les moments qui ont suivi Nicée, les tenants de l’orthodoxie ont
pensé que le discernement cristallisé dans le symbole nicéen suffirait à
garantir la foi de l’Église pour toujours. Athanase, par exemple, dira de Nicée
qu’il est « la parole de Dieu qui demeure à jamais » (Is 40,8)[7]. Ce processus de Tradition vivante et normative se prolonge, entre le IVe
et le IXe siècles, par son adoption dans les liturgies baptismales,
notamment en Orient, puis dans les liturgies eucharistiques. Notons que le
Filioque, qui se trouve dans les versions occidentales actuelles du Symbole,
ne fait pas partie du texte originel du symbole de Nicée-Constantinople, sur
lequel ce document entend s’appuyer[8]. Ce point continue d’être un sujet de malentendu entre les confessions
chrétiennes, de sorte que le dialogue entre Orient et Occident se poursuit
encore aujourd’hui.
5. Ainsi, dans un premier chapitre, nous proposerons une lecture doxologique
du Symbole, pour en dégager la ressource sotériologique et donc christologique,
trinitaire et anthropologique. Ce sera l’occasion d’en souligner la portée et
d’en recevoir un nouvel élan pour l’unité des chrétiens. Mais accueillir la
richesse du Concile de Nicée, 1700 ans après, conduit aussi à percevoir comment
le Concile nourrit et guide la vie chrétienne quotidienne : dans un deuxième
chapitre, de teneur patristique, nous explorerons comment la vie liturgique et
la vie de prière a été fécondée dans l’Église après le Concile. Nicée constitue
un tel tournant pour l’histoire du Christianisme, que nous nous arrêterons dans
le troisième chapitre sur la manière dont le Symbole et la tenue du Concile
témoignent de l’évènement Jésus-Christ lui-même, dont l’irruption dans
l’histoire offre un accès inouï à Dieu et introduit une transformation de la
pensée humaine, autrement dit un évènement de Sagesse. Le Symbole et le Concile
témoignent aussi d’une nouveauté dans la manière dont l’Église du Christ se
structure et accomplit sa mission : ils traduisent ce qui fut un évènement
Ecclésial. Enfin, dans le quatrième chapitre, nous analyserons les conditions de
crédibilité de la foi professée à Nicée en une étape de théologie fondamentale,
qui mettra à jour la nature et l’identité de l’Église en tant qu’elle est
interprète authentique de la vérité normative de la foi par le Magistère,
gardienne des croyants, notamment les plus petits et les plus vulnérables.
6. « Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau,
mais sur son lampadaire et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison »
(Mt 5,15). Cette lumière, c’est le Christ, « lumière de lumière ». S’en
émerveiller c’est aussi trouver un nouvel élan pour présenter cette bonne
nouvelle avec encore plus de force et de créativité dans l’Esprit Saint. Cette
lumière éclaire de manière vive notre époque travaillée par des ferments de
violence et d’injustice, remplie d’incertitudes, entretenant un rapport complexe
avec la vérité, par où la foi et l’appartenance à l’Église semblent mises en
difficulté. La lumière est d’autant plus vive et rayonnante qu’elle est partagée
par tous les chrétiens qui peuvent confesser leur foi dans une même marty̆ria,
un même témoignage, afin de contribuer à attirer les hommes et les femmes
d’aujourd’hui à Jésus-Christ, Fils de Dieu et Sauveur :
L’essentiel pour nous, le plus beau, le plus attirant et en même temps le plus
nécessaire, c’est la foi dans le Christ Jésus. Tous ensemble, si Dieu le veut,
nous la renouvellerons solennellement au cours du prochain Jubilé et chacun de
nous est appelé à l’annoncer à chaque homme et femme de la terre. C’est là la
tâche fondamentale de l’Église[9].
Chapitre 1
Le Symbole pour le salut :
doxologie et théologie du dogme de Nicée
7. Célébrer Nicée en son 1700e anniversaire, c’est avant tout
s’émerveiller du Symbole que le Concile nous a légué et de la beauté du don
offert en Jésus Christ dont il est comme l’icône en paroles. Nous commencerons
donc notre étude de Nicée en parcourant ce Symbole afin de dégager
l’extraordinaire immensité de la foi trinitaire, de la christologie et de la
sotériologie qu’il exprime, ainsi que ses implications anthropologiques et
ecclésiologiques, avant de conclure par sa portée œcuménique. Il s’agit pour
ainsi dire d’un acte de théologie doxologique. Celle-ci ne vise pas à un
approfondissement de chaque thème de ce concentré de foi chrétienne
qu’est le Symbole – tâche qui aurait été de peu d’utilité et de toute façon
impossible dans le cadre du présent travail –, mais elle cherche à dégager la
richesse des énoncés et des vérités offerts par le credo nicéen sur le plan
dogmatique, notamment ceux qui présentent le plus d’enjeu et de fécondité pour
cette période de l’histoire de l’Église et du monde, au moment même où nous
célébrons l’anniversaire de Nicée.
1. Saisir l’immensité des trois Personnes divines qui nous sauvent : « Dieu est
Amour », infiniment
8. Le symbole de Nicée-Constantinople est structuré autour de l’affirmation de
la foi trinitaire :
Nous croyons en un seul Dieu Père tout-puissant, créateur du ciel et de la
terre,
de toutes les choses visibles et invisibles,
Et en un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu, l’unique engendré,
qui a été engendré du Père avant tous les siècles, lumière de lumière,
vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père,
par qui tout a été fait ; […]
Et en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et donne la vie, qui procède du Père,
qui avec le Père et le Fils est coadoré et coglorifié,
qui a parlé par les prophètes […][10].
1.1 La grandeur de la paternité de Dieu le Père, fondement de la grandeur du
Fils et de l’Esprit
9. Au point de départ de la foi de Nicée se trouve l’affirmation de l’unité de
Dieu. Le christianisme est fondamentalement un monothéisme, qui se pose en
continuité avec la révélation faite à Israël. Cependant, le Symbole ne pose pas
d’abord « Dieu » tout court, et encore moins la nature divine une, mais bien la
Première hypostase divine qui est le Père. En tant que « créateur du ciel et de
la terre » (cf. Gn 1,1 ; Ne 9,6 ; Ap 10,6), il est Père de toutes choses[11]. En outre, le Christ révèle l’inouïe paternité intra-divine de Dieu, fondement
de sa paternité ad extra. Si le Christ est Fils divin, de manière unique,
cela implique qu’il y a une génération en Dieu : Dieu le Père donne tout ce
qu’il a et tout ce qu’il est. Dieu n’est pas un principe pauvre et égoïste : il
est sine invidia[12]. Sa paternité, comme sa toute-puissance, est capacité à se donner entièrement.
Ce don paternel n’est pas seulement un aspect parmi d’autres, mais définit le
Père, qui est entièrement paternité[13]. Dieu est Père depuis toujours, et n’a jamais été un Dieu « solitaire »[14]. Cette paternité du Dieu Un est le premier aspect de la foi chrétienne qui
provoque l’émerveillement et dont il s’agit de célébrer l’immensité en
redécouvrant Nicée 1700 ans après. Il s’agit donc d’en explorer les implications
pour la compréhension du mystère trinitaire.
10. La foi au Père témoigne de la plénitude surabondante de Dieu. Le premier
article n’est pas simplement une définition de Dieu, mais tout d’abord une
louange qui s’inscrit dans la tradition doxologique de la liturgie juive et des
premières liturgies chrétiennes[15]. Le Dieu « tout-puissant (pantokratōr) » fait écho à diverses
expressions vétérotestamentaires, comme, par exemple, « Seigneur Sabaoth »,
reprise dans le Nouveau Testament dans le cadre des liturgies célestes (Ap 4,8 ;
11,17 ; 15,3 ; 16,14 ; 19,6).
11. La révélation dans le Christ de la paternité de Dieu manifeste aussi
l’immensité du Fils et de l’Esprit. Si Dieu le Père donne tout, hormis sa
paternité, cela signifie que le Fils et l’Esprit sont pleinement égaux au Père
en leur divinité. Dans le Symbole, le Fils est « un seul », il est « Seigneur »
(Kyrios, qui traduit le Tétragramme dans la Septante), « Fils de Dieu »,
« l’unique engendré » (ho monogenēs) dans l’intimité du Père, « Dieu issu
de Dieu », « lumière issue de la lumière », « vrai Dieu issu du vrai Dieu »,
consubstantiel (homoousios) au Père. Notons, par exemple, que dans le
Quatrième Évangile, le Fils est plusieurs fois nommé theos : Jn
1,1 ; 5,18 ; 20,28. Le Fils est engendré « avant tous les siècles », ce qui
signifie dans le Symbole qu’il est co-éternel au Père (cf. Jn 1,1). Cela vise
des positions d’Arius selon lequel « il était un temps où [le Fils] n’était
pas », « avant d’être né il n’était pas » et « il est devenu à partir de ce qui
n’était pas »[16], ou encore « le Fils est à partir du néant », par « volonté et conseil » du
Père »[17]. C’est pour cela que le Fils peut être confessé comme celui « par [qui] tout a
été fait » (cf. 1 Co 8,6 ; Jn 1,3). Dieu est si grand que le Père est capable
d’engendrer un autre, qui est égal à lui selon la divinité. Dieu excède tout que
ce nous pouvons en concevoir et imaginer, car son Unité assume une pluralité
réelle qui ne rompt pas l’Unité.
12. Le Père donne également tout à l’Esprit, qui est défini dans les termes
spécifiques et réservés à la divinité : « Esprit », « Saint » et « Seigneur »
(de nouveau une évocation du Tétragramme). De même que le Père est créateur et
que le Fils est la Parole par laquelle le Père crée toutes choses, l’Esprit est
professé comme « donateur de vie ». De même que le Fils est engendré du Père,
l’Esprit « procède du Père ». Les affirmations sur l’Esprit font
intentionnellement écho à l’article sur le Fils[18]. Par conséquent, l’Esprit peut et doit donc être adoré avec le Père et le Fils
– en confirmation du caractère doxologique du Symbole.
13. Il est essentiel de tenir à la fois la divinité de l’Esprit comme
« troisième » en Dieu et son lien au Père, ainsi qu’au Fils. En effet, encore
aujourd’hui des difficultés demeurent à le considérer comme une Personne divine
à part entière et non comme une simple force divine, voire cosmique. On priera
parfois le Père et le Fils en omettant l’Esprit, contrairement à la prière de
l’Église qui s’adresse toujours au Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit. On
reconnaîtra une importance toute légitime à l’Eucharistie, à la Vierge Marie ou
à l’Église – sans mesurer combien ces dernières sont précieuses précisément
parce qu’elles sont vivifiées par l’Esprit[19]. À l’inverse, d’autres donneront une place centrale, voire exclusive à l’Esprit
Saint, jusqu’à repousser le Père et le Fils à l’arrière-plan, ce qui revient,
paradoxalement, à une forme de réductionnisme pneumatologique, puisqu’il est
Esprit du Père et Esprit du Fils (Ga 4,6 ; Rm 8,9). La grandeur
surabondante de l’Esprit Saint exprimée dans la foi de Nicée est une protection
contre ces réductionnismes.
14. Ainsi, de la plénitude fontale de la paternité de Dieu, découle la plénitude
surabondante du Dieu Père, du Fils et de l’Esprit, semper major. Or la
plénitude fontale du Père implique une taxis (un ordre) dans la vie du
Dieu trinitaire. Le Père est la source de toute la divinité[20]. La deuxième personne est bien Dieu et lumière, mais elle l’est en tant que
« Dieu de Dieu », « lumière de la lumière ». Tout en étant
confessé comme égal selon la divinité avec le Fils et le Père, l’Esprit est
exposé d’une manière assez différente des deux autres. Nous venons de voir (cf.
supra § 12) qu’il est présenté avec des caractéristiques divines et doit être
adoré avec le Père et le Fils. Cela dit, les différences d’expression sont
notables : ce qui est dit du Père et du Fils « un » ou du Fils
« consubstantiel » n’est pas répété à propos de l’Esprit. Sans rien enlever à sa
co-divinité, la manière de mentionner l’Esprit dans le Symbole souligne sa
distinction personnelle. Ainsi, le propre de l’Esprit Saint met en lumière
l’unicité de chaque personne divine. D’une certaine manière, en Dieu,
« hypostase » ou « personne » est un terme analogique, au sens où chacun des
trois « noms » divins est pleinement une personne, mais l’est d’une manière
unique. Cette unicité montre également que l’égalité, d’une part, et la
différence et l’ordre, d’autre part, ne se contredisent pas. Cela aussi est le
fruit de la surabondante paternité du Père. Recevoir Nicée signifie recevoir la
richesse de la paternité divine qui établit l’égalité mais aussi la différence
et l’unicité.
1.2 Réflexion sur le recours à l’expression homoousios
15. L’une des contributions centrales de Nicée est la définition de la divinité
du Fils dans les termes d’une consubstantialité : le Fils est « consubstantiel »
(homoousios) au Père, « engendré du Père », « c’est-à-dire de la
substance du Père »[21]. La génération du Fils est autre chose que la création, parce qu’il s’agit
d’une communication de l’unique substance du Père. Le Fils est non seulement
pleinement Dieu comme le Père, mais bien d’une substance numériquement identique
à la sienne, car il n’y a pas de division dans le Dieu un[22]. Répétons-le : le Père donne tout au Fils, selon la logique d’une vie divine,
qui est agapē et qui excède toujours ce que l’esprit humain peut
concevoir.
16. Pour la première fois des termes non scripturaires sont employés dans un
texte ecclésial officiel et normatif – nous y reviendrons dans les IIIe
et IVe chapitres. L’intention des Pères du Concile n’était pas
d’introduire une nouveauté dans la foi apostolique, mais de la protéger en
explicitant ce qu’est réellement la génération en Dieu. C’est pour cela que dans
le symbole de 325, homoousios est introduit par l’expression
« c’est-à-dire » : la terminologie grecque ontologique est au service des
expressions traditionnelles scripturaires[23]. Le terme, d’origine gnostique et condamné par le synode régional d’Antioche
(264-269), sera très disputé dans les décennies qui suivront Nicée. Mais à
partir des années 360 les adhésions se multiplièrent, jusqu’à sa pleine et
paisible ratification à Constantinople (381). Sont alors reconnus son rôle
d’explicitation et de protection de la foi, ainsi que la capacité créatrice de
la raison humaine, de la philosophie et de la culture, dans l’accueil de la
Révélation. Comme déjà avec les Saintes Écritures, cela souligne que la
Révélation implique un dialogue entre Dieu et l’homme, dialogue qui se fait des
deux côtés par des paroles humaines, situées, limitées, et donc toujours à
interpréter. Non seulement la vie divine se révèle comme surabondance, mais la
forme même de la Révélation, capable de se dire en mots humains, et bientôt de
se traduire en toutes les langues, se montre ici semper major.
17. Cette expression n’est cependant pas la seule employée dans le symbole pour
exprimer la divinité salvatrice du Fils. Elle se trouve insérée parmi une série
de termes d’origine scripturaires et liturgiques : « vrai Dieu du vrai Dieu »,
« Dieu de Dieu[24] » et « lumière de la lumière ». Aucun terme ne peut à lui seul épuiser la
surabondante plénitude de la Révélation. La foi a besoin de l’articulation des
expressions scripturaires, philosophiques et liturgiques, de concepts, d’images
et de noms divins (Père, Fils, Esprit Saint) pour s’exprimer de la manière la
plus juste et la plus complète. Les modes d’expression des différentes Églises
et communautés ecclésiales peuvent se soutenir mutuellement dans cette
redécouverte, car certaines insistent davantage sur l’une ou l’autre : ainsi la
tradition orientale met l’accent sur la compréhension du Christ comme « lumière
de lumière[25] ». La pluralité de son vocabulaire contribue certainement à rendre la foi qui y
est exprimée accessible dans les différentes cultures et selon la forma
mentis de chaque être humain.
1.3 L’unité de l’histoire du salut
18. Pour bien comprendre la portée du symbole de Nicée-Constantinople, il
convient de comprendre l’unité du cadre de l’histoire du salut qui informe la
profession de foi. En effet, l’attribution de la création ou du « don de la
vie » aux trois personnes souligne l’unité entre l’ordre de la création et
l’ordre du salut. La divinisation commence déjà avec l’acte créateur, l’histoire
du salut commence déjà avec la création. Contre le marcionisme et les diverses
formes de gnosticismes, il faut tenir que c’est le même Dieu qui crée et qui
sauve, et la même réalité créée, bonne car voulue par Dieu, qui est restaurée
dans la rédemption. Ainsi, la grâce n’introduit pas une rupture mais offre un
accomplissement, car elle est déjà à l’œuvre dans la création qui lui est
ordonnée.
19. De même, l’économie du salut accompli dans le Christ n’est présentée dans sa
véritable et pleine signification que si l’on souligne sa fidélité à la
révélation faite au peuple d’Israël, sans quoi la foi exprimée à Nicée perdrait
sa légitimité et la plénitude de sa dimension historique. Évidemment, la
dimension trinitaire et christologique de la foi nicéenne n’est pas acceptée par
la tradition rabbinique mais, d’un point de vue chrétien, elle est comprise de
manière essentielle comme une nouveauté qui s’inscrit pourtant dans la
continuité avec la révélation confiée au peuple élu. La doctrine de la
Trinité ne se veut certes pas une relativisation, mais un approfondissement de
la foi dans le seul et unique Dieu d’Israël[26]. Nous avons déjà souligné que les références au Dieu « un » et « créateur du
ciel et de la terre » font écho à l’Ancien Testament, où Dieu se révèle comme
celui qui crée par amour, entre en relation par amour et appelle à être aimé en
retour. Dieu appelle Abraham son « ami », « celui qu’il aime » (Is 41,8 ; 2 Chr
20,7 ; Jc 2,23), et il s’entretient avec Moïse « face à face, comme on se parle
d’homme à homme » (Ex 33,11). De même, le choix de l’homoousios est
précisément fait pour protéger le caractère monothéiste de la foi chrétienne :
en Dieu, il n’y a pas d’autre réalité que la réalité divine. Le Fils et l’Esprit
ne sont autres que Dieu lui-même et non pas des êtres intermédiaires entre Dieu
et le monde ou de simples créatures. En outre, la révélation faite à Israël
témoigne du Seigneur comme de l’Un et Unique qui s’engage, se voue, et se
communique dans l’histoire des hommes. Le christianisme comprend l’Incarnation
comme la plénitude inouïe de la façon de faire (l’économie) du Dieu d’Israël qui
descend et qui habite au milieu de son peuple, réalisée dans l’union de Dieu
avec une humanité singulière, Jésus[27].
20. De plus, le développement de la foi trinitaire telle qu’elle est exprimée à
Nicée n’est pas sans arrière-plan juif. Le Symbole est structuré par une triple
répétition : « nous croyons en un Dieu Père… et en un Seigneur Jésus-Christ… et
en l’Esprit Saint ». En effet, la foi trinitaire naissante des premiers siècles
développe l’unité des noms divins, Père, Fils et Esprit, à partir de la foi
monothéiste d’Israël exprimée au début du Sh’ma Israel, « le Seigneur
notre Dieu est un » (Dt 6,4), par une répétition de cette prière centrale du
judaïsme, en étendant l’attribut de l’unité-unicité de Dieu Un au Fils : « Je
crois en un seul Dieu... et en un seul Seigneur... ». C’est déjà
le cas dans les ébauches d’expression de la foi trinitaire propres au Nouveau
Testament : « Pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui
viennent toutes choses, et nous sommes par lui ; et un seul Seigneur
Jésus-Christ, en vertu duquel existent toutes choses, et nous existons pour
lui » (1 Co 8,6 nous soulignons). Celles-ci, « binitaires », co-existent avec
des formules « trinitaires » : « Il y a un seul corps et un seul Esprit
[…] ; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; il y a
un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et parmi tous, et
en tous » (Ep 4,4-6 nous soulignons ; cf. aussi 1 Co 12,4-6). Évidemment, le
contenu va rapidement évoluer vers des conceptions qui ne pourront être
acceptées par le rabbinisme, mais c’est à partir de pierres d’attente et de
l’intérieur des structures liturgiques juives que se développe la foi
chrétienne. Par ailleurs, il faut souligner la richesse polyédrique du
monothéisme d’Israël qui se dévoile à travers la Bible hébraïque et les écrits
de l’époque du Second Temple[28]. Il existe l’idée d’une richesse surabondante en Dieu qui ne contredit pas son
unicité et son unité. Cela se témoigne dans la multiplicité des figures de Dieu,
comme la dimension « binitaire », en un certain sens, que certains spécialistes
perçoivent dans la dualité entre « l’Ancien des jours » et celui qui est
« comme un fils d’homme » (Dn 7,9-14)[29]. Cette richesse se manifeste encore dans les différentes figures de Dieu lors
de son action dans le monde : l’Ange du Seigneur, la Parole (dābār),
l’Esprit (rûaḥ) et la Sagesse (ḥākmâ)[30]. Certains exégètes contemporains soutiennent d’ailleurs qu’il y eut une
première étape binitaire dans la confession de foi chrétienne, qui inscrivait
naturellement la confession de foi en Jésus de Nazareth comme Kyrios
exalté après la mort, avec un rang proprement divin, dans la continuité du
monothéisme exprimé dans la Bible[31]. Ainsi, même s’il est capital de ne pas rétroprojeter la foi trinitaire sur
l’Ancien Testament, il est néanmoins possible de percevoir entre l’Ancien et le
Nouveau un processus de développement, bien que non linéaire, une forme de
rassemblement de ces différentes réalités en deux figures : le Fils-Logos et
l’Esprit. Lorsqu’il est arrivé qu’on considère l’affirmation de deux autres
personnes divines comme une association extrinsèque au Dieu unique, on a
manqué la reconnaissance de l’idée chrétienne d’une fécondité intrinsèque du
Père au sein de la substance une et indivisible des trois personnes
coéternelles.
2. Saisir l’immensité du Christ Sauveur et de son acte de salut
21. Au cœur du deuxième article du symbole de Nicée-Constantinople se trouve la
confession de l’incarnation et de l’acte rédempteur du Fils. Après avoir
professé la divinité du Christ, Fils de Dieu, nous confessons aussi que :
[Nous croyons en un seul Seigneur Jésus Christ]
qui à cause de nous les hommes et à cause de notre salut est descendu des cieux,
s’est incarné de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie[32] et s’est fait homme ;
a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate, a souffert et a été enseveli,
est ressuscité le troisième jour selon les Écritures et est monté aux cieux,
siège à la droite du Père et reviendra dans la gloire juger les vivants et les
morts ;
et son règne n’aura pas de fin.
2.1 Voir le Christ dans toute sa grandeur
22. Nicée nous permet de « voir le Christ dans toute sa grandeur[33] ». Les deux dimensions qui font de lui l’unique médiateur entre Dieu et les
hommes sont marquées par la mention des deux acteurs de l’incarnation : « Il
s’est incarné de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie ». Il est pleinement Dieu,
lui qui provient d’une Vierge par la puissance de l’Esprit de Dieu ; il est
pleinement homme, lui qui naît d’une femme. Il est homoousios au Père
mais aussi à nous, selon le double énoncé plus tardif de Chalcédoine[34] – en sachant que le terme homoousios ne peut pas avoir un sens
univoque lorsqu’il s’agit de rapporter le Fils incarné au Père ou aux êtres
humains. Le Verbe qui se fait chair est la Parole de Dieu elle-même, qui assume
de manière unique et irréversible une humanité singulière et finie. C’est parce
que Jésus était personnellement (hypostatiquement) identique au Fils éternel,
qu’il a pu, en souffrant la mort humaine de façon tragique, rester en relation
vivante avec le Père et transformer la séparation d’avec Dieu, le péché et la
mort (cf. Rm 6,23), en accès à Dieu (cf. 1 Co 15,54-56 ; Jn 14,6b). C’est parce
que Jésus était homme véritable – « en tout semblable à nous, sauf le péché »
(He 4,15) – qu’il a pu assumer notre péché et passer par la mort. Cette double
consubstantialité fait que le Christ seul peut sauver. Lui seul peut opérer
le salut. Lui seul est communion des êtres humains avec le Père[35]. Lui seul est le Sauveur de tous les êtres humains de tous les
temps. Aucun autre être humain ne peut l’être avant lui ou après lui. L’inouï de
la communion parfaite entre Dieu et l’homme s’est réalisé en Christ, au-delà de
toute forme de réalisation que l’être humain peut lui-même imaginer.
23. On ne se dissimulera pas la difficulté actuelle à croire en la pleine
divinité et la pleine humanité du Christ. Il existe dans toute l’histoire
du christianisme, et encore aujourd’hui, une véritable résistance à reconnaître
la pleine divinité du Christ. Jésus peut être plus aisément considéré comme un
maître spirituel initiatique ou comme un messie politique qui prêche la
justice, alors que, dans son humanité, il vit sa relation éternelle au Père.
Mais il existe aussi une grande difficulté à admettre la pleine humanité du
Christ, lui qui peut éprouver la fatigue (Jn 4,6), des sentiments de tristesse
et d’abandon (Jn 11,35 ; Gethsémani) et même de colère (Jn 2,14-17) et qui,
mystérieusement mais réellement, ignore certaines choses (« seul le Père connaît
l’heure… », Mt 24,36). Le Fils éternel a choisi de vivre tout ce qu’il est au
titre de l’infini de la nature divine, qui demeure, dans la finitude de sa
nature humaine et à travers elle.
24. Notons toutefois que, même si la partie du Symbole consacrée à la deuxième
personne est la plus développée, la perspective christologique contenue dans la
foi de Nicée est nécessairement trinitaire. Le Christ est semper major
justement parce que là où il est, il y a toujours plus que lui : le Père reste
le Père, le « Saint d’Israël ». Certes, « celui qui a vu [le Christ] a vu
le Père » (Jn 14,9), mais, comme le dit Jésus, « le Père est plus grand que
[lui] » (Jn 14,28). Arius lui-même l’avait bien vu lorsqu’il citait l’Évangile :
« Un seul est bon » (Mt 19,17)[36]. De plus, le Christ ne peut être compris sans le Père et l’Esprit Saint : avant
d’être conçu comme l’Homme-Dieu et l’Époux, il est présenté dans le Nouveau
Testament comme Fils du Père et Oint par l’Esprit. De même, il ne sauve pas les
hommes sans le Père qui est la source et la fin de toutes choses – car celui-ci
est union filiale avec le Père. Il ne sauve pas les hommes sans l’Esprit, qui
fait crier « Abba, Père » (Rm 8,15) et dont l’action intérieure permet à l’être
humain d’être transformé et d’entrer activement dans le mouvement qui le conduit
au Père.
2.2 L’immensité de l’acte du salut : sa consistance historique
25. La grandeur du Sauveur se dévoile aussi dans la plénitude surabondante de
l’économie de salut. Nicée présente le réalisme de l’œuvre de rédemption. Dans
le Christ, Dieu nous sauve en entrant dans l’histoire. Il n’envoie pas un ange
ou un héros humain, mais vient lui-même dans l’histoire des hommes, en naissant
d’une femme, Marie, dans le peuple juif (« né d’une femme, né sous la loi », Ga
4,4), et en mourant dans une période historique précise, « sous Ponce Pilate »
(cf. 1 Tim 6,13 ; voir aussi Ac 3,13)[37]. Si Dieu est entré lui-même dans l’histoire, l’économie du salut est le lieu de
sa Révélation : dans l’histoire, le Christ révèle authentiquement le Père et
l’Esprit et donne pleinement accès au Père dans l’Esprit. De plus, parce que
Dieu entre dans l’histoire, il ne s’agit pas seulement d’un enseignement à
mettre en pratique, comme dans le marcionisme ou la gnose « au nom menteur »,
mais d’une action effective de Dieu. L’économie sera le lieu de l’œuvre
salvatrice de Dieu. Nous confessons qu’un évènement historique a radicalement
changé la situation de tous les êtres humains. Nous confessons que la Vérité
transcendante s’est inscrite dans l’histoire et agit en elle. C’est pourquoi le
message de Jésus ne peut être dissocié de sa personne : il est pour tous
« le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6) et non un maître de sagesse parmi
d’autres.
26. Malgré son insistance sur l’histoire, le Symbole ne mentionne ni n’évoque
explicitement une grande partie du contenu de l’Ancien Testament ni, en
particulier, l’élection et l’histoire d’Israël. Évidemment, un Symbole n’a pas
vocation à être exhaustif. Cependant, il est utile de souligner que ce silence
ne signifie en aucun cas la caducité de l’élection du peuple de l’ancienne
alliance[38]. Ce que révèle la Bible hébraïque n’est pas uniquement une préparation mais est
bien déjà l’histoire du salut, qui se poursuivra et s’accomplira dans le Christ
: « L’Église du Christ reconnaît que les débuts (initia) de sa foi et de
son élection se trouvent déjà, selon le mystère divin du salut, dans les
patriarches, Moïse et les prophètes »[39]. Le Dieu de Jésus-Christ est le « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », il est
le « Dieu d’Israël ». D’ailleurs, le Symbole souligne discrètement la continuité
entre le peuple juif et le peuple de la nouvelle alliance par la mention de « la
vierge Marie », qui situe le Messie dans le cadre d’une famille juive et d’une
généalogie juive, et qui fait également écho au texte vétérotestamentaire (Is
7,14 LXX). Cela opère un pont entre les promesses de l’Ancien Testament et du
Nouveau, comme le fera aussi l’expression « il est ressuscité le troisième jour
selon les Écritures » dans la suite de l’article, où « Écritures » signifie
l’Ancien Testament (cf. 1 Co 15,4). La continuité entre l’Ancien et le Nouveau
Testament se rencontre de nouveau lorsque l’article sur l’Esprit indique que
celui-ci « a parlé par les prophètes », ce qui représente peut-être une note
anti-marcionite[40]. Quoi qu’il en soit, pour être pleinement compris, ce Symbole né de la liturgie
prend tout son sens lorsqu’il est proclamé dans la liturgie et articulé
avec la lecture de l’ensemble des Saintes Écritures, Ancien Testament et Nouveau
Testament. Cela situe la foi chrétienne dans le cadre de l’économie du salut qui
inclut de manière native et structurelle le peuple élu et son histoire.
2.3 La grandeur de l’acte du salut : le mystère pascal
27. Le réalisme et la dimension trinitaire du salut en Christ trouvent leur
aboutissement dans le mystère pascal. Le Fils, lumière de Dieu et vrai Dieu,
s’incarne, souffre, meurt, descend au shéol et ressuscite. Il s’agit encore ici
d’une nouveauté inouïe. La difficulté d’Arius ne concernait pas seulement
l’unité de Dieu, incompatible avec la génération d’un Fils, mais aussi la
compréhension de sa divinité, incompatible avec la passion du Christ. Pourtant,
c’est justement dans le Christ et seulement dans le Christ que nous comprenons
ce dont Dieu est capable en propre, au-delà de toutes les limites de nos
précompréhensions. Il s’agit de prendre au sérieux le cri de Jésus comme étant
le cri du Fils de Dieu, exprimé dans la sueur de sang et la peur : « Père, s’il
est possible, que cette coupe passe loin de moi. » (Mt 26,39b). Le mot
homoousios lui-même aide à réaliser l’inouï de la kénose de l’Incarnation :
seule l’affirmation du Fils « consubstantiel » au Père permet de réaliser la
radicalité et la profondeur de ce à quoi ce même Fils a consenti en assumant la
condition humaine. Dans un sens, on pourrait dire que le Fils, semper major,
se fait véritablement minor, et que le Dieu Très-Haut descend au plus bas
en Jésus-Christ (cf. Ph 2,5-11). Or, même si seul le Christ naît, souffre la
passion et meurt, nous pouvons dire que « unus de Trinitate passus est[41] ». Toute la Trinité est impliquée, chaque personne de manière
singulière, dans la passion salvifique du Christ. Ainsi, la Passion nous révèle
le sens réellement divin de la « toute-puissance ». La toute-puissance du Dieu
trinitaire est identique au don de soi et à l’amour. Le Rédempteur crucifié
n’est donc pas la dissimulation, mais la révélation de la toute-puissance du
Père.
28. La plénitude de l’acte rédempteur du Christ ne se manifeste entièrement
qu’avec sa résurrection, accomplissement du salut, où se trouvent confirmés tous
les aspects de la création nouvelle. La résurrection témoigne de la pleine
divinité du Christ, seule capable de traverser et de vaincre la mort, mais aussi
de son humanité, puisque c’est bien la même humanité, numériquement identique à
celle de sa vie terrestre, qui est transfigurée et glorifiée. Il ne s’agit pas
d’un symbole ou d’une métaphore : le Christ ressuscite dans son humanité et dans
son corps. La résurrection transcende l’histoire mais est advenue au cœur de
l’histoire des êtres humains et de cet homme Jésus. De plus, elle est
profondément trinitaire : le Père en est la source, l’Esprit en est le souffle
vivifiant et le Christ glorifié vit – toujours dans son humanité – au sein de la
gloire divine et en communion inaltérable avec le Père et l’Esprit. Notons que
c’est la résurrection du Christ, « premier-né d’entre les morts » (Col 1,18 ;
cf. Rm 8,29), qui révèle l’engendrement éternel du Fils, « premier-né de toutes
créatures » (Col 1,15). Ainsi, la paternité et la filiation divines ne sont pas
d’abord des développements de modèles humains, même s’ils sont exprimés en mots
humains marqués culturellement, mais elles sont des réalités sui generis
de la vie divine.
29. Le Symbole souligne que la résurrection de Jésus-Christ se déploie jusqu’à
la fin des temps, lorsque le Christ « reviendra dans la gloire pour juger les
vivants et les morts ; et son Règne n’aura pas de fin ». Avec la
résurrection, la victoire est définitivement acquise, mais elle doit se réaliser
pleinement dans la Parousie. L’espérance chrétienne est plénière : elle ne
s’appuie pas uniquement sur l’ephapax de la Passion et la Résurrection,
ou sur le don présent de la grâce, mais aussi sur l’à-venir du retour
glorieux du Christ et de son Règne. Notons que cet aspect de la foi de Nicée se
comprend davantage et reçoit une force accrue si lui aussi est lu dans un
contexte où l’Église se met à l’écoute de l’Ancien Testament et de la foi du
peuple juif d’aujourd’hui. L’attente messianique actuelle du peuple d’Israël met
en lumière l’intégralité des promesses messianiques de paix sur toute la terre
et de justice pour tous, dans un monde entièrement renouvelé (Is 2,4 ; 61,1-2 ; Mi 4,1-3),
que les chrétiens attendent avec la Parousie. Cela peut et doit éveiller
l’espérance chrétienne du retour du Ressuscité, car alors seulement sera
pleinement visible son œuvre rédemptrice[42].
3. Saisir l’immensité du salut offert aux hommes et l’immensité de notre
vocation humaine
30. Célébrer Nicée ne consiste pas seulement à s’émerveiller devant la plénitude
surabondante de Dieu et du Christ Sauveur, mais aussi devant la grandeur
surabondante du don offert aux êtres humains et de la vocation humaine qui y est
dévoilée. Le mystère de Dieu dans son immensité est révélation de la
vérité sur l’homme, lui aussi semper major. Il s’agit ici de développer
les implications sotériologiques et anthropologiques des affirmations
trinitaires et christologiques du symbole de Nicée, mais aussi de prendre en
compte l’enseignement de la fin du troisième article sur l’Esprit Saint, qui
présente la foi en l’Église et dans le salut :
[Nous croyons] une seule sainte Église, catholique et apostolique.
Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés ;
Nous attendons la résurrection des morts et la vie du monde à venir. Amen.
3.1 La grandeur du salut : l’entrée dans la vie de Dieu
31. Parce que le Christ nous sauve, la foi de Nicée confesse la « rémission des
péchés » et « la résurrection des morts ». Le Symbole mentionne le péché car
nous avons besoin de savoir de quel mal nous sommes délivrés. Le péché, au sens
théologique strict, n’est pas seulement le vice ou la faute, qui offense les
intentions du Créateur dans la créature (cf. Rm 2,14-15), mais il est aussi une
rupture délibérée d’avec Dieu au sein d’une relation théologale avec celui-ci.
En ce sens plénier, le pécheur prend conscience de son péché dans la lumière de
l’amour miséricordieux de Dieu : le péché doit être « découvert » par l’œuvre de
la grâce elle-même afin que celle-ci puisse convertir les cœurs[43]. Ainsi, la révélation du péché est le premier pas de la rédemption et doit être
confessé comme tel.
32. Avec l’exorbitante prétention de la résurrection des morts, la foi de Nicée
professe que le salut est complet et plénier. L’homme est libéré de tout mal, y
compris du « dernier ennemi » qui doit être détruit par le Christ pour que tout
soit soumis à Dieu (cf. 1 Co 15,25-26). La foi en la résurrection implique non
pas simplement la survie de l’âme mais bien la victoire sur la mort[44]. De plus, l’homme n’est pas sauvé seulement selon son âme mais dans son corps
lui-même. Rien de ce qui fait l’identité et l’humanité de l’homme ne demeure en
dehors de la création nouvelle que propose le Christ. Enfin, ce don sera acquis
pour toujours, car il se déploie dans « la vie du monde à venir », l’eschăton
pleinement réalisé. Depuis Pâques, aucun péché n’a plus le pouvoir de séparer le
pécheur de Dieu – du moins s’il saisit la main du Crucifié Ressuscité, qui se
tend jusqu’au plus profond de l’abîme pour s’offrir aux brebis perdues : « Ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni
l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des
profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de
Dieu manifesté en Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 8,38-39).
33. Parce que le Christ nous sauve en tant que vrai Dieu, la résurrection
signifie pour nous l’entrée dans la vie divine, humanisation et divinisation à
la fois, comme en témoigne le commentaire par Jésus du psaume 81,6 en
Jean 10,14 : « Vous êtes des dieux »[45]. Et parce qu’il nous sauve en tant que Fils, engendré du Père, cette
divinisation est filiation adoptive et conformation au Christ ; elle est
l’entrée par l’Esprit Saint dans l’amour du Père. Nous sommes aimés et régénérés
par l’amour même par lequel le Père aime et engendre éternellement le Fils.
Telle est l’implication sotériologique de la paternité de Dieu professée par
Nicée. Enfin, parce que le Christ nous sauve en tant que Fils, avec le Père et
le Saint-Esprit, cette filiation est une plongée réelle dans les relations
trinitaires. Voilà pourquoi le Symbole naît de la profession de foi baptismale
trinitaire et que le baptême se fait « au nom du Père, et du Fils et du
Saint-Esprit ». L’immensité du don ainsi révélé s’actualise dans le mystère de
l’Ascension du Christ : « il est monté au ciel », manifestant que le Christ
lui-même est « notre ciel »[46]. Le Fils exalté enverra le don de Dieu promis, l’Esprit de Pentecôte. Aucune
vision plus restreinte du salut ne serait réellement chrétienne.
3.2 L’immensité de la vocation humaine à l’Amour divin
34. Tout ce qui précède ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur la vision
chrétienne de l’être humain. Celui-ci aussi est révélé dans la grandeur
surabondante de sa vocation, comme homo semper major. Le symbole de Nicée
ne comporte pas d’article anthropologique au sens strict, mais l’être humain,
dans sa vocation à la filiation divine en Jésus, pourrait être décrit comme
objet de la foi. Conformément aux Écritures Saintes, sa véritable identité
est révélée par le mystère du Christ et le mystère du salut comme mystère
au sens strict, analogue à celui de Dieu et du Christ, même si ceux-ci le
dépassent incomparablement.
35. Ce grand mystère est d’abord lié à celui du Dieu trinitaire et du Christ. La
révélation de la paternité de Dieu est la révélation du mystère de la paternité
tout court : « Je fléchis les genoux devant le Père, de qui toute paternité au
ciel et sur la terre tire son nom » (Ep 3,14). La révélation, chez Jean
notamment, du Fils Unique, est la manifestation de la filiation au sens propre,
qui découle ontologiquement du Premier Engendrement et qui relève du mystère de
la Trinité lui-même. Dans une forme d’inversion du rapport de compréhension,
c’est la paternité et la filiation trinitaires qui éclairent et purifient la
paternité, la maternité, la filiation et la fraternité humaines, situées
culturellement et marqués par le péché. La paternité divine manifeste tout
d’abord que la filiation est la caractéristique la plus profonde de l’être
humain : celui-ci est don donné à lui-même par Dieu le Père et il est appelé à
se recevoir de Dieu et, en Lui, des autres et du monde créé qui l’entoure pour
devenir toujours plus lui-même. Pour cette raison, son identité et sa vocation
sont révélées tout particulièrement dans le Christ, Fils incarné, « homme
parfait » qui, « dans la révélation même du mystère du Père et de son amour,
manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa
vocation »[47]. D’autre part, les êtres humains sont aussi appelés à participer au mystère de
la paternité, en étant père et mère charnels et spirituels. À l’image de la
paternité divine, les paternités et maternités humaines impliquent le don de
soi, une égalité entière entre les parents et les enfants, entre ceux qui
donnent et ceux qui reçoivent, mais aussi une différence et une taxis
entre eux. Enfin, il n’y pas d’anthropologie réellement chrétienne qui ne soit
pneumatologique. Seul l’Esprit « qui donne la vie » humanise entièrement l’être
humain, le rend fils et fille, père et mère. Analogiquement, on peut sans doute
parler d’une forme de co-spiration de l’Esprit, ou d’inspiration
conjointe[48], car nos actes et nos paroles les plus féconds le sont à la mesure de la
coopération qu’ils y offrent à l’Esprit, lequel à travers eux console, relève et
guide. Ainsi, la vérité et le sens de la paternité, de la filiation et de la
fécondité humaines doivent être révélés, car elles ne sont pas seulement des
réalités naturelles ou culturelles mais une participation à la manière d’être du
Dieu trinitaire. Elles ne peuvent être comprises en profondeur sans la
Révélation et, de même, ne peuvent être exercées sans la grâce. Voilà encore une
bonne nouvelle à redécouvrir aujourd’hui à partir de Nicée.
36. Dans un sens, l’homoousios lui-même peut avoir une portée
anthropologique. Un homme a donné accès à Dieu. Bien entendu, le Christ dit de
manière unique et propre : « Qui me voit, voit le Père » (Jn 14,9), du fait du
mystère de l’union hypostatique. Cependant, cette union unique en lui s’inscrit
en cohérence avec le mystère de l’être humain « créé à l’image et à la
ressemblance de Dieu » (Gn 1,27). Dans ce sens, et réellement, tout être humain
reflète Dieu, fait connaître et donne accès à Dieu. Le Pape Paul VI exprimait ce
paradoxe en soulignant d’une part que « pour connaître l’homme, l’homme
véritable, l’homme intégral, il faut connaître Dieu », mais d’autre part aussi
que « pour connaître Dieu, il faut connaître l’homme[49]. » Ces paroles doivent être prises au sens fort : non seulement chaque être
humain donne à voir l’image de Dieu, mais il n’est pas possible de connaître
Dieu sans passer par l’être humain. De plus, comme nous l’avons vu plus haut (§
22), l’Église aura recours à l’expression homoousios pour exprimer la
communauté de nature du Christ en tant que vrai homme, « né d’une femme » (Ga
4,4), la Vierge Marie, avec tous les êtres humains[50]. Les deux versants de cette double « consubstantialité » du Fils incarné se
renforcent l’un l’autre pour fonder de manière profonde, efficace, la fraternité
de tous les êtres humains. Nous sommes en un sens frères et sœurs du Christ
selon l’unité d’une même nature humaine : « Il lui fallut donc se rendre en tout
semblable à ses frères » (He 2,17 ; cf. 2,11-12). C’est ce lien en humanité qui
permet au Christ, consubstantiel au Père, de nous entraîner dans sa Filiation
avec le Père, et de faire de nous des enfants de Dieu, ses propres frères et
sœurs et, par conséquent, les frères et sœurs les uns des autres dans un sens
nouveau, radical et indestructible.
37. Le mystère de l’homme dans sa grande dignité est également éclairé par la
dimension eschatologique du symbole de Nicée. La foi en la « résurrection des
morts », aussi nommée « résurrection de la chair[51] », affirme la beauté du corps et la beauté de ce qui se vit dans le monde par
le corps, malgré la fragilité et les limites humaines. Elle affirme la valeur de
ce corps personnel concret qui sera ressuscité, transfiguré, mais se maintiendra
numériquement identique[52]. Elle pose ainsi une requête éthique : si les actes d’amour véritables posés
dans et par le corps en cette vie sont en quelque sorte les premiers pas de la
vie ressuscitée, le respect du corps implique de vivre droitement et avec pureté
tout ce qui touche celui-ci. Notons que les christologies qui ne posent pas une
pleine humanité du Christ risquent d’induire une conception du salut comme fuite
du corps et du monde, plutôt que comme pleine humanisation de l’homme. Or cet
ancrage dans le monde et le corps, créés bons et accomplis par la création
nouvelle, sont une des marques du christianisme. Nous retrouvons ici le lien
profond entre création et salut : tous les traits humains de Jésus, reçues de
Marie, sa mère, sont des bonnes nouvelles et invitent chaque être humain à
considérer ce qui fait de sa propre humanité concrète comme une bonne nouvelle.
38. En outre, l’espérance de la résurrection, comme aussi celle de la « vie
éternelle du monde à venir », atteste l’immense valeur de la personne
individuelle, qui n’est pas appelée à la disparition dans le néant ou dans le
tout, mais à une relation éternelle avec ce Dieu qui a élu chacun avant la
fondation du monde (cf. Ep 1,4). Déjà, l’élection d’Abraham, d’Isaac et de Jacob
et l’alliance irrévocable avec le peuple d’Israël révèlent l’alliance que Dieu
veut nouer avec toutes les nations et chaque être humain en une indestructible
fidélité. De même, l’incarnation du Fils éternel en un être humain singulier,
confirme, fonde et accomplit la dignité imprescriptible de la personne, en tant
que frère et sœur de Jésus Christ.
39. Notre monde a aujourd’hui un immense besoin de redécouvrir ces aspects du
mystère de l’homme qui le présentent dans sa grandeur, sans ignorer sa misère :
« L’homme passe infiniment l’homme », a dit Blaise Pascal[53]. Cette conviction chrétienne lance un défi à toutes les formes du
réductionnisme anthropologique. La foi en la paternité, la filiation et
l’inspiration féconde (« pneumatique ») des personnes humaines fonde et oriente
toute authentique conception de l’autonomie, de la liberté et de la créativité
de l’humain. Celles-ci prennent origine dans le Dieu, Père, Fils et Esprit
Saint, pour qui toute-puissance, sagesse et amour ne font qu’un dans le don de
soi. À l’inverse, la perte de la foi en la résurrection et en la vie éternelle
tournera au refus de donner sa vraie place au corps et à la valeur sacrée de
chaque individu dans son unicité et sa transcendance. Or le Créateur nous a
révélé ses intentions : « Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant
de gloire et d’honneur » (Ps 8,6).
3.3 La beauté du don de l’Église et du baptême
40. Les différents fils tissés jusqu’à présent se nouent dans les affirmations
ecclésiologique et sacramentelle du Symbole. La foi de Nicée signifie aussi
croire l’Église « une, sainte, catholique et apostolique » et au baptême « pour
la rémission des péchés ». L’Église et le baptême sont à célébrer comme des dons
eux aussi semper majora. Parce qu’ils confirment et manifestent la
plénitude surabondante de tout ce qui est exposé dans le reste du Symbole, ils
sont les objets paradoxaux de la foi : il s’agit de reconnaître en eux bien plus
que ce qui se voit. L’Église est une au-delà de ses divisions visibles,
sainte au-delà des péchés de ses membres et des erreurs commises par ses
structures institutionnelles, catholique et apostolique au-delà des
replis identitaires ou culturelles et des tourmentes doctrinales et éthiques qui
l’agitent sans cesse. En ce sens, il s’agit d’éviter tant le « monophysisme »
que « l’arianisme » ecclésiologiques : le premier sous-estime, voire occulte, la
dimension humaine de l’Église alors que le second escamote la dimension divine
de l’Église au profit d’une vision purement sociologique et fonctionnelle. De
même, dans la foi, le baptême est compris comme source d’une vie nouvelle et de
la purification du péché au-delà de ce qui est visible dans la vie imparfaite et
parfois éloignée de Dieu des baptisés eux-mêmes. Il déploie et surélève la
dignité inviolable de chaque être humain en le conformant au Christ, prêtre,
prophète et roi.
41. « Croire » l’Église et « confesser » un seul baptême, c’est recevoir un don
de foi qui permet de discerner au cœur même de leur dimension humaine et fragile
la présence agissante et sanctifiante de l’Esprit Saint. L’Esprit rend l’Église
une, sainte, catholique et apostolique et donne son efficacité au baptême.
« Croire » l’Église et le baptême, c’est également y percevoir en elle et à
travers elle l’action salvifique du Christ. De même que le Christ est le
sacrement fondamental de Dieu, sa présence réelle et agissante dans le symbole
réel de son humanité, de même, l’Église est « sacrement universel de salut »[54]. Enfin, « croire » l’Église et le baptême, c’est y discerner la présence du
Dieu trinitaire. L’Église est semper major, car elle trouve sa source et
ses fondations dans le Dieu trine et en elle vivent le Père, le Fils incarné, et
l’Esprit. En elle, la foi de Nicée est proclamée et célébrée – par le baptême et
les autres sacrements : « Gloire à toi, Père et Fils avec le Saint Esprit dans
la sainte Église[55] ».
42. À la croisée entre la sotériologie et l’anthropologie, croire l’Église et
confesser un seul baptême confirme et déploie l’immensité du salut et du mystère
de l’être humain. Le salut n’est pas un processus simplement individuel, mais
communautaire et surnaturel, reçu par la coopération d’autres hommes qui sont
nos prochains, et produisant un fruit spirituel pour d’autres qui sont aussi nos
prochains[56]. Ceci éclaire la nature de l’être humain qui n’est pas une monade isolée, mais
un être social, inséré dans une famille, une nation, une communauté de foi, et
dans l’humanité entière[57]. En conséquence, la foi en l’Église et au baptême implique que la rédemption
s’inscrive dans des actes et des structures visibles, liés à la dimension
corporelle de l’individu et du corps social, lesquels se déploient dans
l’histoire. Ceux-ci sont le lieu de l’Esprit vivificateur et inspirateur qui
œuvre entre leurs limites et au-delà pour rejoindre tout être humain. Au fond,
en témoignant de l’articulation de l’individu et du tout, de la corporéité et de
l’inscription dans l’histoire, l’Église s’inscrit dans l’œuvre du Christ qui
« manifeste pleinement l’homme à lui-même »[58]. De manière particulière, comme « sacrement d’unité[59] », l’Église professée par la foi de Nicée est le signe et l’instrument de
l’unité de tous ces aspects de l’humain et de l’humanité entière : la vision
chrétienne de l’homme fait éclater l’étroitesse de tous les réductionnismes qui
refusent soit la communauté au profit de l’individu, soit l’individu au profit
du collectif, et qui ne tendent pas vers l’unité.
4. Célébrer ensemble l’immensité du salut : la portée œcuménique de la foi de
Nicée et l’espérance d’une date commune pour la célébration de Pâques
43. La foi de Nicée, dans sa beauté et sa grandeur, est la foi commune à tous
les chrétiens. Tous sont unis dans la profession du symbole de
Nicée-Constantinople, même si tous ne confèrent pas à ce Concile et à ses
décisions un statut identique. L’année 2025 est donc une inestimable occasion de
souligner que ce que nous avons en commun est beaucoup plus fort,
quantitativement et qualitativement, que ce qui nous divise : ensemble, nous
croyons au Dieu trinitaire, au Christ vrai homme et vrai Dieu, au salut en
Jésus-Christ, selon les Écritures lues en Église et sous la motion de l’Esprit
Saint. Ensemble, nous croyons l’Église, le baptême, la résurrection des morts et
la vie éternelle. Le Concile de Nicée est tout particulièrement vénéré par les
Églises d’Orient, non pas simplement comme un concile parmi d’autres ou le
premier d’une série, mais comme le Concile par excellence, qui a
promulgué la confession de foi des « 318 pères orthodoxes ».
44. Par conséquent, 2025 est l’occasion pour tous les chrétiens de célébrer
ensemble cette foi et le Concile qui a permis de l’exprimer. L’œcuménisme
théologique, légitimement, concentre son attention et ses efforts sur les nœuds
non-résolus de nos différences, mais il est sans doute aussi fécond, sinon plus
fécond encore, de célébrer ensemble, pour avancer vers le rétablissement
de la communion plénière entre tous les Chrétiens, afin que le monde croie. Nous
avons déjà souligné comment l’insistance des différentes traditions chrétiennes
permet de mettre en valeur les richesses du texte du Symbole (cf. supra § 17).
La célébration commune de Nicée pourra être un parcours œcuménique
d’enrichissement mutuel qui offrira, chemin faisant, une meilleure compréhension
du mystère, une plus grande communion entre les traditions ecclésiales et un
attachement plus fort à la profession commune de la foi chrétienne.
45. Une des visées de Nicée fut d’établir une date commune de Pâques pour
exprimer l’unité de l’Église dans toute l’Oikoumenē. Malheureusement
aucune date commune ne fait jusqu’à nos jours l’objet d’un accord unanime. La
divergence des chrétiens à propos de la fête la plus importante de leur
calendrier crée des dommages pastoraux à l’intérieur des communautés, jusqu’à
diviser des familles, et suscite le scandale auprès des non-chrétiens, affectant
ainsi le témoignage rendu à l’Évangile. C’est pourquoi le Pape François, le
Patriarche Œcuménique Bartholomée, et d’autres chefs d’Église, ont de nombreuses
fois appelé de leurs vœux l’établissement d’une date commune de célébration de
Pâques. Or il se trouve que, en 2025, Pâques est à la même date pour l’Orient et
l’Occident. Ne serait-ce pas une occasion providentielle à saisir pour continuer
à célébrer la Passion et la Résurrection du Christ, la « fête des fêtes »
(Matines byzantines de Pâques), en communion dans toutes les communautés
chrétiennes ? Plusieurs propositions de date indivise assez réalistes existent.
Sur cette question l’Église catholique reste ouverte au dialogue et à une
solution œcuménique. Déjà dans l’appendice de la Constitution Sacrosanctum
Concilium, le concile Vatican II ne s’opposait pas à l’introduction d’un
nouveau calendrier et soulignait que cela devrait se faire « avec l’assentiment
de ceux à qui importe cette question, surtout des frères séparés de la communion
avec le Siège apostolique[60] ». Notons l’importance accordée par le monde oriental aux éléments posés dans
la postérité de Nicée pour déterminer la date de Pâques : Pâques doit être
célébrée « le premier dimanche suivant la pleine lune qui suit ou coïncide avec
l’équinoxe de printemps[61] ». Le dimanche évoque la résurrection du Christ le premier jour de la semaine,
tandis que la pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps rappelle l’origine
juive de la fête, le 14 Nissan, mais aussi la dimension cosmique de la
résurrection, puisque l’équinoxe de printemps évoque le moment où la durée du
jour l’emporte sur celle de la nuit et où la nature reprend vie après l’hiver.
46. Notons que c’est dans le cadre du Concile de Nicée que l’Église choisit de
manière décisive de se séparer de la date de la Pâque juive. L’argument selon
lequel le Concile a voulu se démarquer du judaïsme a été avancé, en se basant
sur les lettres de l’Empereur Constantin telles qu’elles sont rapportées par
Eusèbe, qui présentent notamment des justifications anti-juives pour le choix
d’une date de Pâques qui ne soit pas liée au 14 Nissan[62]. Cependant, il faut distinguer les motivations attribuées à l’Empereur de
celles des Pères du Concile. En tout cas, rien dans les canons du Concile
n’exprime ce refus de la manière de faire des juifs. L’on ne peut ignorer
l’importance pour l’Église de l’unité du calendrier et du choix du dimanche pour
exprimer la foi en la résurrection. Aujourd’hui, au moment où l’Église fête le
1700e anniversaire de Nicée, telles sont de nouveau les visées d’une
réflexion sur la date de Pâques. Au-delà de la question du calendrier, il serait
souhaitable de toujours mieux souligner le rapport entre Pâques et Pesaḥ
en théologie, dans les homélies comme dans la catéchèse, afin d’atteindre une
compréhension plus large et plus profonde du sens de Pâques.
47. Aux vigiles de Pâques et dans toute liturgie baptismale le symbole de
Nicée-Constantinople est proclamé dans sa forme la plus solennelle qui est
dialoguée. Cette profession de foi qui fonde la vie chrétienne individuelle et
la vie de l’Église trouvera toute sa force si elle est enracinée dans la
révélation faite à nos « frères aînés » et nos « pères dans la foi[63] » et vécue en communion visible par tous les disciples du Christ.
Chapitre 2
Le symbole de Nicée dans la vie des croyants
« Nous croyons comme nous baptisons ;
et nous prions comme nous croyons »
Prélude : la foi confessée dans la foi vécue
48. La foi professée à Nicée a un riche contenu dogmatique qui a été déterminant
pour l’établissement de la doctrine chrétienne. Cependant, l’enjeu de cette
doctrine était et demeure de nourrir et guider la vie du croyant. En ce sens, il
est possible de mettre en lumière un véritable trésor spirituel du Concile de
Nicée et de son Symbole, une « source d’eau vive » à laquelle l’Église est
appelée à puiser aujourd’hui et toujours. C’est pour protéger l’accès à cette
eau vive que saint Antoine accepta de quitter son ermitage pour aller témoigner
contre les ariens à Alexandrie[64]. Ce trésor se dévoile directement dans la manière dont la foi de Nicée naît de
la lex orandi et a nourri celle-ci[65]. D’ailleurs, les synodes ne se proposaient jamais de limiter leurs débats au
domaine spéculatif des énoncés de foi. Au contraire, les participants de ces
synodes avaient à cœur d’échanger sur la totalité de la vie ecclésiale, sur la
meilleure manière de s’imprégner au quotidien des vérités de foi et de les
pratiquer et, inversement, de régler leur enseignement sur l’orthopraxie
liturgique, sacramentelle, et même éthique[66]. Les évêques, en somme, emmenaient spirituellement avec eux dans les conciles
les membres du corps de l’Église, avec lesquels ils partageaient la vie de foi
et de prière, et avec lesquels ils chantaient la louange et la gloire du Père,
et du Fils et du Saint-Esprit, un seul Dieu. Ainsi, pour saisir la portée
spirituelle et théologale du dogme de Nicée, il convient d’explorer sa réception
dans la pratique liturgique et sacramentelle, la catéchèse et la prédication, la
prière et les hymnes du IVe siècle.
1. Baptême et foi trinitaire
49. Avant même que la doctrine de la Trinité ne se développe
théologiquement, la foi en la Trinité était au fondement de la vie
chrétienne célébrée dans le baptême. La profession de foi baptismale prononcée
dans la formule sacramentelle du baptême n’exprimait pas simplement un mystère
théorique mais la foi vivante qui se référait à la réalité du salut donné par
Dieu, et donc à Dieu lui-même. La foi baptismale donne une « connaissance » de
Dieu qui est en même temps un accès au Dieu vivant. Ainsi, l’apologiste
Athénagoras assure : « Il existe […] des hommes […] qui se laissent guider
uniquement par le désir de connaître le vrai Dieu et son Verbe, de savoir
ce qu’est l’unité du Fils avec le Père, ce qu’est la communion du Père avec le
Fils, ce qu’est l’Esprit, ce que sont l’union et la distinction des trois
personnes ainsi confondues, l’Esprit, le Fils et le Père. [67] »
50. C’est pourquoi la formule baptismale, dans laquelle le Père, le Fils et le
Saint-Esprit sont placés sur un pied d’égalité, constitue l’argument central
contre Arius et ses disciples, bien plus que le recours à un raisonnement
théologique. C’est le cas aussi bien chez Ambroise[68] et Hilaire[69] que chez Basile de Césarée, Grégoire de Nysse ou Éphrem le Syrien[70]. De même, Athanase insiste : le Fils n’est pas nommé dans la formule baptismale
parce que le Père ne suffit pas, ni simplement par hasard, mais parce que :
Il est le Verbe de Dieu et sa propre Sagesse et, qu’étant son rayonnement (apaugasma),
il est toujours avec le Père. Pour cette raison, quand le Père dispense la
grâce, il ne peut la donner qu’en son Fils, car le Fils est dans le Père comme
le rayonnement de la lumière ; […] Celui que le Père baptise, le Fils le baptise
aussi, et celui que le Fils baptise est sanctifié dans l’Esprit Saint[71].
51. Cela dit, pour Athanase et les Pères Cappadociens, il ne s’agit pas
simplement de prononcer la formule trinitaire, mais le baptême suppose la foi en
la divinité de Jésus-Christ. Ainsi, l’enseignement de la foi droite est
nécessaire et fait partie de la pratique conforme du baptême. Athanase cite
comme fondement la formulation du précepte en Mt 28,19 : « Allez... enseignez...
et baptisez »[72]. C’est pourquoi Athanase – tout comme Basile et Grégoire de Nysse[73]
– nient toute efficacité au baptême arien, car ceux qui considèrent le Fils
comme une créature n’ont pas une juste conception de Dieu le Père : celui
qui ne reconnaît pas le Fils ne comprend pas non plus le Père et ne « possède »
pas le Père, car le Père n’a jamais commencé à être Père[74].
2. Le Symbole de Nicée comme confession de foi
52. Non seulement la confession de foi nicéenne est l’expression de la foi
baptismale mais il se peut qu’elle provienne directement d’un symbole baptismal
de l’Église de Césarée en Palestine (si on prête foi à ce que dit Eusèbe[75]). Trois ajouts auraient été faits : «…c’est-à-dire de la substance du Père »,
« engendré, non pas créé », et « consubstantiel au Père (homoousios) ».
De cette manière, il est établi avec une bouleversante clarté que celui qui « a
pris chair pour nous les hommes ... et a souffert » est Dieu, homoousion tō
Patri. Pourtant, tout en étant « de la substance du Père » (ek tēs
ousias tou Patros), il est distinct du Père en tant qu’il est son Fils. Par
lui, qui « s’est fait homme pour notre salut », nous savons ce que signifie le
fait que le Dieu trinitaire « est amour » (1 Jn 4,16). Ces ajouts sont
essentiels et marquent l’originalité propre et l’apport déterminant de Nicée,
mais il convient en même temps de souligner sans cesse que le Symbole en tant
que symbole de foi s’enracine originellement dans le cadre liturgique, qui est
son milieu vital et donc le cadre où il prend tout son sens. Il ne s’agit
certainement pas d’un exposé théorique mais d’un acte de la célébration
baptismale, qui s’enrichit du reste de la liturgie et l’éclaire à son tour. Nos
contemporains peuvent parfois avoir l’impression que le credo est un exposé très
théorique parce qu’ils en ignorent l’enracinement liturgique et baptismal.
53. Dans ce sens, la foi de Nicée reste et demeure un « symbolon »
(« ekthesis », « pistis »), c’est-à-dire une confession de foi.
Elle peut se distinguer d’une interprétation ou d’une définition théologique
technique plus précise visant à protéger la foi (« oros », « definitio »),
comme l’a par exemple proposée le concile de Chalcédoine. En tant que
symbole, la Confession de Nicée est une formulation positive et une
explicitation de la foi biblique[76]. Elle ne prétend pas être une nouvelle définition, mais bien une évocation de
la foi des apôtres : « Cette foi, le Christ l’a donnée, les
apôtres l’ont annoncée, les Pères de toute notre Oikoumenē
réunis à Nicée l’ont transmise (paradosis).[77] »
54. De même, c’est en raison de son statut de confession de foi et précisément
de la foi apostolique, et non en tant que définition ou enseignement, que le
symbole de Nicée est considéré dans la période suivante (au moins jusqu’à la fin
du Ve siècle) comme la preuve décisive de l’orthodoxie[78]. C’est pourquoi il est utilisé comme texte de base lors des conciles suivants.
Ainsi, Éphèse et Chalcédoine se veulent être l’interprétation du Symbole nicéen
: ils soulignent leur accord avec Nicée et s’opposent aux prises de positions
dissidentes vis-à-vis de Nicée. Lorsque la Confession de foi de
Nicée-Constantinople a été lue au concile de Chalcédoine, les évêques réunis se
sont exclamés : « Voici notre foi. C’est dans celle-ci que nous avons été
baptisés, c’est dans celle-ci que nous baptisons ! Le pape Léon croit ainsi,
Cyrille croyait ainsi. [79] » Notons que la profession de foi peut être exprimée au singulier – « je
crois » - mais qu’elle est souvent au pluriel : « nous croyons » ; de même, la
prière du Seigneur est au pluriel : « Notre Père… ». Ma foi radicalement
personnelle et singulière s’inscrit tout aussi radicalement dans celle de
l’Église, comme communauté de foi. Le symbole de Nicée et l’original grec du
symbole de Nicée-Constantinople s’ouvrent par le pluriel « nous croyons »,
« pour témoigner que dans ce “Nousˮ, toutes les Églises étaient en communion, et
que tous les chrétiens professaient la même foi. [80] »
55. Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent, jusqu’à aujourd’hui,
« Nicée » – « la confession de foi des 318 pères orthodoxes[81] » – est considéré dans les Églises orientales comme le concile par
excellence, c’est-à-dire non pas comme « un concile parmi d’autres », ni même
comme « le premier d’une série », mais comme la norme de la foi
chrétienne droite. Les « 318 Pères » sont explicitement mentionnés dans la
liturgie de Jérusalem. En outre, dans les Églises orientales, contrairement aux
Églises Occidentales, Nicée a également reçu sa propre commémoration dans le
calendrier liturgique. Il convient de noter que les questions disciplinaires
traitées à Nicée reçoivent dès le début une pondération différente de celle de
la confession de foi. Alors que les décisions majoritaires sont possibles pour
les questions disciplinaires, c’est la tradition apostolique qui est
déterminante pour les questions de foi : « En ce qui concerne la date de Pâques,
les Pères ont écrit : “Il a été décidéˮ. En ce qui concerne la foi, ils n’ont
pas écrit : “Il a été décidéˮ, mais : “Ainsi croit l’Église catholique !ˮ[82]»
3. Approfondissement dans les prédications et les catéchèses
56. Les Pères d’Orient et d’Occident ne se contentaient pas d’argumenter à
l’aide de traités théologiques, mais clarifiaient également la foi nicéenne dans
des prédications destinées au peuple, afin de prémunir les fidèles contre les
interprétations erronées, généralement désignées par le terme « arien » – même
si les « homoïens » d’Occident à l’époque d’Augustin se distinguaient
fortement des « néo-ariens » d’Orient dans leur argumentation. La conception
théologique selon laquelle le Fils n’est pas « vrai Dieu du vrai Dieu », mais
seulement la créature la plus éminente du Père et qu’il n’est pas coéternel avec
lui, a été reconnue par les Pères comme une menace persistante, et combattue,
même indépendamment d’adversaires concrets. Le prologue de l’évangile de Jean
offrait justement l’occasion d’expliquer la relation entre le Père et le Fils,
ou entre « Dieu » et sa « Parole », conformément à la confession de Nicée[83]. Chromace d’Aquilée (ordonné évêque en 387/388, mort en 407), par exemple,
transmet à ses fidèles la foi nicéenne sans utiliser de terminologie technique[84]. Même les Pères de l’Église qui nourrissent un scepticisme de principe à
l’égard des « débats théologiques », prennent une position très claire contre
« l’impiété arienne » (« asebeia », « impietas ») : les Ariens ne
comprennent pas « l’engendrement éternel du Fils », ni « l’égalité-éternité
originelle » du Père et du Fils[85]. Ils se trompent même de monothéisme en acceptant une deuxième divinité
subordonnée. Leur culte est donc perverti et erroné.
57. Ainsi, dans ses catéchèses, Jean Chrysostome explique la foi baptismale qui
avait été valablement formulée à Nicée[86], et distingue la foi droite non seulement de la doctrine homéenne, mais aussi
de la doctrine sabellienne : les chrétiens croient en Dieu comme « une essence,
trois hypostases ». Augustin argumente de manière similaire dans les
instructions aux candidats au baptême[87]. L’Oratio catechetica magna de Grégoire de Nysse, dont les parties les
plus volumineuses sont consacrées au Verbe de Dieu éternel et incarné, peut être
considérée comme le chef-d’œuvre d’une catéchèse manifestement destinée à ceux
qui devraient la relayer, à savoir des évêques et des catéchistes. Le thème
n’est pas seulement la relation entre le Fils-Parole et le Père (chap. 1.3.4),
mais aussi la signification de l’incarnation en tant qu’action rédemptrice
(chap. 5). Grégoire veut faire comprendre que la naissance et la mort ne
sont pas quelque chose d’indigne de Dieu ou d’incompatible avec sa perfection
(chap. 9 et 10), et explique l’incarnation par le motif de l’amour de Dieu pour
les hommes. Mais il insiste surtout sur le fait que le baptême chrétien est
accompli dans la « Trinité incréée », c’est-à-dire dans les trois Personnes
coéternelles. Ce n’est qu’ainsi que le baptême confère la vie éternelle et
immortelle : « En effet, celui qui s’assujettit à un être créé place, sans en
avoir conscience, son espoir de salut dans cet être et non dans la divinité. [88] »
58. Le cœur du débat est bien une question existentielle plus qu’un problème
théorique : le baptême est-il lié à « l’instauration dans la filiation »
(Basile), au « commencement de la vie éternelle » (Grégoire de Nysse), au
« salut du péché et de la mort » (Ambroise[89]) ? Cela n’est possible que si le Fils (et le Saint-Esprit) est Dieu. Ce
n’est que lorsque Dieu lui-même devient « l’un de nous » qu’il existe une
possibilité réelle pour l’homme de participer à la vie de la Trinité,
c’est-à-dire d’être « divinisé ».
4. Prière au
Fils et doxologies
59. La foi de Nicée sert de règle à la prière personnelle et liturgique[90] et ces dernières sont marquées par Nicée. Bien que l’« invocation du nom
du Seigneur (Jésus) » soit déjà attestée dans les écrits du Nouveau Testament[91] et que, surtout, les hymnes au Christ[92] témoignent de l’offrande de louange et d’adoration, la prière au Fils
devient un lieu de controverse dans la crise arienne.
60. Se réclamant de certains textes d’Origène[93], des ariens du IVe siècle, mais aussi des adeptes d’Origène des Ve
et VIIe siècles, s’opposent notamment à la prière liturgique
au Fils. Les ariens avaient intérêt à mettre en avant les passages de
l’Écriture qui montrent Jésus lui-même en prière, afin de souligner son
infériorité par rapport au Père. En combinaison avec la conception
(apollinariste), également répandue chez les ariens, selon laquelle le Logos
prend la place de l’âme de Jésus, la subordination du Logos au Père
semblait ainsi prouvée. Pour eux la prière adressée au Fils était donc
inappropriée. En faveur de leur point de vue, les ariens argumentaient en
utilisant la formulation traditionnelle de la doxologie, qui revêt une
grande importance, notamment dans les liturgies orientales : « Gloire et
adoration au Père par (dia / per) le Fils
dans (en / in) l’Esprit Saint.[94] » La différence des prépositions a été invoquée comme preuve d’une différence
essentielle des personnes. Les ariens cherchaient à recourir à la
liturgie – reconnue comme instance de témoignage de la foi de l’Église – afin de
prouver ce qu’ils considéraient ainsi comme théologiquement justifié.
61. En revanche, les défenseurs de Nicée ont affirmé que la pratique de la
prière devait correspondre à la foi, mais que celle-ci
correspondait à son tour au baptême. Or, la formule du baptême manifeste
l’égalité de dignité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il en résulte que la
prière – qu’elle soit personnelle ou liturgique – peut et doit également
s’adresser au Fils. Bien qu’ils n’aient pas rejeté l’ancienne formule de la
doxologie, mais défendu son sens orthodoxe[95], ils ont préféré d’autres formulations et prépositions : « tō Patri, kai…kai »,
« tō Patri, dia… sun », qui sont également attestées dans
la tradition biblique et liturgique[96]. Basile se réfère ainsi, entre autres, à la très ancienne hymne « Phōs hilăron
» (peut-être du IIe siècle), dans lequel le Père, le Fils et
l’Esprit sont l’objet d’un chant d’adoration[97].
62. Le principe : « Nous devons croire comme nous sommes baptisés, et donc
adorer comme le baptême le permet ![98] » s’applique également à la prière personnelle. L’invocation de Jésus –
telle qu’elle a été pratiquée sous des formes de prière à Jésus, surtout dans
les milieux monastiques – est explicitement justifiée par l’invocation de l’«
homoousios tō Patri ». « Quand nous disons “Jésusˮ, explique Chenouté, un
père copte du Ve s., la très sainte Trinité est également nommée ».
Lorsque le Fils incarné est invoqué, il n’est pas invoqué séparément du Père et
du Saint-Esprit. Celui qui ne veut pas prier Jésus suit la « nouvelle
impiété » ; il ne comprend rien à la Trinité, il ne comprend rien non plus à
« Jésus[99] ». La manière dont quelqu’un prie montre ce qu’il croit.
63. La justesse dans la prière possède un enjeu sotériologique. C’est Grégoire
de Nysse qui lance ici l’avertissement le plus percutant : l’espérance du
croyant est plus qu’une morale au sens actuel du terme, mais elle s’exprime
aussi dans la prière. L’espérance est tournée vers la divinisation opérée par
Dieu : si « la première grande espérance n’est plus présente chez ceux qui se
laissent entraîner dans une erreur de doctrine », cela a pour conséquence
« qu’il n’y avait aucun avantage à se comporter correctement à l’aide des
commandements ». Et Grégoire poursuit :
Nous sommes donc baptisés comme nous l’avons reçu, au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit ; nous croyons comme nous sommes baptisés ; il convient en effet que la foi soit en accord avec la confession ; nous
glorifions comme nous croyons, car il n’est pas naturel que la gloire combatte
la foi. Mais ce en quoi nous croyons, cela aussi nous le glorifions. Aussi,
puisque la foi est dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, que la foi, la
gloire et le baptême se tiennent mutuellement, à cause de cela, on ne distingue
pas non plus la gloire du Père, du Fils et du Saint-Esprit[100].
64. L’adjonction de la doxologie trinitaire à la fin de chaque psaume, dont
l’ordre est attribué au pape Damase (mort en 384 après J.-C.), peut être
comprise dans cette ligne. Cassiodore remarque que toutes les hérésies sont
ainsi réduites à néant :
À tous les psaumes et cantiques, la mère Église ajoute la louange de la Trinité.
Elle rend hommage à Celui de qui viennent ces paroles, et coupe ainsi l’herbe
sous le pied des hérésies de Sabellius, Arius, Mani et autres[101].
C’est notamment le cas de l’ajout « sicut erat in principio... », qui a été compris comme une profession de foi anti-arienne sans équivoque[102].
5. La théologie dans les hymnes
65. Les hymnes, enfin, sont un lieu d’expression de la foi de Nicée qui a trouvé
place dans la vie du croyant, et qui a été informée par Nicée. Ainsi de
nombreuses hymnes se terminent par la doxologie trinitaire. D’ailleurs, la
confrontation avec l’hérésie arienne a joué un rôle important dans le
développement de la poésie chrétienne. C’est d’abord en Orient qu’ont été
composés des hymnes et des chants[103], qui voulaient répondre aux poèmes de propagande des groupes hétérodoxes. Quant
à l’Occident, on peut même dire que sa contribution théologique la plus
importante au IVe siècle a été la composition d’hymnes.
66. Outre Jean Chrysostome, c’est surtout Éphrem le Syrien (306-373) qui, dans
sa poésie théologique (qui a marqué après toute la littérature syriaque
classique) et notamment dans les hymnes De fide et De nativitate,
a chanté le mystère du Christ : le Christ est Dieu, malgré la faiblesse de sa
nature humaine ; la kénose du Christ n’est un si grand miracle que pour le
motif qu’il est Dieu et qu’il reste Dieu dans ce dépouillement[104]. C’est avec une profonde piété qu’Éphrem décrit les relations intra-trinitaires
: le Fils est dans le Père « avant tous les temps », il est « égal au
Père et pourtant distinct de lui.[105] » Il utilise volontiers l’image du soleil, de sa lumière et de sa chaleur, qui
sont liés dans l’unité[106]. Il ne cesse de faire référence aux trois « noms » auxquels correspond la
réalité divine et dans lesquels « consistent notre baptême et notre
justification.[107] » Tout cela, il le fait en explicitant bien le contexte de la foi nicéenne
puisqu’il cite « le glorieux synode », en faisant clairement référence à Nicée[108]. D’autres théologiens-poètes syriaques du Ve siècle, comme
Isaac d’Antioche et Mar Balaï, ont composé des sermons et des chants métriques
s’adressant au Christ lui-même, le glorifiant explicitement avec des attributs
divins : « Louange à Lui [Jésus-Christ] et à Son Père et gloire au
Saint-Esprit » – « Louange à Lui, le Très-Haut, qui est venu nous racheter,
louange à Lui, le Tout-Puissant, dont un mouvement de tête décide du monde.[109] »
67. Hilaire a appris le chant des hymnes pendant son exil et l’a introduit en
Gaule ; Ambroise confesse également avoir adopté la « coutume de l’Orient »,
lors des conflits ardus avec les ariens à Milan en 386-87. Le Fils est
« toujours Fils, comme le Père est toujours Père. Sinon, comment le Père
pourrait-il porter ce nom s’il n’avait pas de Fils ? », souligne
Hilaire dans l’hymne Ante saecula qui manens où il déploie la « double
naissance du Fils, qui est né du Père, pour le Père qui ne connaît pas de
naissance, et né de la Vierge Marie, pour le monde ».
68. Contrairement aux hymnes hautement théologiques d’Hilaire, qui n’ont guère
trouvé leur place dans la liturgie, les hymnes d’Ambroise sont rapidement
devenues célèbres partout et ont puissamment encouragé la foi, selon la visée
qu’Ambroise lui-même leur donne. Son hymne du matin Splendor paternae gloriae
pourrait être considérée comme un commentaire de la Confession de Nicée.
Particulièrement percutantes sont les strophes finales de certaines hymnes, qui
soulignent l’égalité du Fils avec le Père : « Aequalis aeterno Patri... »,
ou qui s’adressent directement au Fils : « Iesu, tibi sit gloria ... cum
Patre et almo Spiritu ». Dans une hymne très courte, dont Ambroise est
peut-être l’auteur, la confession du Dieu unique en trois personnes est presque
mise en vers comme une phrase-clé pour les fidèles : « O lux beata trinitas,
et principalis unitas... ».
69. Outre Ambroise, c’est surtout Prudence (Aurelius Prudentius Clemens,
348-415/25) dont les hymnes sont importantes pour la christologie. Le poète
espagnol est particulièrement marqué par la vraie divinité et la vraie humanité
du Rédempteur, dans lesquelles se fonde notre nouvelle création :
Le Christ est la figure du Père, et nous sommes la figure et l’image du Christ ;
Nous sommes créés à la ressemblance du Seigneur par la bonté du Père,
Le Christ devait venir à notre ressemblance après les siècles.
Christus forma Patris, nos Christi forma et imago ;
Condimur in faciem Domini bonitate paterna
Venturo in nostram faciem post saecula Christo[110].
Chapitre 3
Nicée comme évènement théologique
et comme évènement ecclésial
70. Célébrer Nicée, c’est saisir comment le Concile demeure nouveau, de cette
nouveauté eschatologique inaugurée au matin de Pâques, qui continue de
renouveler l’Église 1700 ans après l’évènement de la résurrection. En effet, il
s’agit bien d’un évènement au sens fort, d’un tournant qui s’inscrit dans
la trame de l’histoire avec ses concaténations mais en est également un point de
concentration, qui introduit une réelle nouveauté et exerce une influence
décisive sur la suite. Selon les langues, le terme « évènement » renvoie à ce
qui advient, l’ad-ventus (avènement, Avent, avvenimento), ou ce
qui provient de (évènement, event), à la production d’un fait (acontecimiento)
ou à l’apparition du nouveau (Ereignis). Ainsi, Nicée est l’expression
d’un tournant qui advient, provient, se produit, se montre dans la pensée
humaine, induit par la Révélation de Dieu un et trine en Jésus, qui féconde
l’esprit humain en lui donnant de nouveaux contenus et de nouvelles capacités.
Il est un « Évènement de Sagesse ». De même, Nicée, qui sera qualifié après coup
de premier concile œcuménique, est également l’expression d’un
tournant dans la manière dont l’Église se structure et veille à son unité et à
la vérité de sa doctrine par la même confession de foi : il est un « Évènement
ecclésial ». Évidemment, dans les deux cas, la nouveauté s’appuie sur un
processus préalable, sur une réalité donnée, celle-là même qu’elle transforme.
L’Évènement de Sagesse présuppose la culture humaine, l’assume pour ainsi dire,
pour la purifier et la transfigurer. L’Évènement ecclésial s’appuie sur
l’évolution précédente des structures de l’Église des premiers siècles,
elle-même adossée à l’héritage juif et gréco-romain.
71. Or la source de ces deux évènements en est un autre, d’initiative divine,
l’évènement de la Révélation de Dieu, l’« évènement Jésus-Christ ». Celui-ci est
la Nouveauté par excellence : le Novus est le Novum[111]. Il s’agit de la Révélation elle-même, alors que l’Évènement de
Sagesse et l’Évènement ecclésial font partie de la transmission de ce don
primordial[112]. En celui-ci, Dieu fait alliance avec un peuple pour faire alliance avec tous
les peuples, il assume une humanité pour assumer toute l’humanité. Nicée est
l’expression et le fruit de la Nouveauté de la Révélation, et c’est pour cela
que le Concile de 325 offre un paradigme pour chaque étape de renouvellement de
la pensée chrétienne, comme aussi des structures de l’Église. Bien plus, parce
que Nicée naît du Novum qu’est le Christ, il pourra être compris de
manière toujours renouvelée et féconder continuellement la vie de l’Église. Il
s’agit donc d’explorer dans un premier temps l’évènement source, l’évènement
Jésus-Christ, pour ensuite examiner ses conséquences sur la pensée humaine et
sur les structures de l’Église.
1. L’évènement Christ : « Personne n’a vu Dieu. Le Fils monogène l’a révélé »
(Jn 1,18)
1.1 Le Christ, Verbe Incarné, révèle le Père
72. Le symbole de Nicée est l’expression, la mise en mots, d’un accès inouï,
assuré et pleinement salvifique de Dieu, offert par l’évènement Jésus-Christ.
Dans l’incarnation, la vie, la Passion, la Résurrection et l’Ascension au Ciel
du Verbe consubstantiel au Père, témoignée dans les Saintes Écritures et dans la
foi de l’Église apostolique, Dieu semper major offre, de sa propre
initiative, une connaissance et un accès à lui-même que lui seul peut donner, et
qui sont eux-mêmes au-delà de ce que l’homme peut imaginer et même espérer[113]. En effet, le Nouveau Testament transmet à l’Église de tous les temps, au fil
des siècles, le témoignage que Jésus a donné de lui-même et que le Père, dans la
lumière et la puissance de l’Esprit Saint, a confirmé une fois pour toutes[114] dans la Pâque de la mort, de la résurrection et de l’ascension au ciel du
Fils fait chair, de l’effusion pentecostale de l’Esprit, à la plénitude des
temps, « propter nos et propter nostram salutem ». Ainsi, s’il est vrai
que « personne n’a jamais vu Dieu », la foi de l’Église atteste que Jésus,
« Fils unique du Père, l’a révélé » (Jn 1,18 ; cf. Jn 3,16.18 et 1 Jn 4,9). Ce
témoignage se résume dans la réponse que Jésus donna à l’apôtre Philippe, qui
lui demandait : « Seigneur, montre-nous le Père et cela suffit ». Or Jésus lui
répond :
Philippe, il y a si longtemps que je suis avec toi et tu ne me connais pas ?
Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : montre-nous le Père ? Ne
crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles
que je vous dis, je ne vous les dis pas de moi-même ! Au contraire, c’est le
Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres œuvres (Jn 14,8-11).
73. Si Jésus fait voir le Père, tout en lui est accès au Père. Le Christ en son humanité fragile et vulnérable est l’expression véritable de
Dieu le Père : « le voir, c’est voir le Père » (cf. Jn 14, 9)[115]. Il en résulte que Dieu ne s’est pas d’abord caché au Golgotha sous
l’impuissance du Crucifié pour se manifester ensuite, au matin de Pâques, enfin
lui-même, enfin tout-puissant. Au contraire, l’amour de Jésus-Christ qui se
laisse crucifier et qui, en souffrant la mort physique, descend jusqu’au lieu où
le pécheur est prisonnier du péché (le šəʾôl ou les enfers), est la révélation de l’Amour du Dieu trinitaire qui
n’opère pas par la force, mais qui est justement plus fort que la mort et le
péché. C’est justement devant la croix que Marc fait dire à un centurion païen :
« En vérité, c’était le Fils de Dieu » (Mc 15,39). Comme le pape Benoît XVI le
déclarait dans son livre sur Jésus :
La croix est le vrai « sommet ». C’est le sommet de l’amour « jusqu’au bout »
(Jn 13,1). Sur la croix, Jésus est « au sommet », à la même hauteur que Dieu qui
est amour. C’est là qu’on peut le « connaître », qu’on peut comprendre le « Je
suis ».
Le buisson ardent, c’est la croix. La plus haute prétention de révélation, le
« Je suis » et la croix de Jésus sont indissociables[116].
74. La connaissance de Dieu par le Christ n’offre pas un simple contenu
doctrinal mais elle met en communion salvifique avec Dieu, car elle fait pour
ainsi dire plonger dans le cœur même de la réalité, ou mieux, de la personne à
connaître et aimer. Le prologue de l’évangile de Jean est une expression de la
plus haute contemplation du mystère de Dieu qui nous a été manifesté en Jésus
pour que nous entrions, dans la grâce de l’Esprit Saint répandu « sans mesure »
(Jn 3,34), dans la vie même du Dieu trinitaire révélé par le Logos. La figure de
ce Logos fait écho non seulement au Logos divin discerné par la pensée grecque,
mais aussi, plus profondément encore, à l’héritage vétérotestamentaire de la
Parole de Dieu, le Dābār témoigné par l’Ancien Testament. Car déjà la
révélation faite à Israël et transmise dans l’Ancien Testament introduit à une
connaissance de Dieu radicalement neuve qui inaugure cet événement de
Révélation. Ce Logos, le Fils, « Dieu de Dieu », qui est depuis le commencement
avec Dieu, comme sa Parole qui l’exprime en toute vérité, il est lui aussi Dieu
comme le Père. Dans la plénitude des temps, le Logos « s’est fait chair et a
dressé sa tente parmi nous » (Jn 1,14), de sorte que ceux qui l’accueillent
reçoivent « le pouvoir (exousia) de devenir enfants de Dieu » (Jn 1,14).
Admettant les êtres humains à la pleine communion avec lui, le Logos fait chair
les a ainsi « rendus participants de la nature divine.[117] »
75. Cette connaissance et cette communion inouïes et authentiques de Dieu
opèrent également une communion salvifique avec les frères et sœurs en humanité
aimés par Dieu, car l’évènement Jésus Christ est inséparablement communion avec
Dieu et avec tout être humain. La foi de l’Église apostolique témoigne de cette
communion en Christ et par le Christ, au sein de la communion trinitaire :
Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons
vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, le
Verbe de vie [...], nous vous l’annonçons à vous aussi, afin que vous aussi vous
soyez en communion avec nous. Notre communion est avec le Père et avec le Fils,
Jésus-Christ. Nous vous écrivons ces choses pour que notre joie soit parfaite (1
Jn 1,1.3-4).
La tradition théologique souligne que la charité nous fait aimer Dieu et notre
prochain, en tant qu’il est ami de Dieu[118]. Nous pouvons penser que les trois vertus théologales nous introduisent dans
une connaissance de Dieu et une communion avec lui plénières et radicalement
nouvelles. Mais selon l’accès renouvelé à Dieu qu’elles offrent, se donnent par
surcroît un chemin de foi vers la fraternité, une espérance inouïe dans le
prochain et cette charité qui pardonne tout et pousse à se donner soi-même.
1.2 « Nous, nous avons la pensée (νοῦς) du Christ » (1 Co 2,16) : analogie de la
création et analogie de la charité
76. L’évènement Jésus Christ, en nous donnant accès à Dieu de manière
incomparable, suscite et implique à la fois une « voie » d’accès qui est elle
aussi nouvelle et unique : accueillir dans la foi et avec son intelligence le
Symbole, mieux encore, accueillir le Dieu qui s’y manifeste, fait entrer dans le
regard du Christ consubstantiel au Père, dans la « pensée » ou la mens
même du Christ et dans sa relation au Père et à autrui. « Nous, nous avons la
pensée du Christ (noun Christou) », s’exclame saint Paul (1 Co 2,16)[119]. C’est un cri d’admiration. Ici encore Nicée montre l’immensité du don de Dieu.
Mais Nicée indique également qu’il s’agit de la seule voie pour avoir accès à ce
qu’exprime le Symbole, tant dans sa res que dans sa lettre. Nous ne
pouvons contempler le Dieu de Jésus-Christ, la rédemption qui nous est offerte,
la beauté de l’Église et de la vocation humaine, et y participer, sans « avoir
la pensée du Christ ». Non pas simplement en connaissant le Christ, mais en
entrant dans l’intelligence même du Christ, au sens d’un génitif subjectif. L’on
ne peut adhérer pleinement au Symbole ni le confesser de tout son être sans « la
sagesse qui n’est pas de ce monde », « révélé par l’Esprit Saint », lui qui seul
« sonde les profondeurs de Dieu » (cf. 1 Co 2,6.10) :
Dans la foi, le Christ n’est pas seulement celui en qui nous croyons – la
manifestation la plus grande de l’amour de Dieu –, mais aussi celui auquel nous
nous unissons pour pouvoir croire. La foi non seulement regarde vers Jésus, mais
regarde du point de vue de Jésus, avec ses yeux : elle est une participation à
sa façon de voir. […] La vie du Christ, sa façon de connaître le Père, de
vivre totalement en relation avec lui, ouvre un nouvel espace à l’expérience
humaine et nous pouvons y entrer[120].
77. Cela est possible parce que le Christ voit le Père à travers ses yeux
humains et nous invite à entrer dans son regard. En revanche, ce chemin requiert
une profonde transformation de notre pensée, de notre mens, qui doit
passer par une conversion et une surélévation : « Ne vous conformez pas au monde
présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence »
(Rm 12,2). Or c’est cela précisément, qu’apporte l’évènement Jésus Christ :
l’intelligence, la volonté, les capacités d’aimer sont littéralement sauvées par
la Révélation professée à Nicée. Elles sont purifiées, orientées, transfigurées.
Elles revêtent une force nouvelle, des formes et un contenu inouïs. Nos facultés
ne peuvent entrer en communion avec le Christ qu’en étant conformées à lui, dans
un processus qui rend les croyants « semblables (symmorphizomenos) » (Ph
3,10) au Crucifié Ressuscité jusque dans leur mens. Cette pensée nouvelle
se caractérise par le fait d’être inséparablement connaissance et amour. Comme
le souligne le Pape François : « Saint Grégoire le Grand a écrit qu’“amor
ipse notitia estˮ, l’amour même est une connaissance, il porte en soi une logique nouvelle.[121] » Elle est connaissance miséricordieuse et pleine de compassion, tant la
miséricorde est la substance de l’Évangile[122] et reflète le caractère même du Dieu de Jésus-Christ, professé dans le
symbole de Nicée. La mens renouvelée implique une compréhension de
l’analogie revisitée à la lumière du mystère du Christ. Elle tient ensemble ce
que nous pourrions nommer l’« analogie de la création », en vertu de laquelle on
perçoit la présence divine dans la paix de l’ordre cosmique[123], et ce que nous pourrions nommer « l’analogie de la charité »[124]. Cette analogie, pour ainsi dire inversée, face au mystère de l’iniquité et de
la destruction mais éclairée par le mystère plus fort de la Passion et de la
Résurrection du Christ, discerne la présence du Dieu d’amour au cœur de la
vulnérabilité et la souffrance. Cette sagesse du Christ est décrite par la 1ère
Épître aux Corinthiens comme celle qui « a rendu folle la sagesse du monde » :
Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer
l’Évangile, et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine, ce qui
rendrait vaine la croix du Christ. Car le langage de la croix est folie pour
ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous,
il est puissance de Dieu. L’Écriture dit en effet : « Je mènerai à sa perte la
sagesse des sages, et l’intelligence des intelligents, je la rejetterai. » Où
est-il, le sage ? Où est-il, le scribe ? Où est-il, le raisonneur d’ici-bas ? La
sagesse du monde, Dieu ne l’a-t-il pas rendue folle ? Puisque, en effet, par une
disposition de la sagesse de Dieu, le monde, avec toute sa sagesse, n’a pas su
reconnaître Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par cette folie qu’est
la proclamation de l’Évangile (1 Co 1,17-25).
Cette conversion et cette transfiguration ne peuvent se faire sans la grâce.
L’intelligence humaine se révèle constitutivement ordonnée à la grâce et
s’appuie sur la grâce pour être pleinement elle-même, tout comme l’homme
lui-même[125]. C’est cela qui permet de comprendre comment les facultés humaines rendues à
elles-mêmes et transfigurées par l’évènement Jésus-Christ sont portées à leur
accomplissement en se déployant sous les modes de la foi, de l’espérance et de
la charité, prémices dans ce monde de la vie de gloire : « Ayez en vous les
dispositions qui étaient en Jésus-Christ » (Ph 2,5).
1.3 L’entrée théologale dans la connaissance du Père par la prière du Christ
78. Comment entrer dans la « pensée du Christ » qu’offre l’évènement Jésus
Christ ? Parce que Jésus Christ n’est pas un simple enseignant ou un guide, mais
qu’il est la révélation et la vérité mêmes de Dieu, ses destinataires sont plus
que les simples destinataires d’une instruction. Parce que la personne du
Ressuscité n’est pas un objet du passé, celui qui veut comprendre le mystère
intime de Jésus, la révélation de Dieu dans son humanité, doit se laisser
inclure dans sa relation de communion avec le Père divin. Cela se fait par la
vie théologale, la lecture des Écritures en Église, la prière personnelle et
liturgique, notamment l’Eucharistie.
79. La participation par la grâce à la prière du Christ constitue la voie royale
de la reconnaissance du Christ qui décèle la connaissance du Père (« Mon Père et
votre Père », en Jn 20,17). Joseph Ratzinger / le pape Benoît XVI déclare :
« Parce que la prière constitue le centre même de la personne de Jésus, la
participation à sa prière devient la condition pour le connaître et le
reconnaître.[126] » En d’autres termes, la connaissance du Christ commence par l’entrée dans
l’acte de prière de Jésus de celui qui le reconnaît : « Là où il n’y a pas de
relation avec Dieu, celui qui n’est profondément rien d’autre que relation à
Dieu, au Père, ne peut pas non plus être véritablement connu ni compris.[127] » Et ce qui vaut pour chaque croyant vaut aussi pour l’Église dans son
ensemble. Ce n’est qu’en tant que communauté de prière inscrite dans la relation
de Jésus au Père que l’Église est le « nous » qui reconnaît le Christ tel qu’il
est évoqué en Jn 5,18-20[128] et en 1 Jn 3,11. Il s’agit là, de nouveau, de l’enjeu des affirmations
christologiques du Symbole : « L’affirmation centrale du dogme, “le Fils est
consubstantiel au Père, de même nature que le Pèreˮ, qui résume tout le
témoignage des anciens conciles, transpose simplement le fait de la prière de
Jésus en un langage philosophique et théologique spécialisé, rien de plus.[129] » La foi exprimée par Nicée naît de la relation de Jésus au Père et y fait
entrer, afin d’offrir aux êtres humains et à l’Église la participation à la
connaissance et à la communion de Jésus avec le Père et le Saint Esprit.
2. L’évènement de Sagesse : la nouveauté pour la pensée humaine
2.1 La Révélation féconde et élargit la pensée humaine
80. En posant la foi christologique et trinitaire, le symbole de Nicée s’inscrit
dans un mouvement de fécondation de la pensée humaine, d’« élargissement de la
raison[130] », par la Révélation dans son processus de transmission. En effet, l’accès
incomparable à Dieu qu’est l’évènement Jésus Christ, comme aussi la
participation à la pensée (phronēsis) et à la prière du Christ, ne
peuvent pas ne pas avoir un impact déterminant sur la pensée et le langage
humains. L’on assiste à un « Évènement de Sagesse », par lequel ceux-ci doivent
être élargis et le sont par la Révélation pour qu’elle puisse s’y exprimer. Et
dans ce mouvement même, ils témoignent justement qu’ils sont capables d’être
conduits au-delà d’eux-mêmes. Dans l’histoire de cet évènement de Sagesse, Nicée
constitue un tournant majeur, « une voie nouvelle et vivante » (He 10,20), dont
Pavel Florensky avait recueilli l’importance décisive, qu’il avait exprimée en
paroles vigoureuses :
L’on ne peut se rappeler sans un tremblement sacré l’instant unique et à jamais
significatif par son importance philosophique et dogmatique, l’instant où le
tonnerre de l’« Homoousios » a pour la première fois retenti au-dessus de
la Ville de la Victoire [Nicée]. Il s’agissait non pas d’une question
particulière de théologie, mais d’une définition radicale que l’Église du Christ
se donnait d’elle-même. Ce seul terme exprimait non seulement le dogme
christologique, mais encore procurait une évaluation spirituelle des règles de
la raison. Le rationalisme y était mis à mort. Pour la première fois, le
principe nouveau de l’activité rationnelle y était proclamé urbi et orbi[131].
Le Logos qu’est le Christ incarné, Fils du Père dans la communion du
Saint-Esprit, manifeste qu’il est lui-même la mesure de tout logos humain, qu’il
peut vivifier et élargir, mais dont il peut aussi être le juge, le mettant en
crise (krisis) au sens strict du terme. En effet, il est frappant
d’observer comment Athanase, en un jugement lapidaire, considère que le refus
par Arius de la plénitude de la figure du Christ constitue une négation de la
raison, du logos tout court : « Niant le Logos de Dieu, ils se trouvent
justement privés de tout logos.[132] » Au fond, l’évènement de Sagesse produit par l’évènement Jésus Christ
introduit la raison et la pensée humaines à sa vocation la plus haute et la plus
véritable. Elle la rend pour ainsi dire à elle-même. De sorte que, nous le
verrons, l’homoousios n’est pas simplement un spécimen
d’interculturalité, mais il appartient à un événement de sagesse prototypique,
inaugural et fondateur de l’Église dans son apostolicité.
81. L’évènement Jésus Christ rend possible une nouvelle ontologie, aux
dimensions du Dieu un et trine et du Logos incarné. La raison humaine s’était
déjà laissé ouvrir et pénétrer par le mystère, rendu accessible par la
révélation de la création ex nihilo (2 Ma 7,28 ; Rm 4,17), de la
transcendance ontologique d’un Dieu pourtant plus intime à chaque créature
qu’elle ne l’est à elle-même[133]. Elle se laisse de nouveau renouveler de fond en comble lorsque vient
l’informer le sens profond donné à toute chose par le mystère du Dieu trinitaire
qui est amour (1 Jn 4,8.16) – altérité, relation, réciprocité, intériorité
mutuelle se manifestent désormais comme la vérité ultime et les catégories
structurantes de l’ontologie. L’être s’en trouve illuminé et se montre encore
plus riche qu’il ne le semblait dans ses itérations philosophiques antérieures,
aussi profondes et complexes qu’elles aient été. En outre, Nicée, qui part de la
question christologique et sotériologique pour exposer le Dieu Père, Fils et
Esprit Saint, reflète bien la manière dont la phénoménalité christologique
motive l’inventio de la doctrine trinitaire, par la dynamique entre
l’ordre de la découverte, christologique et pneumatologique, placée en son cœur,
et l’ordre de la réalité trinitaire, qui le structure. Nicée accélère la prise
en compte par la réflexion chrétienne de la théo-logie ou exploration de
la « Trinité immanente ». Puisque le mystère du Christ, réalisé dans l’histoire
et dans une humanité singulière, donne accès à Dieu, la matière et la chair, le
temps et l’histoire, la nouveauté, la finitude et la fragilité mêmes, gagnent
leurs lettres de noblesse et leur consistance pour dire l’être. Au fond, l’être
aussi, par la Révélation, se dévoile semper major.
82. L’évènement de Sagesse implique, évidemment, un renouvellement de
l’anthropologie, tant l’évènement Jésus Christ jette une lumière nouvelle sur
l’être humain. Évoquons succinctement ces aspects développés dans le premier
chapitre du présent document[134]. L’anthropologie de la Bible oblige à revisiter la conception de l’être humain
à partir de la noblesse de la matière et de la singularité. Le Créateur de la
Genèse a voulu chaque individu et l’a « gravé sur ses paumes » (Is 49,16). En
outre, Jésus appelle chaque être humain son frère et sa sœur, parce que
l’évènement de l’incarnation a ennobli chaque être humain, individuellement, de
manière insurpassable et imprescriptible. Lorsque le symbole de
Nicée-Constantinople déclare que Jésus-Christ, en tant que véritable homme, est
le Fils de Dieu et, en tant que tel, « égal » à Dieu le Père, chaque être humain
– quels que soient ses origines, sa nation, ses talents ou sa formation – se
voit attribuer une dignité qui oblige l’intelligence humaine à penser de manière
nouvelle, à dépasser les limites d’une vision simplement naturelle de l’humain.
Il existe une dignité proprement christologique des êtres singuliers.
83. De manière analogue à ce qui advient lorsqu’il s’agit d’entrer dans la
« pensée du Christ », l’élargissement de l’ontologie et de l’anthropologie
implique une conversion et peut buter sur la résistance de la pensée, habituée à
ses limites. L’évènement de Sagesse oblige à prendre en compte non seulement
« l’analogie de la création » mais aussi « l’analogie de la charité ». Devant la
kénose de l’Incarnation et de la Passion du Christ, devant la souffrance et le
mal qui touchent l’humanité, l’esprit humain bute sur ses limites. La question
s’impose : pourquoi le Père tout-puissant semble-t-il avoir d’abord observé
d’en-haut le chemin de croix du Fils souffrant et n’a-t-il agi qu’après sa
mort ? Pourquoi n’a-t-il pas exaucé immédiatement la prière du Jardin des
Oliviers, présentée avec la sueur du sang de la peur : « Père, s’il est
possible, que cette coupe passe loin de moi... » (Mt 26,39b) ? En fait,
l’égalité d’essence avec le Père du Fils incarné et crucifié, professée dans le
symbole de Nicée, invite la pensée humaine à se convertir et à convertir le sens
du terme « toute-puissance ». Le Dieu trinitaire n’est pas d’abord
toute-puissance et ensuite seulement amour ; sa toute-puissance est plutôt
identique à l’amour qui s’est manifesté en Jésus-Christ. En effet, ce que vit
Jésus, tel que cela est attesté dans le NT est – par l’action de l’Esprit – la
révélation dans l’histoire, sur le plan de l’économie trinitaire, de la relation
et de la réalité intra-trinitaires immanentes à Dieu[135]. Dieu est vraiment Dieu lorsque sa toute-puissance d’amour n’impose rien mais,
plutôt, donne à son partenaire d’alliance, l’homme, la capacité de se lier à lui
de manière libre et gratuite. Dieu est en correspondance avec son propre être
lorsqu’il ne convertit pas par la force l’humanité pervertie par le péché, mais
qu’il la réconcilie avec lui à travers les évènements de Bethléem et du
Golgotha. En tout cela, nos manières de voir humaines sont appelées à se laisser
profondément transfigurer par le Christ : « Vos pensées ne sont pas mes
pensées » (Is 55,8 ; voir aussi Mt 16,23).
2.2 Un évènement culturel et interculturel
84. Si l’évènement Jésus Christ renouvelle la pensée comme recréée selon un
évènement de Sagesse, elle renouvelle et purifie, féconde et élargit également
la culture humaine. De fait, le Concile de Nicée, qui met en mots la foi
chrétienne pour l’Église répandue parmi toutes les nations, dans la langue
grecque et en adoptant un terme issu de la philosophie grecque, constitue
indubitablement un évènement culturel. Il est nécessaire que la foi assume la
culture humaine, comme elle assume la nature humaine, tant nature et culture
sont constitutives de l’être humain et, par-là, sont inséparables. « L’être humain est toujours culturellement situé[136] », rappelle le Pape François. Parce que l’homme est un être relationnel et
social qui s’inscrit dans l’histoire, c’est à travers la culture qu’il arrive à
la plénitude de son humanité[137]. De plus, la Révélation, qui établit la communion entre Dieu et l’être humain,
a besoin de destinataires qui aient leur consistance propre afin de l’accueillir
en pleine liberté et responsabilité. D’où l’élection du peuple des douze tribus d’Israël, qui a dû se
distinguer de tous les autres peuples et apprendre laborieusement à séparer,
pour son propre compte d’abord, la vérité de l’erreur. D’où Jésus-Christ, en qui le Fils de Dieu se fait vraiment homme, un Hébreu, un
Galiléen, dont l’humanité porte les marques culturelles du parcours historique
de son peuple. D’où l’Église, constituée de toutes les nations. Ainsi, s’appuyant sur le principe thomasien, « la grâce présuppose la nature »,
et en le prolongeant, le Pape François ajoute : « la grâce présuppose la
culture, et le don de Dieu s’incarne dans la culture de ceux qui le reçoivent.[138] »
85. Cette assomption de la culture par la Révélation implique une certaine
réciprocité d’influence entre les deux, malgré leur asymétrie. De même que l’esprit humain est capable d’être transfiguré, la culture a pour
vocation de se laisser illuminer par la Révélation, jusqu’à pouvoir accueillir,
au prix d’une conversion, la sagesse du Crucifié : « La force de l’Évangile [doit imprégner]
les modes de pensée, les critères de jugement, les normes d’action ; en un mot,
il est nécessaire que toute la culture de l’homme soit pénétrée de l’Évangile.[139] » Cependant, la foi n’est pas un élément étranger aux cultures dans lesquelles elle est vécue,
car depuis la Pentecôte, la foi chrétienne comporte la certitude qu’il n’est pas
une seule culture humaine qui n’attende et qui n’espère son accomplissement de
la visite du Verbe de Dieu, lequel a répandu lui-même les semina Verbi[140] dans toutes les cultures en attente de sa visitation. C’est par là
qu’elles deviennent pleinement elles-mêmes. C’est donc de l’intérieur, à partir de leur ouverture vers ce qui est vrai, bon et beau, que la Révélation
les purifie et les élève. Mais alors, les cultures et les langues assumées et
transfigurées par la nouveauté de la révélation permettent d’enrichir et de
préciser l’expression de la foi. Cette réciprocité a pu être constatée à travers
les siècles dans la fécondation de la langue, de la poésie, de l’art par la
Bible, dont la compréhension s’en trouve elle-même illuminée comme « en retour »
par sa diffraction en d’autres mots et visions du monde. C’est également ce qui
se passe à Nicée dans l’emploi de l’homoousios, qui précise la
compréhension par l’Église de la filiation de Jésus-Christ tout en transfigurant
le terme qu’elle assume.
86. Dans cette assomption de la culture, une place unique et providentielle doit
être réservée au rapport entre la culture hébraïque et la culture grecque. L’homoousios
paraîtra ici comme le fruit de la synthèse particulièrement forte qui se produit
entre la culture sémitique, déjà touchée et transfigurée par la Révélation, mais
aussi modelée par les rencontres et les désaccords avec des peuples d’autres cultures – Égyptiens,
Cananéens, Mésopotamiens, Romains –, et le monde grec. Pendant plus de trois
siècles avant la naissance de Jésus et jusqu’au troisième siècle de notre ère,
l’enseignement et la vie intellectuelle du judaïsme hellénistique avaient été
exprimés non seulement en araméen, mais aussi en grec, avec la Septante comme
centre de gravité. L’enseignement de Jésus a été consigné et transmis en grec,
afin de pouvoir communiquer l’Évangile à tous dans la langue universelle du
bassin méditerranéen, mais aussi parce que le Nouveau Testament s’inscrit dans
l’histoire du rapport du peuple juif avec la culture et la langue grecques.
Comme dans la Septante, les influences se font dans les deux sens. Par exemple,
le panta ta ethnē de Mt 28,19 traduit l’antique idée juive de toutes les nations qui
affluent vers Jérusalem, et măthētēs (disciples-élèves) traduit l’araméen talmudim. Réciproquement, les
évangélistes ont recours au grec des tribunaux pour interpréter le procès et la
passion de Jésus, l’auteur des Actes s’inspire de la poésie épique de l’Odyssée
pour narrer les voyages de Paul et ce dernier fait souvent écho à des éléments
de philosophie stoïcienne, de même que certains passages du NT portent les
traces d’un vocabulaire ontologique grec[141].
C’est tout naturellement que le christianisme naissant continue cette synthèse
des pensées sémitique et grecque, en dialogue avec des auteurs
judéo-hellénistiques et greco-romains, pour interpréter les Écritures et
développer sa propre pensée. La richesse de l’expression grecque du Judaïsme et
du Christianisme peut donc faire penser qu’il y a une dimension fondatrice dans
cette greffe de la culture grecque sur la culture hébraïque, qui permettra
d’expliciter en grec l’unicité et l’universalité du salut en Jésus-Christ face à
la raison philosophique[142]. Évidemment, toute une portion de chrétiens, notamment hors des frontières de
l’Empire Romain, n’appartenait pas à cette aire culturelle, et a déployé son
génie propre au service de l’expression de la foi dans le monde de langue
syriaque, de l’Arménie et de l’Égypte, mais elle aussi se situa vis-à-vis de la
pensée grecque, en se laissant tout à la fois inspirer par elle et en prenant
ses distances vis-à-vis d’elle.
87. Le Concile de Nicée n’est pas simplement un évènement d’assomption et de
fécondation de la culture par la Révélation, mais il est aussi l’occasion de
rencontres interculturelles. Or cette rencontre des cultures est un aspect
majeur de l’évènement de Sagesse que suscite l’évènement Jésus Christ, tant la
Révélation relie et met en communion les cultures entre elles, en rendant
possible le plus haut degré d’interculturalité possible. L’échange et la
fécondation mutuelle fait déjà constitutivement partie de toutes les cultures,
qui n’existent que dans le processus par lequel elles sont en contact les unes
avec les autres, et ainsi évoluent, s’enrichissent, et parfois s’opposent et se
mettent en danger réciproquement. Cependant, la puissance de renouvellement de
la Révélation apporte à ces relations un saut qualitatif en intensité. D’une
part, en donnant accès à la source transcendante du vrai et du bien, à la racine
de l’universalité de l’esprit humain qui rend possible leur communication[143], elle ouvre pleinement l’espace commun de leurs rencontres et de leurs
échanges. D’autre part, l’évènement Jésus-Christ est puissance de conversion et
de libération vis-à-vis des forces d’enfermement et d’opposition à l’autre
contenues dans la vie des peuples et les cultures. Ce n’est qu’une culture pour
ainsi dire « sauvée » qui peut se dépasser sans se perdre, et s’ouvrir aux
autres pour en être enrichie comme pour les enrichir. L’écoute de la Parole de
Dieu et de la Tradition, donc de la parole de l’Autre, accoutume pour ainsi dire
l’esprit et les cultures à l’écoute des autres[144]. Cela aboutit non pas à une juxtaposition extérieure et pauvre des cultures, ni
à une fusion dans un tout indistinct, mais à une interculturalité sauvée et
surélevée où chaque culture se dépasse tout en étant fortifiée dans sa propre
consistance, en vertu d’une forme de périchorèse des cultures[145]. C’est pourquoi il s’agit de tenir à la fois la réelle nouveauté et la
« surélévation » des cultures, comme le fait que ceux qui acceptent l’Évangile du Christ préservent leur identité culturelle et
s’y trouvent fortifiés[146] : « Les chrétiens ne se différencient des autres hommes ni par un pays, ni
par une langue ni par des vêtements […]. Tout en se conformant aux coutumes
locales pour le vêtement, la nourriture et le reste de la vie, ils manifestent
la constitution admirable et, de l’avis de tous, paradoxale de leur république »[147].
88. L’interculturalité est en fait la manifestation d’une problématique plus
profonde, qui en constitue le soubassement : le dessein divin de l’unité des
peuples et du chemin ardu de cette unité dans la diversité. Il s’agit d’un des
fils conducteurs majeurs de l’histoire du salut biblique. Le récit typique de la
tour de Babel en Gn 11,1-9 souligne la tension entre la richesse de la
multiplicité des langues et des cultures, d’une part, et la capacité de l’être
humain de faire éclater l’unité de la maison commune, de brouiller le logos
de l’oikos. L’appel d’Abraham, la promesse qui lui est faite qu’en
lui seront « bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12,3), est la première
réponse salvifique de Dieu. Les prophètes prolongent cette promesse pour les
peuples de la terre en annonçant l’unité de toutes les nations autour du peuple
élu et de la Loi[148]. Le Nouveau Testament présente cette unité comme réalisée dans le Messie, lui
qui, par son sang et dans sa chair « détruit le mur de séparation, la haine »
entre Israël et les nations, pour, « à partir des deux, créer en lui un homme
nouveau » (Ep 2,14.15b). Ainsi, les nations sont associées au peuple de
l’Alliance, en étant « admis au même héritage, membres du même corps, associés à
la même promesse » (Ep 3,6). Cela est possible en Christ, l’universel singulier,
qui tient ensemble altérité et identité, et qui assume toute l’humanité en
assumant une humanité généalogiquement et culturellement située. L’antitype de
Babel, la Pentecôte des langues de feu en Ac 2,1-18, est la manifestation et la
réalisation de cette puissance de communion du logos humain qui procède
ultimement du Logos de Dieu[149]. Ce n’est pas dans l’unité fusionnelle d’une seule langue que l’Esprit Saint
opère la communion de ces juifs de langues et de cultures différentes, mais en
inspirant la compréhension de l’autre, image de ce que sera l’Église qui
rassemble toutes les nations, toute tendue vers son accomplissement, lorsque les
« 144000 marqués du sceau » des douze tribus d’Israël et « la foule immense que
nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, tribus, peuples et langues »
réaliseront la pleine communion eschatologique de l’humanité dans la Jérusalem
nouvelle (Ap 7,4.9).
89. La dimension interculturelle dont Nicée est l’expression fondatrice peut
aussi être considérée comme un modèle pour la période contemporaine où l’Église
est présente dans une variété d’aires culturelles : cultures asiatiques,
africaines, latino-américaines, océaniques, nouvelles cultures populaires
européennes, sans compter la nouvelle forme culturelle portée par la révolution
digitale et la technoscience. Tous ces univers culturels contemporains
paraissent éloignés de la culture grecque ancienne qui a accueilli de manière
inaugurale la forme d’inculturation dogmatique réalisée dans l’évènement de
Nicée. D’une part, il s’agit en effet de souligner que c’est en ces catégories
grecques que s’est exprimée de manière normative l’Église et que celles-ci sont
donc solidaires pour toujours du dépôt de la foi[150]. D’autre part, cependant, dans la fidélité aux termes issus de cette époque et
en y trouvant sa racine vive, l’Église peut s’inspirer des Pères de Nicée pour
chercher aujourd’hui des expressions significatives de la foi dans les
différentes langues et contextes. Avec la grâce de l’Esprit Saint, les
communautés chrétiennes, leurs théologiens et leurs pasteurs, en communion
effective avec le magistère, ont à faire eux-mêmes, dans les situations
culturelles et les idiomes qui sont les leurs, un travail analogue à celui de
jadis pour affirmer l’unité radicale du Fils et du Père. Nicée demeure un
paradigme de toute rencontre interculturelle et de la possibilité de recevoir ou
de forger des manières nouvelles authentiques d’exprimer la foi apostolique.
2.3 La fidélité créative de l’Église et le problème de l’hérésie
90. La perception de Nicée comme moment de l’évènement de Sagesse suscité par
l’évènement Jésus-Christ permet de relire avec plus de finesse l’histoire des
hérésies auxquelles répond le Concile. L’hérésie, qui s’écarte
intentionnellement du témoignage apostolique et en mutile l’intégrité, est perçu
par les Pères comme la nouveauté qui quitte le chemin de la regula fidei
et de la traditio et, par cela même, s’éloigne de la réalité historique
du Christ. Le reproche fait à Arius est précisément d’introduire du nouveau[151]. Pourtant, au regard du novum inauguré par l’évènement Jésus Christ, il
peut être éclairant de comprendre l’hérésie aussi comme une résistance
fondamentale, passive et active, à la nouveauté surnaturelle qui ouvre la pensée
et les cultures humaines au-delà d’elles-mêmes – nouveauté de grâce dont
témoigne le nouveau langage de la foi exprimé par l’homoousios. Il est
presque inévitable que l’être humain, de toutes ses facultés, en tout son être,
résiste à cette nouveauté inouïe qui le convertit et le transfigure. Il s’agit
d’une résistance et donc d’un péché du « vieil homme » (Rm 6,6 ; voir aussi Ep
2,15), de la difficulté à entièrement concevoir et accepter l’immensité de Dieu
et de son amour, ainsi que l’immense dignité de l’être humain. Le chemin lent et
tâtonnant mais prudent que prennent les premières tentatives de comprendre le
sens du mystère du Crucifié et de sa glorieuse résurrection, le passage du
kérygme apostolique aux premiers pas de ce que nous nommons aujourd’hui
théologie, s’accompagne donc de tensions constantes et d’une pluralité
d’opinions qui s’écartent de la plénitude du témoignage apostolique et qui sont
désignées par le terme d’hétérodoxie, comme aussi celui d’hérésie.
91. Plutôt que de parcourir de manière exhaustive les hérésies des premiers
siècles, mettons en lumière cette résistance au novum de la Révélation à
travers quelques exemples. Souvent considérée comme la première hérésie, la
doctrine rationaliste des gnostiques affadit le réalisme du mystère de
l’incarnation par le docétisme et, en réduisant l’histoire sainte à des récits
mythologiques, elle nie l’intégralité du salut humain, relégué sur le plan d’une
spiritualité éthérée. Irénée, dans son combat contre la gnose, souligne qu’il
s’agit d’une résistance à concevoir Dieu capable et désireux d’entrer lui-même
dans l’histoire, de s’unir lui-même jusqu’au bout à l’humanité, jusqu’à se faire
réellement homme et connaître la mort. Il s’agit d’une résistance à croire en la
beauté du singulier, de la matière et de l’histoire, elle aussi révélée dans
l’évènement Jésus Christ et à laquelle rendent témoignage l’Ancien et le Nouveau
Testament. Les Pères n’hésitent pas par la suite à recourir à des concepts et à
des cadres de pensées issues de la philosophie grecque pour affiner la pensée
chrétienne. Ce faisant, ils sont obligés de faire éclater des cadres de pensée
incapables par eux-mêmes de permettre de concevoir que le Logos puisse se faire
chair, que le Logos ou le Nous (νοῦς) qui expriment la
divinité soient égaux à la source dont ils proviennent, ou que soit possible une
multiplicité qui ne contredise pas l’unité divine et qui soit même bonne au sein
de cette unité. Les tenants des hérésies christologiques et trinitaires sont
ceux qui ne sont pas parvenus à laisser élargir ces cadres de pensée, quels que
soient par ailleurs leur richesse et leur apport réel pour penser la doctrine
chrétienne, par l’immensité inouïe du nous (νοῦς) Christou.
C’est encore la même difficulté que l’on retrouve dans le jeu des courants
christologiques en Orient tout au long du IIIe siècle, qui prépare en
un sens la voie à l’hérésie arienne. Il faut éviter de caricaturer les
positions variables des protagonistes de ces courants, car ce sont avant tout
des penseurs individuels, mais tous se débattent avec les mêmes difficultés à
tenir la richesse trinitaire du Dieu un et la radicalité de la pleine assomption
d’une humanité singulière par le Fils égal au Père : certains font face à une
théologie trinitaire à tendance subordinationniste et à une christologie qui
risque d’être docétiste, alors que d’autres résistent à des formes de modalisme
trinitaire et d’adoptianisme. Ce sont ces mêmes résistances des anciens schémas
de pensée qui s’expriment donc, quelques décennies avant Nicée, dans
l’enseignement d’Arius : il lui est inconcevable que le Fils, autre que le Père,
qui naît et qui meurt, puisse être co-éternel et égal à Dieu, sans porter
atteinte à l’unité et à la transcendance divines et donc à la rédemption des
hommes.
92. Ces résistances sont bien compréhensibles, tant elles sont humaines. Elles
témoignent comme en négatif de l’incroyable lumière projetée sur la perception
de Dieu et de la vocation divine de l’être humain par l’évènement Jésus-Christ
et de la non moins incroyable transfiguration de la pensée et de la culture
humaines déployée dans l’évènement de Sagesse qui en découle. Rien de ce qui est
humain n’est aboli, mais l’accès à l’immensité de la vérité de Dieu exige la
Révélation de Dieu par lui-même et la grâce qui convertit et surélève les
facultés et les réalisations de l’être humain. Dans un sens, la résistance des
hérésies nous permet de voir Nicée dans toute sa force de nouveauté
incommensurable.
3. L’évènement ecclésial : le concile de Nicée, premier concile œcuménique
3.1 L’Église s’inscrit par sa nature et par ses structures dans l’évènement
Jésus Christ
93. Le Concile de Nicée n’est pas seulement un évènement dans l’histoire de la
doctrine, mais il pourrait bien être compris comme un évènement ecclésial,
correspondant à une étape fondamentale dans le processus de structuration de
l’Église. Au cours d’un long cheminement à la suite de Nicée, le « Concile
œcuménique » est devenu le phare d’orientation et de décision doctrinale et
juridique de toute l’Église, son lieu de communion et d’autorité ultime. Peut-on
y voir, du point de vue de sa structuration, un tournant qui oriente la suite de
la vie de l’Église, similaire à ce que représente le symbole de Nicée du point
de vue de l’accès à Dieu (évènement Jésus Christ) et de la pensée humaine
(évènement de Sagesse) ? Ce serait le cas si le Concile œcuménique en tant que
tel pouvait être considéré comme un fruit et une expression spécifiquement
ecclésiale de l’évènement Jésus Christ.
94. Dès ses commencements, l’Église a conscience de s’inscrire dans la
continuité du peuple élu, assemblée convoquée (qāhāl/ekklēsia – cf. Dt
5,22) pour vivre de la Torah révélée et pour rendre un culte au Seigneur son
Dieu. Elle aussi se considère comme « une race élue, un sacerdoce royal, une
nation sainte, un peuple acquis pour proclamer les louanges » (1 P 2,9) du Dieu
d’Israël. Dans les Actes des Apôtres elle est présentée comme une communauté de
discernement de la volonté de Dieu dont l’acteur principal est l’Esprit Saint[152], guidée par des hommes qui prolongent le rôle des douze apôtres, « témoins de
la Résurrection » (Ac 1,22). Dans un sens, c’est dans la communauté ecclésiale,
en tant que corps du Christ, que l’on peut discerner « les dispositions du
Christ » (Ph 2,5 ; voir supra, § 77).
95. Cette conscience s’exprime chez les premiers Pères, qui lient la structure
et le fonctionnement de l’Église à sa nature profonde et à son appel. Ainsi, au
début du IIe siècle, Ignace d’Antioche souligne que les diverses
Églises particulières se considèrent solidairement comme expression de l’unique
Église. Ses membres sont synodoi, compagnons de voyages, où chacun est
appelé à jouer son rôle selon l’ordre divin qui établit l’harmonie, exprimée par
la synaxe eucharistique. Ainsi, par son unité et son ordre, l’Église chante la
louange de Dieu le Père dans le Christ, tendue vers son unité plénière qui sera
réalisée dans le Royaume de Dieu. Cyprien de Carthage approfondit cet
enseignement au milieu du IIIe siècle en précisant le fondement
synodal et épiscopal sur lequel doit reposer la vie de l’Église : rien ne se
fait sans l’évêque (nihil sine episcopo), mais de même, rien ne se fait
sans « votre conseil » (celui des prêtres et des diacres) ni sans le
consentement du peuple (nihil sine consilio vestro et sine consensu plebis)[153]. Unité liée à l’unité de la Trinité, inspiration du Saint-Esprit, marche
ensemble (synodos) vers le Royaume, fidélité à la doctrine des Apôtres et
à la célébration de l’Eucharistie, ordre et harmonie des ministres et des
baptisés, avec un rôle particulier conférée aux évêques : ces éléments
manifestent que l’Église, jusque dans ses structures et son fonctionnement,
s’inscrit profondément dans l’évènement Jésus Christ, comme son moment et son
expression privilégiée. En célébrant Nicée, c’est tout le processus synodal qui
précède et qui trouve avec le Concile Œcuménique un point d’orgue que nous
recueillons et célébrons.
3.2 La collaboration structurelle des charismes de l’Église et le chemin vers
Nicée
96. Ces éléments propres à la nature théologale de l’Église, qui ne peuvent être
que le fruit de l’évènement de la Révélation, se sont manifestés dans le
cheminement historique qui mena au Concile œcuménique de Nicée à travers
l’interaction de trois charismes, appliqués au gouvernement, à l’enseignement,
et à la prise de décisions communautaires dans l’Église : tout d’abord la
hiérarchie tripartite, puis les enseignants, et le synode. Un ordre de
préséance, qui pose les apôtres en premier lieu, paraît bien établi dans le
corpus paulinien : « Dieu a établi dans l’Église premièrement des apôtres,
secondement des prophètes, troisièmement des docteurs… » (1 Co 12,28 ; cf. Ep
4,11). La première caractéristique est le développement progressif de la
hiérarchie tripartite évêques, prêtres et diacres. Celle-ci, qui supervisait les
prophètes et les enseignants itinérants des 150 premières années du
christianisme (souvent appelés « apôtres », en un sens général), en vint à les
supplanter dans une certaine mesure, et devint la structure locale de
gouvernement de l’Église. La figure de l’évêque, notamment, exprime la dimension
apostolique de l’Église. À partir du IVe siècle se forment des
provinces ecclésiastiques qui manifestent et promeuvent la communion entre les
Églises particulières, avec à leur tête un métropolite.
97. Les chrétiens étant appelés à annoncer le Christ et à transmettre son
enseignement et l’enseignement des Apôtres à toutes les nations, il n’est pas
étonnant que la deuxième caractéristique du christianisme de la période
pré-nicéenne soit l’importance décisive des écoles et des enseignants, qui
prodiguaient un enseignement aux catéchumènes et qui interprétaient les
Écritures. Ils pouvaient être ministres ordonnés ou non. Pélage, par exemple,
enseignait à Rome au début du Ve siècle alors qu’il n’était pas
prêtre, tout comme Mélanie l’ancienne et Rufin à Jérusalem, et Jérôme à
Bethléem, puis à Rome. Origène lui-même, a dirigé l’École d’Alexandrie, après la
mort de son père Léonidas, avant d’être ordonné.
98. Enfin, après la deuxième moitié du IIe siècle et au début du IIIe
siècle, notamment en Asie Mineure, le synode prend une place de plus en plus
importante pour trancher d’importantes questions de discipline, de culte et
d’enseignement. Au début, les synodes étaient locaux, mais l’envoi de lettres
synodales communiquant leurs décisions (acta) aux autres Églises,
l’échange de délégations et les demandes de reconnaissance mutuelle, témoignent
de la « ferme conviction que les décisions prises sont l’expression de la
communion avec toutes les Églises », en tant que « chaque Église locale est
expression de l’Église une et catholique.[154] » Notons que le synode possède une dimension juridique ou canonique très nette,
en tant qu’institution qui légifère. Les documents et collections de canons
synodaux sont rassemblés dans les archives épiscopales, en particulier à Rome :
le développement du droit canonique et celui des synodes vont de pair et
s’accompagnent mutuellement. Il n’est pas possible d’attribuer uniquement à la
légitimation de l’Église par Constantin un tournant vers une Église
institutionnalisée de type étatique. Perçue comme une polis (cité) qui
reflète la Cité de Dieu, la Jérusalem céleste (cf. Is 60 et 62 ; 65,18 ; Ap 3,12
; 21,1-27), ou comme un synodos au sens littéral du peuple qui prend le
même chemin que Jésus vers le Royaume, avec celui-ci à leur tête comme leur
proestos, ou président, l’Église est constitutivement « politique » et
institutionnelle[155].
99. Ces trois charismes ont évolué différemment et de manière propre au sein de
l’Église mais aucun n’était séparé ou émancipé des deux autres. Bien que des
tensions soient naturellement apparues entre eux et en leur sein, ils se sont
enrichis, informés et renforcés mutuellement. Les enseignants participaient
souvent comme membres aux synodes. De même, les évêques étaient dès le départ
des enseignants et des prédicateurs selon le modèle d’Ignace d’Antioche.
Évidemment, les évêques présidaient les synodes, et y jouaient un rôle de
premier plan en tant que gardiens de l’orthodoxie de la foi et de la pratique.
De plus, dans son rôle sacramentel, l’évêque présidait la célébration
eucharistique qui ouvrait et clôturait chaque synode, source et sommet du
« marcher ensemble » qu’est le synodos[156]. Signe de la réception des décisions synodales, ainsi que de la communion des
croyants avec leurs évêques, établis dans la succession apostolique au sein de
la « Catholica », l’Église de Dieu, une et unique, l’Eucharistie
manifestait et réalisait de manière visible l’appartenance au corps du Christ et
l’appartenance réciproque entre chrétiens (cf. 1 Co 12,12)[157].
100. Non seulement ces éléments du processus de structuration de l’Église
manifestent son enracinement dans l’Événement Jésus Christ, mais il est aussi
possible de discerner dans ces processus une certaine analogie avec celui qui
constitua l’évènement de Sagesse analysé plus haut. De même que la pensée
humaine profondément renouvelée par l’évènement Jésus Christ assume et
transforme les cultures humaines, à partir notamment de la rencontre de la
pensée sémitique déjà travaillée de l’intérieur par la Révélation avec la
culture grecque et d’autres cultures, de même, les trois dimensions ou charismes
que nous avons relevés étaient issus à la fois d’institutions juives et de
versions locales d’institutions gréco-romaines des premiers siècles de notre
ère, à la fois civiles et sacrées. D’une part, le judaïsme du Second Temple
avait sa hiérarchie sacerdotale, ses écoles et ses synodes. D’autre part, comme
il n’existait pas d’écoles spécifiques pour eux, les enseignants chrétiens
étaient presque tous formés en tant qu’orateurs et interprètes dans l’enkyklios
paideia, ou système éducatif général du monde gréco-romain, et faisaient
donc appel à la rhétorique et à la philosophie, qu’ils ont contribué à inscrire
dans le patrimoine de la doctrine chrétienne. Le synode (concilium en
latin) était lui aussi déjà une institution ancienne dans le monde gréco-romain
lorsque les chrétiens lui ont donné une place importante. Or ces différents
aspects prennent des dimensions propres, transfigurées si l’on peut dire,
lorsqu’ils sont au service de la mission de l’Église d’annoncer l’Évangile et
d’être signe efficace d’unité pour le genre humain.
3.3 Le Concile œcuménique de Nicée
101. En 325 est célébré à Nicée un synode qui s’inscrit en partie dans ce
processus comme un point d’aboutissement, mais qui en est également une forme
exceptionnelle, du fait de sa portée œcuménique. Convoqué par l’empereur pour
résoudre un différend local qui s’était étendu à toutes les Églises de l’Empire
romain d’Orient et à de nombreuses Églises d’Occident, il rassemble des évêques
provenant de diverses régions de l’Orient et des légats de l’évêque de Rome.
Pour la première fois, donc, des évêques de toute l’Oikoumenē sont réunis
en synode. Sa profession de foi et ses décisions canoniques sont promulguées
comme normatives pour toute l’Église. La communion et l’unité inouïes suscitées
dans l’Église par l’évènement Jésus Christ sont rendues visibles et efficaces de
manière nouvelle, par une structure de portée universelle, et l’annonce de la
Bonne Nouvelle du Christ dans toute son immensité reçoit elle aussi un
instrument d’une autorité et d’une portée sans précédent :
Au concile de Nicée pour la première fois, à travers l’exercice synodal du
ministère des évêques s’exprime institutionnellement au niveau universel
l’ἐξουσία du Seigneur ressuscité qui guide et oriente dans l’Esprit Saint le
chemin du Peuple de Dieu. Une expérience analogue se réalise dans les conciles
œcuméniques successifs du premier millénaire, au travers desquels se profile de
façon normative l’identité́ de l’Église une et catholique[158].
102. Avec le Concile de Nicée, l’idée même d’un synode ou d’un concile
œcuménique s’est imposée. Bien qu’aucun de ses acta n’ait survécu, selon
toute probabilité, et nonobstant une réception lente et ardue, la proclamation
de l’homoousios et les décisions de Nicée ont perduré. Après ce long
processus de réception – qui sera le propre de tout concile –, Nicée est devenu
l’idéal du concile dans l’esprit de beaucoup. Sa présentation traditionnelle
comme un concile unifié, inspiré par l’Esprit Saint, l’a aidé à devenir le
concile idéal dans la tradition ultérieure et a peu à peu créé de l’estime chez
les chrétiens pour les conciles œcuméniques. Nicée a ouvert la voie pour les
conciles œcuméniques suivants et donc pour un nouveau mode de synodalité ou de
conciliarité qui marquera la vie de l’Église jusqu’à aujourd’hui, tant dans son
rôle de définir et de proclamer la foi que dans la manifestation de l’unité de
l’ensemble de l’Oikoumenē représenté en son sein.
Chapitre 4
Garder la foi accessible à tout le peuple de Dieu
Prélude : le concile de Nicée et les conditions de la crédibilité du mystère
chrétien
103. L’idée première et légitime que l’on retient du concile de Nicée est qu’il
s’agit d’un concile dogmatique qui a défendu et précisé la fides quae
christologique et trinitaire. Or, il s’agit d’expliquer en ce dernier chapitre
comment l’évènement du concile a constitué aussi un certain dispositif
institutionnel de l’Église une et catholique pour résoudre un conflit dogmatique
dans des conditions qui puissent rendre recevable sa décision. L’examen de
théologie fondamentale doit donc compléter l’enquête dogmatique et historique.
C’est la fides quae, la vérité salvifique, qui engendre l’adhésion au
salut, la fides qua ; mais à Nicée la fides qua elle-même a été
mise ici au service de l’accueil et de la compréhension de la fides quae.
Or la considération des processus de la fides qua, c’est-à-diredes conditions de définition et de réception de la fides quae, manifeste
la nature et le rôle de l’Église. Évidemment, il est clair que l’invention de ce
dispositif institutionnel aura été progressive, qu’il n’était pas sorti tout
armé comme Athéna de la tête de Zeus, bref que le concept dogmatique de
« concile œcuménique » ne pouvait pas être exactement contemporain de
l’évènement de 325. Comme nous l’avons expliqué au chapitre II, le lieu par
excellence où se rencontrent fides qua et fides quae est le
baptême. C’est là que l’individu est incorporé à la foi de l’Église qu’il reçoit
de l’Église mère. Dans ce contexte du baptême et de la catéchèse d’initiation,
l’Église ancienne a élaboré la règle de foi comme l’abrégé le plus substantiel
de la foi. Compte tenu de sa pertinence, elle a été utilisée pour discerner la
vérité de la foi face à l’hérésie (Irénée, Tertullien, Origène, par exemple).
C’est le précurseur de la position dogmatique du symbole comme résumé des
éléments normatifs de la foi. Cette conscience d’une norme (regula ; kănōn) est présente dans la procédure des synodes pré-nicéens qui discernaient la
foi.
104. En se fondant sur les multiples expériences des synodes régionaux ou locaux
des IIe et IIIe siècles, on peut toutefois soutenir la
thèse dogmatique que c’est une certaine vérité ecclésiologique jugée a priori
opératoire qui a été sollicitée pour résoudre le problème d’une vérité
trinitaire, christologique et sotériologique menacée d’être altérée, faussée, ou
perdue. Les processus de la fides qua manifestent la nature de l’Église.
Le Verbe de Dieu devenu chair (Jn 1,14) fait réellement connaître le Père et
cette connaissance, par la puissance du Saint Esprit, est confiée à l’Église,
chargée de la garder et de la transmettre. Or, cette mission implique que
l’Église puisse interpréter les Écritures avec autorité. Cela manifeste aussi
que croire l’Église – comme le professe le Symbole - et croire à son autorité
pour définir la doctrine christologique et trinitaire est fondé dans l’acte de
foi en Jésus Christ et en la Trinité, en une forme de « priorité » ou de
« causalité réciproque », selon l’heureuse expression thomiste[159]. Enfin, la visée ultime de toute cette procédure ecclésiale doit aussi retenir
notre attention. Nous posons l’hypothèse que la procédure conciliaire a été mise
au service des petits, au service même de la foi des enfants, qui est le
paradigme de la foi du vrai disciple aux yeux du Seigneur Jésus, et ainsi de
l’annonce de l’Évangile à tous. Cela éclaire le sens du magistère de l’Église,
qui vise à une charité de protection à l’endroit du « plus petit » d’entre les
« frères » du Christ (cf. Mt 25,40).
1. La théologie au service de l’intégralité de la vérité salvifique
1.1 Le Christ, la vérité eschatologiquement efficiente
105. Dans la mesure où Nicée propose une vérité dans des questions attenantes au
salut et la distingue de l’erreur, son premier enjeu du point de vue de la
théologie fondamentale est celui de la place de la vérité en sotériologie. Cette
conviction provient tout d’abord de la forme même de la Révélation, qui, en se
laissant transcrire en paroles mises par écrit, manifeste que la dimension de
vérité lui est constitutive. La foi chrétienne suppose que la vérité du Christ
soit rendue accessible à ses disciples. En effet, le Sauveur est lui-même la
vérité : « Je suis le chemin et la vérité et la vie » (Jn 14,6). En
christianisme, la vérité est une personne. La vérité n’est plus une simple
affaire de logique ou de raisonnements, il n’est pas possible de la posséder, et
elle n’est pas séparable des autres attributs identifiés à la personne même du
Christ, comme le bien, la justice ou l’amour. Il demeure que l’adhésion au
Christ convoque toujours l’intelligence des disciples : « Credo ut intelligam[160] ». En effet, il n’est pas imaginable ni cohérent de penser que le Dieu créateur
de l’homme intelligent et libre – une des dimensions de la création à l’image et
ressemblance du Créateur lui-même (Gn 1,26-27) –, puisse en tant que Dieu
sauveur se désintéresser de l’accès à la connaissance de sa vérité et de
la vérité salutaire. De plus, cette vérité du salut possède une dimension
communautaire. Nicée est un acte communautaire d’expression de la vérité, afin
de la communiquer à toute l’Église. De fait, il n’est pas davantage imaginable
ni cohérent de penser que le créateur de la famille humaine, et notamment de sa
capacité de communication intelligible à travers les langues (cf. Gn 11,1-9 – la
tour de Babel, et Ac 2,1-11 – la Pentecôte) puisse se désintéresser de
l’accès communautaire à sa vérité et à la vérité salvifique. C’est pourquoi
la désagrégation de l’unité de la foi compromet la force et l’efficacité du
salut en Jésus-Christ.
106. Cette place constitutive de la vérité dans le salut rejaillit sur la nature
même de l’Église « porteuse de la vérité » (alēthefora). Elle porte un
autre qu’elle, le Christ-Vérité, et ne serait pas elle-même sans cela. L’Église
est par nécessité d’origine un lieu de recherche, de découverte, de protection
et de déploiement de la vérité accomplie dans le Verbe pour le bénéfice
personnel et ecclésial de ses disciples et de tous les êtres humains. Elle est
aussi un lieu de communion à la force vivifiante de cette vérité, qui circule en
elle, tout en irriguant également la recherche de vérité du monde, sa pensée et
sa culture[161]. La tradition (transmission) vivifiante de la vérité salutaire elle-même est
donc un des sens les plus puissants que puisse revêtir le concept dogmatique de
Tradition ecclésiale[162].
107. La place capitale de la vérité explique le profond refus de l’idolâtrie
dans les Écritures. Le Saint d’Israël est un Dieu qui parle, contrairement aux
idoles. « Elles ont une bouche et ne parlent pas », disent les Psaumes (115,5 et
135,15), repris en 1 Co 12,2 : « Lorsque vous étiez païens, vous le savez, vous
étiez entraînés irrésistiblement vers les idoles muettes ». En outre, la vérité,
la puissance, la justice, la sainteté de Dieu a toujours été conçue,
bibliquement, en rapport avec sa prétention d’apporter le salut véritable et
universel, alors que les pratiques idolâtres ne prétendent offrir qu’un don
partiel et régional. Par ailleurs, puisqu’elle est cette personne qui vient de
Dieu et qui est Dieu et Seigneur (cf. Jn 13,14), la vérité du salut doit être
reçue, alors que l’idolâtrie construit le divin à partir de l’humain. Le fait
que Dieu ne puisse pas être façonné comme une statue d’idole (voir l’ironie de
Sg 13,11-19) renvoie à la notion d’autorévélation divine frontalement opposée à
l’idée d’autoréalisation si fréquente dans l’offre religieuse, même ancienne,
comme en témoigne le gnosticisme désigné par Irénée proprement comme une hérésie
et comme la « gnose au nom menteur ». La gnose « ment », elle contredit la
notion même de la vérité salvifique, parce qu’elle n’est pas vérité accueillie
de Dieu et reçue librement dans l’amour. Au contraire, par son incarnation, le
Verbe de Dieu sollicite l’acte de foi ecclésial et personnel comme une réception
dans l’Esprit Saint, par l’intelligence et par tout l’être, des mystères qui
sauvent : « Vous adorez celui que vous ne connaissez pas ; nous adorons, nous,
ce que nous connaissons parce que le salut vient des juifs » (Jn 4,22).
Finalement, Jésus est le Verbe de Dieu, envoyé dans le monde pour une mission de
parole, pour une parole de vérité intégrale, qui sollicite la réponse de foi de
l’être humain. C’est pourquoi il s’agit là d’une vérité réellement salvifique,
eschatologiquement efficiente : « Aujourd’hui tu seras avec moi en
paradis » (Lc 23,43). Le choix de Nicée d’exprimer en paroles une vérité
intégrale de salut pour tous, à recevoir dans la foi, est fidélité non seulement
à la vérité christologique (fides quae) mais bien à la relation
personnelle à la vérité qui est le Christ lui-même (fides qua).
1.2 Salut et processus de filiation divine
108. Cette vérité sotériologique est à prendre au sens le plus fort,
ontologique. Sans prétendre offrir une compréhension exhaustive qui porterait
atteinte au mystère du salut en tant que mystère, elle donne pourtant accès à la
vérité même de la filiation et de la paternité de Dieu. Le Dieu de la vérité a
pour ainsi dire voulu mettre les hommes à l’épreuve de la prétention filiale,
inouïe, de son Fils unique Jésus. La vérité révélée par Dieu se concentre alors
dans la vérité de son « Fils » unique. Ce terme ne se réduit pas à une simple
métaphore ou une analogie, car ce qui est métaphorique ici ouvre de lui-même au
registre de l’ontologie, comme le symbolon, au sens fort du terme, donne
réellement et efficacement accès à la réalité qu’il signifie. Le témoignage du
Père donné à Jésus fonde cette vérité : « Si nous recevons le témoignage des
hommes, le témoignage de Dieu est plus grand, parce que tel est le témoignage de
Dieu : il a rendu témoignage à son Fils. Celui qui croit dans le Fils de Dieu a
le témoignage en lui » (1 Jn 5,9). L’auteur ajoute : « Celui qui ne croit pas
Dieu, celui-là fait de Dieu un menteur » (1 Jn 5,10). Nos vieux
catéchismes aimaient à formuler cette conviction intime de l’acte de foi des
chrétiens, avec une simplicité directe : « Dieu qui ne peut ni se tromper ni
nous tromper[163] », où Thomas d’Aquin aurait reconnu ses propres formulations[164]. Ainsi se trouve justifiée l’option ontologique du néologisme de Nicée, l’homoousios,
pour prolonger et clarifier la terminologie biblique et hymnique. La
confirmation de la vérité ontologique de la filiation divine de Jésus est, comme
nous l’avons vu dans le premier et le troisième chapitre, que le rapport de la
paternité et de la filiation se trouve mystérieusement inversée entre le divin
et l’humain : la paternité humaine et terrestre est devenue une nomination
seconde et dérivée de son prototype, Dieu le Père (voir Ep 3,14 ; Mt 23,9).
C’est cette vérité de la filiation divine dans laquelle le croyant est invité à
entrer qui sous-tend la vérité de l’affiliation baptismale[165]. Être sauvé, selon l’Évangile de Jésus, consiste à entrer dans la pleine vérité
de la filiation qui est insérée dans la filiation éternelle du Christ.
2. La médiation de l’Église et l’inversion de l’enchaînement dogmatique :
Trinité, christologie, pneumatologie, ecclésiologie
2.1 Les médiations de la foi et le ministère de l’Église
109. Cette vérité salvifique et efficace est explicitée et communiquée à Nicée
par un acte d’interprétation du texte biblique en des termes provenant des
hymnes et de la philosophie, et à travers l’exercice de l’intelligence de la
foi. En effet, toute l’économie de la Révélation biblique atteste qu’il ne
faudrait certainement pas entendre la force de la conviction sur la vérité
christologique dans les termes d’un fondamentalisme, pour lequel le sens des
Écritures est disponible uniquement de manière immédiate. Car la tradition
interprétative de la doctrine ecclésiale et la recherche des théologiens montre,
bien au contraire, que la foi a besoin de nombreuses médiations, à
commencer par la première, unique et fondatrice, celle de l’humanité du Fils
unique, qu’il tient de Marie. Dieu a disposé que sa vérité divine inouïe ferait
mouvement vers l’humanité par la médiation de son Verbe incarné : « Celui-ci est
mon Fils bien-aimé, écoutez-le » (Mt 17,5 ; cf. Mt 3,17). En outre,
les différents genres littéraires de l’expression de la Révélation que
constituent les livres bibliques appellent autant d’économies herméneutiques[166]. Le Symbole, né de la liturgie et proclamé dans un cadre liturgique, témoigne
d’ailleurs que la médiation interprétative ne se réduit pas à un commentaire de
texte, mais se fait gestis verbisque, là où la foi est vécue dans une
communauté de prière et de grâce[167]. Nous le lisons dans le récit de Lc 24, où le Ressuscité lui-même ne se
contente pas de s’expliquer par l’exégèse de la Loi et des prophètes, mais
aussi, finalement, par sa présence et son autodonation eucharistique, à « la
fraction du pain », ainsi que l’expliquait le pape Benoît XVI dans Verbum
Domini :
La Parole et l’Eucharistie sont corrélées intimement au point de ne pouvoir être
comprises l’une sans l’autre : la Parole de Dieu se fait chair sacramentelle
dans l’évènement eucharistique. L’Eucharistie nous ouvre à l’intelligence de la
Sainte Écriture, comme la Sainte Écriture illumine et explique à son tour le
Mystère eucharistique. En effet, sans la reconnaissance de la présence réelle du
Seigneur dans l’Eucharistie, l’intelligence de l’Écriture demeure incomplète[168].
110. Ainsi, la concaténation ordonnée des mystères telle qu’elle s’offre en
dogmatique peut être utilement inversée en théologie fondamentale. C’est par le
mystère de l’Église, « le mystère le plus difficile à croire[169] », que se proposent d’abord les mystères inouïs de la foi chrétienne, mystères
dont elle dépend logiquement et ontologiquement elle-même. C’est en effet à
l’Église d’abord qu’il revient d’établir le régime de crédibilité de
l’itinéraire de foi. Évidemment, il existe « un ordre ou une “hiérarchieˮ des
vérités de la doctrine catholique, en rapport avec leur rapport différent avec
le fondement de la foi chrétienne.[170] » La doctrine christologique, trinitaire et sotériologique du Symbole constitue
ce fondement. Cependant, à l’intérieur du nexus mysteriorum des dogmes[171], l’acte d’interprétation du Concile éclaire la participation de l’Église, selon
sa place et son rôle spécifiques, à l’ordre du salut.
2.2 Dissensus et synodalité
111. La médiation interprétative de l’Église se manifeste par des arbitrages, en
particulier face à des dissensions ou au besoin de traduire le texte sacré. Le
« concile de Jérusalem » en Actes 15 témoigne pour la première fois d’un
dissensus de doctrine (le rapport des disciples du Christ issus des nations à la
Loi mosaïque) et de pratique (circoncision, idolothytes et impudicité), porteur
de conflictualité, dont le règlement et la résolution, en forme de consensus
ecclésial recouvré, ont procédé d’abord d’un examen par le collège rassemblé des
« apôtres et des anciens » (Ac 15,6). Un processus se dégage : on remarque
d’abord une succession de témoignages autorisés (Pierre, Paul et Barnabé,
Jacques) et accueillis dans une écoute mutuelle[172], un appel à l’autorité de Moïse ensuite, l’institution de messagers mandatés à
l’encontre des messagers « sans mandat » (Ac 15,24), et enfin la rédaction d’un
écrit prescriptif à remettre officiellement à l’assemblée d’Antioche
(Ac 15,30-31) réunie à l’initiative de ces messagers mandatés. Tous sont
acteurs, car la question est soumise à toute l’Église de Jérusalem (Ac 15,12)
qui est présente durant le déroulement du discernement ecclésial et qui est
impliquée dans la décision finale (Ac 15,22)[173]. Le signe de cet aspect communautaire est que les messagers sont envoyés à deux
(Ac 15,27). L’essentiel pour notre réflexion est que l’Église assistée de
l’Esprit Saint et fonctionnant de manière synodale, s’appuyant sur le sensus
fidei fidelium[174] et sur l’autorité particulière des apôtres, constitue le mystère vivant et
opérant dans lequel le développement doctrinal sur la distinction entre les
disciples du Christ issus du peuple juif et ceux issus des nations face à la
pratique de la Loi mosaïque a été élaborée. L’arbitrage de foi qui touchait à la
visée universelle de Dieu, à l’entrée des nations dans le mystère révélé d’abord
à Israël, s’est opéré ici, dans l’échange entre fides qua et fides
quae, au sein du mystère dynamique de l’Église.
112. Dès les temps qui précédèrent l’incarnation du Verbe, le Peuple Élu avait
eu à traiter un problème analogue pour la conservation, mais surtout pour la
diffusion de la Révélation dans la diaspora d’Israël et, au-delà, parmi les
populations que le N.T. appelle les « prosélytes » (Mt 23,15 et Ac 2,10 et
6,15), et les « craignant-Dieu » (Ac 10,2), d’origine païenne. Il s’agit de
cette option fondamentale dont l’origine réelle se perd parmi les légendes (Épître
d’Aristée ou Talmud-Soferim 1,7), qui autorisa la traduction de la
Bible du peuple juif de l’hébreu au grec, et aboutit ainsi à la version
alexandrine de la Septante. Car ces traductions, tout comme plus tard le recours
au néologisme homoousios, auront impliqué de multiples arbitrages
lexicaux pour que les vérités du texte original conçues dans le champ sémantique
d’une langue sémitique ne soient pas perdues quand le texte fut transféré dans
le champ sémantique d’une langue indo-européenne.
113. Ces arbitrages expriment la nature même de l’Église et permettent de saisir
le sens du magistère qu’elle exerce. Car l’Église est une réalité de grâce
inscrite dans l’histoire. Elle est constituée et mue par l’Esprit Saint,
celui-là même qui a opéré l’Incarnation du Verbe et qui continue d’opérer
l’incorporation des croyants dans le Corps mystique affronté aux joies, aux
tentations et aux vicissitudes de l’histoire. Sa mission de salut s’opère non
seulement par la prédication, par l’enseignement des Écritures et la célébration
des sacrements, mais aussi par le magistère exercé par les évêques, successeurs
des apôtres, en communion avec l’évêque de Rome, successeur de Pierre. Ce n’est
pas dire que la vérité de la foi serait historique et changeante : c’est dire
plutôt que la reconnaissance de la vérité et l’approfondissement de sa
compréhension constituent une tâche historique de l’unique Sujet-Église.
L’Église ne dispose donc pas de la vérité, qui ne peut être fabriquée, puisqu’il
s’agit fondamentalement du Christ lui-même, mais elle la reçoit, la rappelle et
l’interprète. Croire avec l’Église signifie pour chaque génération participer à
ses efforts incessants pour une compréhension plus profonde et plus complète de
la foi. L’obligation de fidélité ne peut être ramenée seulement à une docilité
passive : elle est une obligation d’appropriation active pour tous les
disciples, avec le soutien et sous la vigilance du magistère vivant du collège
des évêques. Ces derniers, s’ils tombent d’accord, détiennent l’autorité pour
décider de manière contraignante si une interprétation théologique est fidèle ou
non à la source – le Christ et la Tradition apostolique. Le magistère n’ajoute
rien à la Révélation accomplie dans le Christ et attestée par les Écritures,
sinon les explicitations du développement dogmatique, car l’Église y exerce son
rôle d’interprète authentique de la Parole de Dieu dans des actes de fidélité
créative à la Révélation[175] : « Ainsi, le jugement concernant l’authenticité du sensus fidelium
appartient en dernière analyse, non aux fidèles eux-mêmes ni à la théologie mais
au magistère[176] ».Le magistère dit ordinaire des successeurs des apôtres consiste en un
enseignement habituel, qui élabore continuellement la tradition – déjà désignée
dans le Nouveau Testament comme « la saine doctrine » (2 Tm 4,3). Par
comparaison, le magistère extraordinaire est rarement exercé, mais il
l’est chaque fois qu’une décision de portée doctrinale concernant l’ensemble de
l’Église doit être prise, notamment face à une remise en cause par une partie de
l’Église. C’est ce qui s’est produit de manière éminente et explicite au Concile
Œcuménique de Nicée.
2.3 Les langues de l’Esprit Saint pour la formation et le renouvellement du
consensus
114. Au fond, la tâche ecclésiale aura donc été d’abord une tâche
pneumatologique de métaphrase. Celle-ci opère dans le registre de la
traduction, comme la Septante et les targoumim, qui cherchent la fidélité
au texte hébreu en se situant résolument dans les modes de pensée et le génie
propres du grec et de l’araméen. On peut supposer que le même processus soit à
l’œuvre dans la traduction des paroles de Jésus, prononcées en araméen, dans le
grec des évangiles. Il s’agit aussi du travail d’exégèse du texte sacré,
commencé avec les midrashim et les écrits des premiers Pères de l’Église.
C’est ce double mouvement qui s’épanouit dans les échanges vivants d’un concile
œcuménique célébré sous la motion de l’Esprit de Pentecôte, où les locuteurs
pouvaient provenir du monde syriaque, ou grec, ou copte, ou latin, et qui
aboutit à des définitions qui sont elles-mêmes traduisibles en d’autres langues
et formes d’expression. Nous assistons-là à une double audace reçue du
Saint-Esprit. D’abord un renforcement de la compréhension de la foi professée à
Nicée de la part de ceux qui la proclament avec parrēsia et efficace au
bénéfice du peuple de Dieu dans les différents contextes du monde ; ensuite,
l’audace dans le Saint-Esprit de la part de ceux qui écoutent (auditus fidei)
et reçoivent (obsequium fidei) cette proclamation[177]. Ce mouvement manifeste autant la nature de l’Église que l’identité de l’Esprit
de vérité, qui « fait souvenir » des paroles du Christ et guide vers la « vérité
tout entière » (Jn16,13 ; cf. Jn 14,26). Il n’y a rien de surprenant à
constater qu’une telle tâche ecclésiologique qui postule les opérations de la
troisième personne divine devait remonter depuis l’histoire du salut jusqu’au
mystère originaire des relations trinitaires, depuis l’économie jusqu’à
l’ontologie divine.
115. Dans cette tâche de métaphrase pneumatologique, qui introduit un concept
nouveau, inconnu de l’Écriture sainte, le fameux homoousios, il est
indispensable de noter que les narrations bibliques aussi bien que les
métaphores des textes scripturaires ne sont pas abolies ou occultées par les
transcriptions spéculatives qui en contractent et en clarifient la substance. La
clarification dogmatique ne vaut que si elle conserve l’enracinement qui la
vivifie dans l’humus biblique et dans la communion de foi liturgique. C’est
clairement le cas dans le texte du Symbole. Dans les circonstances comme celles
de la crise arienne, où la Parole de Dieu paraît fournir des appuis ambivalents
pour la conservation de la vérité de foi (Lc 18,19 : « Pourquoi dire que je suis
bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul »), il devient nécessaire que
l’expression spéculative dirime la dispute exégétique. Cependant, le
développement doctrinal, avec la ressource spécifique des néologismes, doit se
contenter de désenvelopper les vérités immanentes au langage de révélation, à la
manière dont le Christ lui-même explique sa parabole du semeur en Mt 13,3-9 puis
18-23. En ce sens, on ne manquera pas de relever que dans l’histoire de l’Église
les néologismes dogmatiques ont été, somme toute, peu nombreux et qu’ils ont
correspondu à des nœuds du mystère chrétien vraiment décisifs :
« consubstantialité » et « union hypostatique » en christologie ; et dans le
domaine trinitaire, « relations subsistantes » et « périchorèse » ; mais
également « personne » (prosôpon et hypostasis), pour son sens
spécifiquement chrétien, en théologie trinitaire, christologie et anthropologie.
3. Veiller sur le dépôt de la foi : une charité au service des plus petits
3.1 La foi unanime du Peuple de Dieu offerte à tous
116. Le Symbole de foi et les canons adoptés par le Concile de Nicée ne sont pas
simplement des actes ecclésiaux d’interprétation, de traduction et de
métaphrase, mais ils visent aussi à « garder » ou « veiller sur » (phȳlaxein)
le dépôt de la foi transmise par les Apôtres (1 Tm 6,20). Or cette protection
s’opère en particulier au bénéfice des plus exposés. De même que, sur le plan de
la fides quae, l’homoousios est le principe et fondement de la
koinonia en Christ de tous les êtres humains entre eux, jusqu’au plus petit,
de même, sur celui de la fides qua, la décision du Concile de définir une
profession de foi commune, protège tous les disciples. En effet, la clarté
doctrinale rend la foi capable de résister aux forces du régionalisme culturel
absolutisé et de la fracture géopolitique comme à celles de l’hérésie, souvent
liée à une forme de subtilité élitiste.
117. Insistons sur ce dernier aspect. Au IVe siècle, en cette époque
de « paix de l’Église », où l’on a risqué l’affadissement de la conviction
chrétienne au cours de son extension universelle, les tenants du paganisme
antique tentaient au contraire de rendre à celui-ci sa vigueur perdue en
soulignant le caractère accessible au commun des mortels des dieux de son
panthéon, de sa pratique et des coutumes des aïeux. Or la foi prêchée par
Jésus aux simples n’est pas une foi simpliste. Les paraboles et autres
sentences, ou certaines déclarations johanniques comme le magistral : « Le Père
et moi, nous sommes un » (Jn 10,30), témoignent du fait que l’accès au mystère
de Dieu est au moins paradoxal. Ni ce que le dogme appellera la Trinité, ni
l’union hypostatique, énoncée au concile de Chalcédoine, ni le duothélisme
dynamique sauvegardé par la sotériologie de Maxime le Confesseur, ne sauraient
passer pour des propositions simples. Cependant, le christianisme ne s’est
jamais réputé lui-même pour un ésotérisme réservé à une élite d’initiés. Le
Christ l’affirme dans une déclaration fondamentale : « J’ai parlé ouvertement au monde ; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et
dans le temple, où tous les Juifs s’assemblent, et je n’ai rien dit en secret.
Pourquoi m’interroges-tu ? Interroge sur ce que je leur ai dit ceux qui m’ont
entendu ; voici, ceux-là savent ce que j’ai dit » (Jn 18,20). Même la discipline
mystagogique de l’arcane, pendant un moment du paléo-christianisme, n’indiquait
pas une préoccupation jalouse du secret, mais la prise en compte du sérieux et
des étapes de l’initiation chrétienne. Et avec le passage des siècles il semble
bien que la foi chrétienne ait pleinement assumé son style décidément exotérique
et populaire. Au fond, tout chrétien, en traçant sur soi-même le signe de la
croix, exprime de manière adéquate et pleine le cœur de la foi trinitaire et
pascale[178]. Le peuple de Dieu tout entier doit donner raison de sa foi et de son espérance
(cf. 1 P 3,5) : en ce sens il est théologien[179].
118. Dans le même sens, l’exercice du Magistère, tel qu’il se réalise au concile
de Nicée, et qui confère à l’enseignement de l’Église « catholique » un style
authentiquement public et institutionnel, institue par là même une égalité de
tous vis-à-vis du contenu de la foi. Le credo liturgique, pratiqué par tous les
membres du Corps mystique, au sein d’une liturgie publique et commune, formera
comme une pierre de touche pour la contesseratio (le lien d’hospitalité)
de la communion ecclésiale, chère à Tertullien[180]. Le bien commun de la Révélation y est réellement mis « à la disposition » de
tous les fidèles, comme le confirme la doctrine catholique de l’infaillibilité
in credendo du peuple des baptisés : « La collectivité des fidèles, ayant
l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2,20.27), ne peut se tromper dans la foi.[181] » Les évêques ont un rôle spécifique dans la définition de la foi mais ne
peuvent l’assumer sans être dans la communion ecclésiale de tout le Peuple de
Dieu[182]. En ce sens, la Loi nouvelle du N.T. revêt les caractéristiques de la Loi
ancienne, dont on ne mesure pas assez d’ordinaire la dimension publique :
puisque la loi est solennellement promulguée, elle est connue par tous comme une
loi divine. Ainsi, même les chefs sont tenus par la publicité de la Loi à
ses observances. L’« acception des personnes », souvent repérée et dénoncée dans
la Torah, y apparaîtra plus aisément de manière objective comme une faute contre
la dignité égale des enfants de Dieu (cf. Lv 19,5 ; Dt 10,17 ; Ac 10,34 ; Rm
2,11).
3.2 La protection de la foi face au pouvoir politique
119. Ainsi, le concile de Nicée, avec tout ce qu’il doit à l’initiative de
l’empereur Constantin, aura représenté néanmoins une pierre milliaire dans le
long chemin vers la libertas Ecclesiae, laquelle est partout une garantie
de protection pour la foi des simples et des plus vulnérables devant la
puissance politique. Sans doute, naît au même moment un mouvement concurrent
vers ce qui sera nommé le « césaropapisme », et qui est une tentation rémanente
parmi les Églises chrétiennes. Alors faut-il identifier en ce concile les
prémices d’une garantie ecclésiale pour la liberté de conscience des petits, ou
celles d’une instrumentalisation politique de la religion du Christ ? Il est
vrai qu’on fait souvent valoir, aujourd’hui, la préoccupation politique de
l’empereur Constantin ; on souligne que le concile de Nicée était entre autres
destiné à célébrer le vingtième anniversaire de son règne, et l’on insinue même,
dans certains cas, que la profession de foi adoptée par Nicée entendait avant
tout restaurer la concorde au sein de l’Empire. De même, on reproche à la notion
d’hérésie d’être associée au pouvoir répressif de l’État confessionnel. Sans
pouvoir entrer dans un traitement complet de ces questions complexes dans les
limites du présent document, nous pouvons pourtant distinguer ici les formes
d’unité et les objectifs, l’unité de la foi entre les Chrétiens et l’unité des
citoyens. D’un côté, en effet, le monothéisme trinitaire de Nicée, dans sa
vérité dogmatique, ne permettait justement pas d’honorer aussi bien que
l’arianisme la prétention du Basileus d’être le symbole étatique et
religieux de l’unité romaine et de jeter les fondements d’un ordre
théologico-politique stricto sensu[183]. D’un autre côté, sans la vigilance magistérielle de l’Église apostolique
assistée par le Saint-Esprit face à la résistance à l’inouï de la Révélation
qu’est l’hérésie, les mystères de la foi communiqués par l’autorévélation du
Verbe incarné, crucifié et ressuscité, n’auraient pas résisté à l’éclatement et
à la cacophonie.
120. La protection de la foi de tous, ainsi que l’importance de l’écoute de la
voix même des derniers et des moins écoutés, se manifeste dans le fait que Nicée
n’ait précisément pas suivi le chemin de l’arianisme. En effet, saint Jérôme
souligne la majorité numérique des ariens et le nombre lui aussi très
majoritaire des évêques acquis à l’arianisme. Historiquement, il s’agit sans
doute de nuancer la lecture de Jérôme, parce que la plupart des évêques et des
chrétiens n’optaient pas directement pour l’arianisme, mais étaient plutôt
hésitants devant une terminologie qui ne se trouvait pas dans le N. T. Cela dit,
comme s’était produit un effet de force engagé par l’autorité politique, le
Concile a permis de sauvegarder le sensus fidelium[184] qui habitait le peuple de Dieu. En ce sens, on peut dire que la profession
de foi de Nicée est un écho fidèle vécu dans l’Église de l’exultation du Christ
: « Je te loue Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux
sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, c’est
ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance » (Mt 11,25-26).
Conclusion : Annoncer à tous Jésus notre Salut aujourd’hui
121. La célébration des 1700 ans du Concile de Nicée est une pressante
invitation faite à l’Église de redécouvrir le trésor qui lui a été confié et d’y
puiser afin de le partager avec joie, dans un nouvel élan, voire dans une
« nouvelle étape de l’évangélisation.[185] » Annoncer Jésus notre Salut à partir de la foi exprimée à Nicée, telle qu’elle
est professée dans le symbole de Nicée-Constantinople, c’est tout d’abord nous
laisser émerveiller par l’immensité du Christ afin que tous en soient
émerveillés, ranimer le feu de notre amour pour le Seigneur Jésus, afin que tous
puissent brûler d’amour pour lui. Rien ni personne n’est plus beau, plus
vivifiant, plus nécessaire que lui. Dostoïevski le déclame avec force : « J’ai
forgé en moi un Credo, où tout m’apparaît limpide et sacré. Ce Credo est fort
simple, le voici : croire qu’il n’est rien de plus beau, de plus profond, de
plus sympathique, de plus raisonnable, de plus viril et de plus parfait que le
Christ.[186] » En Jésus, homoousios au Père, Dieu lui-même vient nous sauver, Dieu
lui-même s’est lié à l’humanité pour toujours, afin d’accomplir notre vocation
d’être humain. En tant que Fils Monogène, il nous conforme à lui comme fils et
filles bien-aimés du Père par la puissance vivifiante du Saint-Esprit. Ceux qui
ont vu la gloire (doxă) du Christ peuvent la chanter, et laisser la
doxologie se muer en annonce généreuse et fraternelle, c’est-à-dire en kérygme.
122. Annoncer Jésus notre Salut à partir de la foi exprimée à Nicée ne fait pas
fi de la réalité de l’humanité. Elle ne se détourne pas des souffrances et des
soubresauts qui taraudent le monde et semblent aujourd’hui mettre à mal toute
espérance. Au contraire, elle se confronte avec ces troubles en professant la
seule rédemption possible, acquise par celui qui a connu jusqu’à la violence du
péché et du rejet, la solitude de l’abandon et la mort, et qui, de l’abîme
même du mal, est ressuscité afin de nous porter nous aussi dans sa victoire
jusqu’à la gloire de la résurrection. Cette annonce renouvelée ne fait pas fi
non plus de la culture et des cultures, mais, au contraire, là aussi avec
espérance et charité, se met à leur écoute et s’enrichit par elles, les invite à
une purification et les surélève. Entrer dans une telle espérance exige bien
évidemment une conversion, mais tout d’abord de la part de celui qui annonce
Jésus par la vie et la parole, car elle est renouvellement de l’intelligence
selon la pensée du Christ. Nicée est le fruit d’une transformation de la pensée
qui est impliquée et rendue possible à la fois par l’évènement Jésus-Christ. De
même, une nouvelle étape d’évangélisation ne sera possible que de la part de
ceux qui se laissent renouveler par cet évènement, par ceux qui se laissent
saisir par la gloire du Christ, toujours nouveau.
123. Annoncer Jésus notre Salut à partir de la foi exprimée à Nicée, c’est se
rendre attentif tout particulièrement aux plus petits et aux plus vulnérables de
ses frères et sœurs. La lumière nouvelle projetée sur la fraternité entre tous
les membres de la famille humaine par le Christ, Fils homoousios du Père
et partageant la nature humaine commune, éclaire en particulier ceux qui ont le
plus besoin de l’espérance de la grâce. Nous sommes liés par un lien radical
indestructible à tous à ceux qui souffrent et qui sont écartés ; nous sommes
tous appelés à œuvrer pour que le salut puisse les rejoindre eux, tout
particulièrement. Annoncer signifie ici « donner à manger », « donner à boire »,
« recueillir », « vêtir » et « aller visiter » (Mt 25,34-40), faire rayonner la
gloire humble de la foi, de l’espérance et de la charité pour celui qui n’est
pas cru, en qui personne n’espère et qui est mal aimé par le monde. Annoncer
signifie faire luire ces vertus théologales dans l’humiliation et la souffrance
: cela ne peut provenir que du Christ notre Sauveur et donc témoigner de lui et
permettre de le rencontrer. Ne nous trompons pas cependant : ces crucifiés de
l’histoire sont le Christ parmi nous, au sens le plus fort possible :
« c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40). Le Crucifié-Ressuscité
connaît leurs souffrances intimement et ils connaissent les siennes. Ainsi, eux
sont les apôtres, les maîtres et les évangélisateurs des riches et des
bien-portants. Il s’agit d’aider les pauvres, mais avant tout d’entrer en
relation avec eux et de vivre avec eux afin de se laisser enseigner par eux :
eux comprennent mieux que tous l’immensité du don du Fils homoousios qui
va jusqu’à la croix, professé à Nicée. Eux peuvent nous introduire à l’espérance
plus forte que la mort, à la suite du Verbe de Dieu descendu au plus bas parmi
nous pour nous élever au plus haut avec lui[187].
124. Annoncer Jésus notre Salut à partir de la foi exprimée à Nicée, c’est
l’annoncer en Église. C’est l’annoncer par le témoignage de la fraternité inouïe
fondée en Christ. C’est faire connaître les merveilles par lesquelles l’Église
« une, sainte, catholique et apostolique » est le « sacrement universel du
salut » et donne accès à la vie nouvelle : le trésor des Écritures que le
Symbole interprète, la richesse de la prière, de la liturgie et des sacrements
qui découlent du baptême professé à Nicée, la lumière du magistère qui est au
service de la foi partagée. Ce trésor, toutefois, « nous le portons dans des
vases d’argile » (2 Co 4,7). Or cela est juste, car l’annonce sera féconde
uniquement s’il y a consonance entre la forme du message et son contenu, entre
la forme du Christ et la forme de l’évangélisation. Dans le monde d’aujourd’hui,
il s’agit en particulier de garder à l’esprit que la gloire que nous avons
contemplée est celle du Christ « doux et humble de cœur » (Mt 11,29), qui a
proclamé : « Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage » (Mt
5,5). Le Crucifié-Ressuscité est réellement victorieux, mais il s’agit d’une
victoire sur la mort et le péché et non pas sur des adversaires – il n’y a pas
de perdants dans le Mystère Pascal, si ce n’est le perdant
eschatologique, Satan le diviseur[188]. L’annonce de Jésus notre Salut n’est pas un combat, mais plutôt une
conformation au Christ, lui qui regardait ceux qu’il rencontrait avec amour et
compassion (Mc 10,21 ; Mt 9,36) et se laissait guider par un autre, par l’Esprit
du Père[189]. L’annonce sera féconde si c’est le Christ qui agit en nous :
« Il est bon de se rappeler qu’en envoyant ses disciples en mission, “le
Seigneur agissait avec euxˮ (Mc 16, 20). Il est là, travaillant, luttant
et faisant le bien avec nous. D’une manière mystérieuse, c’est son amour qui se
manifeste par notre service, c’est lui qui parle au monde dans ce langage qui
parfois n’a pas de mots[190].
[2] Éphrem de Nisibe, Hymnes de Nativitate, III, 3, éd. et trad. E.
Beck, o.s.b., Louvain, 1959 (CSCO 186, p. 21 ; CSCO 187, p. 18-19 trad.
modifiée) ; trad. française par F. Cassingena-Trévedy, o.s.b., Paris, Cerf,
2001 (SC 459, p. 64-65).
[4] « Il avait été d'abord convenu que le concile des évêques aurait lieu à
Ancyre de Galatie. Pour beaucoup de raisons, nous avons décidé maintenant qu’il
se réunirait à Nicée, ville de Bithynie. C'est à cause de la venue des évêques
d’Italie et des autres parties de l’Europe, du bon mélange de l'air, et aussi
pour que moi-même je puisse contempler ce qui s'y passera et y participer »,
dans Constantin, Lettres et discours, présentés et traduits par
P. Maraval, Paris, Les Belles Lettres (coll. « La roue à livres »), 2010, lettre
17 ("convocation à Nicée"), p. 52.
[14] Voir Hippolyte, C. Noet. 10,1-2. Tertullien : « Ante Omnia enim
Deus erat solus, ipse sibi et mundus et locus et omnia. Solus autem quia nihil
aliud extrinsecus praeter illum. Ceterum ne tunc quidem solus ; habebat enim
secum quam habebat in semetipso, rationem suam » (Adversus Praxean, 5,2,
CCL 2, p. 1163).
[17] Arius, Lettre à Eusèbe de Nicomédie, 5 (H.-G. Opitz, Athanasius
Werke, III-1, p. 3 ; Urkunde 1).
[22] « Il n’existe pas de Dieu d’un autre genre, mais le Père et le Fils sont
un seul être » (Hilaire de Poitiers, De Trinitate, VIII, 41, CCSL 62A,
p. 354).
[31] Voir L. W. Hurtado, One God, one Lord. Early Christian Devotion and Ancient Jewish Monotheism, T&T Clark, Edinburg 21998 (1988) ; R. Bauckham, « God Crucified »
(1996), in R. Bauckham, Jesus and the God of Israel, Paternoster,
Crownhill (UK) 2008, p. 1-59. Par exemple, une partie du symbole de Nicée a été formulée dans la première
littérature judéo-chrétienne primitive, les Odes de Salomon, qui datent
d’environ 70-125 après J. C. (voir Ode 14 :12-17, in A. Rahlfs, R. Hanhart
[ed.], Septuaginta : SESB Edition, Stuttgart 2006).
[35] « L’homme constitué comme créature n’aurait pas été divinisé si le Fils
n’avait pas été le vrai Dieu ; et l’homme n’aurait pas pu se tenir en présence
du Père, si celui qui avait revêtu le corps n’avait pas été par nature son vrai
Verbe. Semblablement, nous n’aurions pas été libérés du péché et de la
malédiction, si la chair revêtue par le Verbe n’avait pas été une chair humaine
(parce que nous n’aurions rien en commun avec tout cela qui nous est étranger) »
(Athanase d’Alexandrie, Traité contre les Ariens,
II, 70, texte de l’édition K. Metzler - K. Savvidis, notes par Lucian
Dinca, traduction par Ch. Kannengiesser, Paris, Cerf, SC 599, 2019, p. 237-239).
[44] Voir Concile d’Orange (529), canon 1 (DH, 371) et canon 2 (DH,
372).
[48] Voir Jean de la Croix, Le Cantique Spirituel A 38, 3-7 ; Le Cantique Spirituel B 39,
2-7, dans Jean de La Croix Œuvres complètes, trad. M. du Saint-Sacrement,
Cerf, Paris, 1997, p. 519-522 ; 1425-1428.
[72] Voir aussi Basile de Césarée, Sur le Saint-Esprit, 26,
SC 17bis, p. 337 : « Comment sommes-nous chrétiens ? Par la foi, tout le monde
le dira. Mais de quelle manière sommes-nous sauvés ? Parce que nous sommes renés
d’en-haut, évidemment, par la grâce du baptême. Car comment le serions-nous
autrement ? Après avoir acquis la science de ce salut opéré par le Père et le
Fils et le Saint-Esprit, nous irions abandonner “la forme de l’enseignementˮ (typon
didachès, Rm 6,17) reçue ? [...] Car si le baptême est pour moi principe de
vie et si le premier des jours est celui de la régénération, il est clair que la
parole la plus précieuse sera aussi celle-là qui fut prononcée quand j’ai reçu
la grâce de l’adoption filiale. » Pareillement, à propos du Saint-Esprit : Athanase,
1ère lettre à Sérapion, n° 30 (Athanasius, Werke
I/1 p. 523-526).
[77] Athanase, Epistula ad Afros episcopos, 1,1.3 (Athanasius, Werke
II/1, p. 322s.) ; le credo de Nicée est « suffisant ». Cf. Athanase,
Epistula ad Epictetum, 1 (ibid., I/1, p. 705s.).
[83] Basile de Césarée, Homilia 16 in illud “In principio erat Verbum”,
PG 31, col. 471-482. On notera toutefois que le Symbole, à la différence du
prologue de Jean, évite le terme « Logos ». En tant que concept central de la
philosophie grecque, il était presque inévitablement compris de manière
subordinationniste (arienne) par les Pères familiers de la philosophie grecque.
[90] A. Grillmeier, « Das “Gebet zu Jesusˮ und das “Jesusgebetˮ », in
Fragmente zur Christologie. Studien zum altkirchlichen Christusbild,
Fribourg 1997, p. 357-371.
[93] Voir De oratione dans Origène, De la prière ; Exhortation au
martyre, introduction, traduction et notes par G. Bardy, Paris, Librarie
Lecoffre-Gabalda, 1932, X,2, p. 55 ; XV,1, p. 77 : « Si nous entendons ce qu’est
la prière, peut-être verrons-nous qu’il ne faut prier aucun être produit et pas
même le Christ » ; XVI,1 : p. 81-82 ; Contra Celsum, VIII, 13, éd. et
trad. M. Borret, s.j., Paris, Cerf, SC 150, 1969, p. 200-203.
[95] Par exemple Athanase, qui utilise la doxologie traditionnelle de manière
anti-sabellienne, et Basile de Césarée, Sur le Saint-Esprit,
3.4.16, SC 17bis, p. 256-260 et p. 298-300, qui souligne la différence entre
oikonomia (médiation salvatrice du Christ) et theologia (fils d’égale
importance).
[107] Hymnes De fide, LII, 1-3 (CSCO 154, p. 161-162 ; CSCO 155, p. 138 ;
Wikes, p. 269).
[108] Ephrem de Nisibe, Hymnes contre les hérésies. Hymnes contre Julien,
tome I. Hymnes contre les hérésies I-XXIX, XXII, 20, Texte critique du
CSCO de E. Beck, o.s.b. ; introduction, traduction, notes et index de D.
Cerbelaud, o.p., Paris, Cerf, SC 587, 2017, p. 399. Il faut noter que, même si
l’enseignement de saint Éphrem est parfaitement en accord avec l’orthodoxie
nicéenne, le vocabulaire et l’expression ne sont pas celles de Nicée, ceci dû
sûrement à la forme, consciemment choisie, poétique et non discursive, de cet
enseignement. Cf. Wikes, p. 36-39.
[109] Balaï (Balaeus), Gebete, BKV 26, p. 92s. ; Isaac d’Antioche, 1er
poème sur l’Incarnation (S. Isaaci Antiochi Opera omnia I, ed. G.
Bickell, 1873, p. 23).
[110] Prudentius, Apotheosis, linea 309-311, CCSL 126, p. 87.
[123] « À travers la grandeur et la beauté des créatures, on peut contempler,
par analogie, leur Auteur » (Sg 13,5). Voir Sancti Thomae de Aquino Scriptum super Sententiis liber I, q. 1, a. 2, ad 2, qui évoque l’«
analogia creaturae ad creatorem ».
[141] Par exemple, l’Egô eimi du IVe évangile, ou la terminologie de He 1,3 ou de 2 P 1,4.
[142] « Quand l’Église entre en contact avec les grandes cultures qu’elle n’a
pas rencontrées auparavant, elle ne peut pas laisser derrière elle ce qu’elle a
acquis par son inculturation dans la pensée gréco-latine. Refuser un tel
héritage serait aller contre le dessein providentiel de Dieu, qui conduit son
Église au long des routes du temps et de l’histoire », Jean-Paul II, Encyclique
Foi et raison, 1998, VI, n° 72.
[153] Cyprien,
Epistula 14, 4 (CSEL III, 2, p. 512). Ce développement sur
Ignace d’Antioche et Cyprien de Carthage suit de près le document de la CTI,
La synodalité, I, n° 25, que l’on consultera pour plus de précisions.
[161] « N’a-t-on pas voulu, et justement, assigner au Concile [Vatican II]
lui-même un objectif pastoral qui revient à insérer le message chrétien dans la
circulation de pensée, d’expression, de culture, d’usages, de tendances de
l’humanité telle qu’elle vit et s’agite aujourd’hui sur la face de la terre ? », Paul VI,
Lettre encyclique
Ecclesiam suam, 1964, III, n° 70.
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